Les experts ne sont pas tous certains du lien

Exposition à la fumée secondaire et cancer du sein
La preuve est faite que les fumeuses sont plus souvent frappées que les non-fumeuses par le cancer du sein. Toutefois, les liens de cause à effet ne sont pas toujours aisés à établir dans le domaine de la santé publique. En témoigne la controverse soulevée à Mumbai, lors d’un colloque de la 14e Conférence mondiale sur le tabac OU la santé, par une remarque de Sir Richard Peto, professeur au département de statistique médicale et d’épidémiologie de l’Université d’Oxford, en Angleterre.

« Le tabagisme passif ne cause pas le cancer du sein. Et les chercheurs et intervenants qui le prétendent doivent cesser de le faire », s’est exclamé l’épidémiologiste anglais de renommée internationale, en s’écartant de son exposé, qui portait plutôt sur les énormes coûts mondiaux du tabagisme actif et passif ainsi que sur les avantages mesurables du renoncement au tabac. Le professeur Peto a commenté brièvement une diapositive concernant le lien entre l’exposition à la fumée secondaire de tabac et le cancer du sein, un lien examiné dans un article de juin 2008 par la statisticienne Kirstin Pirie et d’autres auteurs, à partir de données de la Million Women Study, un vaste projet de recherche mené au Royaume-Uni.

Sir Richard Peto a conclu son exposé peu de temps après avoir asséné sa remarque et, comme il arrive souvent dans des conférences scientifiques à l’horaire trop chargé, le président de séance a aussitôt fait débuter l’exposé suivant, puis la série d’allocutions s’est achevée, sans que l’auditoire ait le temps de demander un éclaircissement. Les auditeurs se sont alors dispersés.

Mais chez des participants à la conférence au courant des recherches canadiennes, le propos du professeur d’Oxford a été reçu avec scepticisme.

L’analyse de Ken Johnson

Quelques heures après la remarque de Richard Peto, dans un autre colloque, l’épidémiologiste Kenneth C. Johnson a parlé de la méta-analyse que mène un groupe d’experts au Canada afin d’examiner la relation entre la fumée secondaire et le cancer du sein.

Ken Johnson travaille comme chercheur à l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) et est un des scientifiques à avoir étudié depuis longtemps le lien entre les deux variables.

Pour l’épidémiologiste canadien, cinq grands critères servent à établir une relation de causalité :

1– la force de l’association (Y a-t-il des données probantes tirées de vraies expériences menées chez les humains?)

2– la séquence temporelle (La relation temporelle est-elle correcte ? La maladie suit-elle l’exposition?)

3– la cohérence dans la répétition (L’association est-elle constante d’une étude à l’autre?)

4– la spécificité (Y a-t-il un gradient dosage-réponse? L’association est-elle spécifique?)

5– la cohérence de l’explication (L’association est-elle logique du point de vue épidémiologique et du point de vue biologique? Est-ce qu’elle correspond à des liens causaux antérieurement prouvés?)

Sans toujours répondre par un oui catégorique à toutes ces questions, Ken Johnson a traité de tous ces aspects, puis a poussé plus loin son examen de certaines faiblesses de la Million Women Study. Le principal point faible de l’étude britannique est la mesure de l’exposition à la fumée secondaire à l’âge adulte. La Million Women Study a posé une question pour évaluer l’exposition à la fumée du tabac à l’âge adulte : « Votre conjoint actuel fume-t-il? ». Si l’on tient compte du fait que toutes les femmes de cette étude étaient âgées de plus de 50 ans, cette question pourrait ne pas être un bon indicateur de leur exposition totale durant la vie adulte. En fait, on a constaté, à partir de cette question, que seulement 11 % des femmes de l’étude avaient été exposées à la fumée secondaire en tant qu’adulte. Cette proportion est très inférieure aux estimations de la prévalence du tabagisme passif chez les adultes obtenues dans d’autres études menées au Royaume-Uni.

Lors de sa présentation, le chercheur de l’ASPC a montré comment une sous-estimation (ou classement erroné) de l’exposition pourrait avoir une répercussion sur les résultats d’un calcul du risque relatif. Un classement erroné de 20 % pourrait transformer un résultat important en un résultat sans signification statistique. « Une sous-estimation de cette ampleur entraînerait sans contredit les résultats obtenus par Pirie et compagnie. »

Ken Johnson pense qu’avec une évaluation plus précise de l’exposition, le tabagisme passif et le tabagisme actif peuvent tous deux apparaître comme des facteurs de risque du cancer du sein chez les femmes préménopausées.

Nuances

Richard Peto ne doute probablement plus du fait que le tabagisme passif tue certaines personnes. Mais, pour lui comme pour Ken Johnson, il s’agit de savoir qui exactement et combien.

Sans attendre la parution prochaine des résultats du groupe d’experts canadien, l’Agence californienne de protection de l’environnement a déjà conclu que le tabagisme passif augmente le risque de cancer du sein chez les femmes préménopausées plus jeunes. L’Hygiéniste en chef (Surgeon General) des États Unis a pour sa part affirmé que les données probantes ne sont pas concluantes, mais suggestives.

Le tabagisme accroît le risque de cancer du sein, affirme un groupe d’experts du Canada

Six semaines après la Conférence de Mumbai, le groupe d’experts auquel l’article ci-contre fait allusion a publié les conclusions de sa méta-analyse de plus d’une centaine d’études sur le lien entre le tabagisme actif ou passif et le cancer du sein.

Une conclusion ressort clairement : l’exposition à la fumée secondaire du tabac, même modérée mais fréquente, acccroît pour une femme le risque d’être atteinte par la célèbre maladie. Ce risque est accru de 40 à 50 % chez les femmes plus jeunes et préménopausées. Il peut s’agir d’un tabagisme passif subi tôt dans la vie d’une non-fumeuse, qui aura un effet dans sa trentaine, sa quarantaine ou sa cinquantaine.

Le porte-parole du groupe d’experts, le Dr Anthony Miller, professeur à l’École de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto, fait aussi remarquer que le tabagisme actif d’une femme, à tout âge, accroît de 50 à 70 % son risque d’être atteinte du cancer du sein.

Robert Walsh, directeur exécutif du Conseil canadien pour le contrôle du tabac