Les fumeurs boudent-ils les services d’arrêt tabagique du gouvernement?

Bien qu’ils soient gratuits, les services d’abandon du tabagisme mis en place par le gouvernement du Québec demeurent peu utilisés par les fumeurs, et ce, même s’ils sont plutôt bien connus et appréciés de ceux-ci.

C’est du moins ce qui ressort d’une étude – Connaissance, utilisation et perception des interventions en arrêt tabagique chez les fumeurs québécois – réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dont les résultats ont été dévoilés en mars dernier.

Commandée par le ministère de la Santé, cette recherche contribuait à évaluer l’implantation du Plan québécois d’abandon du tabagisme (PQAT) et le programme de couverture des aides pharmacologiques, en plus de documenter les pratiques de certains professionnels de la santé en matière d’arrêt tabagique. Pour ce faire, 2 736 fumeurs et anciens fumeurs récents (ayant arrêté au cours des deux années précédant l’étude) ont été sondés au printemps 2006 par la firme Jolicoeur et Associés, à partir d’un questionnaire élaboré par des chercheurs de l’INSPQ. Exécutée par le biais d’entrevues téléphoniques, la collecte des données a été effectuée auprès d’un échantillon représentatif de la population du Québec. Celui-ci comprenait 71,5 % de fumeurs quotidiens, 10,5 % d’occasionnels et 18 % d’anciens fumeurs. Le taux de réponse fut de 74,5 %.

De l’aide pour renoncer au tabac

Implanté grâce à un investissement initial de 4,7 millions $, le PQAT est le modèle organisationnel qui chapeaute les trois services de renoncement au tabac que finance le gouvernement : Ligne J’arrête, Site Internet J’arrête et Centres d’abandon du tabagisme (CAT). Son but ultime consiste à réduire le nombre de fumeurs, tout en rendant accessibles, dans chacune des régions du Québec, des services d’aide à la cessation uniformisés et gratuits.

En opération depuis 2002, la Ligne J’arrête – qui, comme le site Internet du même nom, est gérée conjointement par le Conseil québécois sur le tabac et la santé et la Société canadienne du cancer – est le service le mieux connu des fumeurs. Toutefois, c’est également celui qui est le moins utilisé en proportion du nombre de gens qui disent le connaître. Quelque 31 000 personnes (soit, environ 2 % des fumeurs et des anciens fumeurs récents) auraient composé ce numéro sans frais (1-866-527-7383) pour cesser de fumer au cours des deux années précédant l’étude; un chiffre semblable aux 29 719 fumeurs enregistrés par les coordonnateurs du centre d’appel en 2004 et 2005. Selon les auteurs de la recherche, le fait que la Ligne ait été mise sur pied avant les deux autres services pourrait, en partie, expliquer son plus haut niveau de notoriété.

En ce qui concerne son appréciation, les opinions sont partagées. Toutefois, l’une des auteurs du rapport, la conseillère scientifique Annie Montreuil, indique qu’il faut interpréter cette information avec prudence, puisque très peu de gens ont évalué l’utilité de la Ligne J’arrête. Seules les personnes ayant arrêté de fumer pendant au moins une semaine après l’avoir utilisée étaient interrogées sur leur perception de celle-ci.

Un peu moins connu que la Ligne, le Site Internet J’arrête (www.jarrete.qc.ca) est le plus fréquenté des trois services. Environ 15 % de tous les fumeurs et anciens fumeurs récents l’auraient déjà visité, ce qui représente 222 000 personnes et correspond aux données compilées par les administrateurs du Site. Peut-être plus portés vers les nouvelles technologies, les jeunes adultes de 18-24 ans représentent le groupe le plus renseigné sur cet outil interactif.

Derniers nés (2003) des services de renoncement au tabac soutenus par le gouvernement, les Centres d’abandon du tabagisme demeurent plutôt méconnus. Selon les données recueillies par les chercheurs de l’INSPQ, environ 2 % des fumeurs et des ex-fumeurs les ont fréquentés sur une période de deux ans, pour un total de 31 000 clients, dont 15 000 en consultation individuelle. Toutefois, ce chiffre tranche avec les 8 876 recensés par les gestionnaires des CAT en 2004 et 2005. Implantés dans chacune des régions du Québec, ces Centres – qui offrent également des consultations de groupes – ont néanmoins été jugés « énormément ou très utiles » par la majorité de leurs usagers.

