L’hécatombe du tabac n’est pas assez spectaculaire

Une étude réalisée par des journalistes de la British Broadcasting Corporation (BBC) révèle que de graves problèmes de santé publique, tels le tabagisme, l’alcoolisme et l’obésité, sont sous-représentés dans les médias britanniques par rapport à d’autres maux beaucoup moins susceptibles d’affecter la santé de la population. Une situation qui se remarque également au Québec.

« Le public et les politiciens sont effrayés par des histoires de santé qui ont, en fait, peu de risques de les affecter », affirmait, fin octobre, Roger Harrabin, directeur de l’étude Health in the news, dans un article du prestigieux journal The Guardian. Avec son groupe, il a recensé le nombre de fois que les journaux et les émissions radiophoniques ou télévisées parlaient du tabagisme, pour ensuite établir un ratio représentant le nombre de personnes décédées par nouvelle exposée par les médias. Il a fait la même chose avec d’autres maladies comme la rubéole.

Le tabagisme est la principale cause de mortalité en Grande-Bretagne. Il fait 120 000 victimes par an. D’après l’étude de M. Harrabin, le tabagisme a été si peu présent dans les médias que pour chaque nouvelle que la BBC TV news a diffusée sur le sujet, entre septembre 2000 et 2001, 8 751 habitants du Royaume-Uni sont morts de maladies liées au tabac.

À l’inverse, les quelques personnes qui ont succombées à la rougeole ont eu 34 000 fois plus de chances que leur maladie soit mentionnée dans les actualités que celles mortes du tabagisme.

Dans les médias québécois…

Dans les archives Internet des quotidiens Le Devoir et La Presse, Info-tabac a constaté qu’au cours de la dernière année, le terme « SRAS » (syndrome respiratoire aigu sévère) a été, en moyenne, huit fois plus utilisé que « tabagisme ». Quant à l’expression « vache folle », elle est apparue trois fois plus souvent.

Or, selon les plus récentes statistiques de Santé Canada sur le SRAS, des 438 cas recensés au pays, aucun n’a été dénombré au Québec. Pour ce qui est de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), à l’origine de la maladie de la vache folle, l’être humain aurait, selon The Guardian, plus de risque d’être frappé par la foudre – 1 : 350 000 – que d’attraper cette maladie d’un animal. En revanche, 12 000 Québécois meurent tous les ans des suites du tabagisme…

Si les médias de la province exposaient les faits d’une manière plus représentative, ils raconteraient chaque jour le cas des 33 personnes décédées d’un cancer, d’une maladie cardiaque ou d’autres pathologies liées au tabagisme.

Le quatrième pouvoir

D’après l’article de M. Harrabin, cette disproportion est néfaste car les médias, en tant que quatrième pouvoir (après les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire), influencent les décisions des politiciens qui n’ont pas toujours le temps d’étudier à fond certains dossiers. « Les politiciens investissent parfois d’importantes sommes d’argent, à même les fonds publics, en réponse à des événements largement médiatisés mais causant peu de victimes », déplore-t-il.

Afin de remédier à la situation, le réseau BBC prépare un guide à l’intention de ses journalistes qui relatent des histoires de santé susceptibles d’épouvanter la population. Ceux-ci apprendront à mieux interpréter des statistiques complexes afin que leurs nouvelles rendent compte du danger réel.

Intérêt public et sensationnalisme…

Le Conseil de presse du Québec, tribunal d’honneur des médias, veille à ce que le public bénéficie d’une information de qualité. Chaque année, il reçoit plus de 1 000 plaintes et rend une centaine de décisions. D’après son secrétaire général, Robert Maltais, le tabagisme est peu abordé parce que la plupart des gens en connaissent déjà les méfaits.

« Même si le regard humain est toujours subjectif, les nouvelles doivent êtres choisies en fonction de leur importance et de leur degré d’intérêt public. Pour justifier le fait qu’une nouvelle soit publiée, il faut nécessairement un élément de nouveauté », explique M. Maltais, concédant que parfois, certaines informations peuvent prendre de trop grandes proportions.

Le Guide de Déontologie de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec soutient, de son côté, que le devoir de publier ce qui est d’intérêt public doit toujours prévaloir sur les désirs de favoriser la situation financière et concurrentielle des entreprises de presse.

Josée Hamelin