Pourquoi les fumeurs boudent-ils les services d’abandon du gouvernement, s’est interrogé Info-tabac? « En fait, on ne peut pas vraiment dire que les fumeurs boudent, relativise Mme Montreuil, parce qu’on n’avait pas d’attentes quant à la proportion exacte de fumeurs qui devraient les utiliser. Si les trois services d’aide à l’arrêt tabagique gouvernementaux – et plus particulièrement la Ligne et les Centres d’abandon du tabagisme – sont peu utilisés au Québec, il n’en demeure pas moins que, selon la littérature scientifique, leurs taux d’utilisation sont semblables à ce que l’on retrouve ailleurs dans le monde. »

La médication, plus populaire que le counselling

Si peu de fumeurs profitent des conseils gratuits qui leur sont proposés pour se libérer de la cigarette, ils sont toutefois nombreux à se tourner vers les aides pharmacologiques pour diminuer les effets de leur sevrage. Selon l’Enquête de surveillances de l’usage du tabac au Canada (ESUTC) de 2005, 43 % des tentatives d’arrêt québécoises se font avec médication.

Connus par 99 % des fumeurs et généralement « très appréciés », les timbres transdermiques sont les aides pharmacologiques les plus populaires. Les auteurs de l’étude estiment qu’environ 450 000 fumeurs et anciens fumeurs les ont employés au cours des années 2004 et 2005. Presque aussi encensée, la gomme était connue de 97 % des répondants et 158 000 personnes l’auraient essayée. Un peu moins populaire, mais tout de même jugé « très utile », le bupropion (un antidépresseur obtenu seulement sous ordonnance et commercialisé sous le nom de Zyban) aurait été expérimenté par environ 46 000 fumeurs au cours de la même période.

Programme de couverture : utilisé et apprécié

Depuis 2000, les trois produits mentionnés précédemment sont couverts par le Régime général d’assurance médicaments et les assureurs privés s’ils sont prescrits. Chaque année, le gouvernement du Québec consacre en moyenne 11 millions $ au financement de ce programme. Si la plupart (82 %) des répondants savaient que les timbres de nicotine sont couverts, ils étaient beaucoup moins au courant (41 %) que la gomme l’est aussi. Quant au bupropion, 65 % des personnes interrogées connaissaient ses modalités de remboursement.

Selon le rapport de l’INSPQ, environ 80 % des fumeurs qui ont reçu une prescription pour l’un ou l’autre de ces médicaments se sont prévalus du remboursement. Et il semble que le programme soit plutôt apprécié puisque 70 % de ceux qui en ont bénéficié considèrent qu’il les a encouragés à essayer ces produits pour tenter de vaincre leur dépendance.

Limites de l’évaluation

Bien qu’elle offre un portrait global et instantané de la situation actuelle, l’évaluation de l’INSPQ ne formule cependant aucune recommandation. Ses auteurs précisent que d’autres études seront nécessaires avant de pouvoir le faire et de peut-être déterminer pourquoi les fumeurs sont aussi peu nombreux à utiliser les ressources gratuites mises à leur disposition.

Le rôle des professionnels de la santé

En plus d’évaluer les services d’arrêt gouvernementaux et le Programme de couverture des aides pharmacologiques, une partie du sondage portait sur le counselling offert par différents professionnels de la santé. À ce propos, bon nombre de fumeurs et d’ex-fumeurs considèrent que fournir des conseils aux personnes qui veulent se libérer du tabagisme fait partie du rôle de ces intervenants.

Parmi les professionnels compris dans l’étude (dentistes, hygiénistes dentaires, infirmières, inhalothérapeutes, médecins et pharmaciens), les médecins seraient ceux qui s’informent le plus souvent du statut tabagique de leurs patients et de leur intention d’arrêter de fumer. Toutefois, peu d’entre eux offriraient un suivi ou les dirigeraient vers les services mis en place par le gouvernement, et ce, même si une enquête menée en 2005 a révélé que la moitié des omnipraticiens connaissent leur existence.

Notons qu’au moment ou le sondage a été conduit, les médecins n’étaient pas encore rémunérés pour les conseils antitabac qu’ils fournissent à leurs patients. Depuis janvier 2007, cet acte médical donne 30 $ à ceux qui le pratiquent (maximum une fois par année par patient). De plus, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec a produit, en collaboration avec le gouvernement, un formulaire de traitement adapté au stade de changement du fumeur. On peut le télécharger (en anglais et en français) via les liens Internet du bulletin Info-tabac no 70.

La moitié du budget pour l’arrêt

Environ la moitié du budget antitabac du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec est dédié à l’abandon du tabagisme. En 2005-2006, quelque 11 millions $ ont été alloués au remboursement des aides pharmacologiques et près de 5 millions $ ont servi à financer le PQAT.

Josée Hamelin