Les élections hâtives enrayent la lutte fédérale contre le tabagisme
Automne 2000 - No 34
En déclenchant hâtivement le processus électoral, le premier ministre Jean Chrétien a enrayé deux actions très prometteuses pour la réduction du tabagisme au pays. Son gouvernement n’a encore donné aucune suite au projet de loi S-20, lequel créerait une fondation contre le tabagisme juvénile, et il n’a pas augmenté les taxes sur les cigarettes, tel qu’attendu en octobre.
De plus, le minibudget du ministre des Finances Paul Martin, dévoilé quatre jours avant le déclenchement des élections du 27 novembre, ne comprenait aucune hausse aux maigres 20 millions $ octroyés à la lutte contre le tabagisme, malgré les milliards $ en surplus.
Les principaux organismes concernés déplorent l’inertie persistante du ministère des Finances qui néglige les objectifs de Santé Canada en matière de lutte antitabac. Ils ont publié une série de quatre annonces dans le Hill Times d’Ottawa du 16 octobre, réitérant la nécessité d’un programme bien financé pour contrer le tabagisme, comme celui prévu par le projet de loi S-20.
Et le 18 octobre, par voie de communiqué, trois de ces groupes ont dénoncé le minibudget du ministre Martin. « L’énoncé économique d’aujourd’hui ne fait strictement rien pour contrer l’épidémie du tabac, pourtant la première cause de maladies et de décès évitables au pays », ont conjointement fait valoir l’Association pour les droits des non-fumeurs, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac et la Société canadienne du cancer.
Le S-20 adopté au Sénat
Fortement appuyé à travers tout le pays, le projet de loi S-20 fut adopté à l’unanimité par le Sénat le 6 octobre. Cette initiative du sénateur libéral Colin Kenny créerait une fondation pour combattre le tabagisme juvénile, indépendante du gouvernement et financée par un prélèvement sur les ventes des produits du tabac, de l’ordre de 360 millions $ par année.
À la suite du déclenchement des élections, ce projet est mort au feuilleton du Sénat, même s’il n’avait pas encore été déposé à la Chambre des communes. Son parrain, M. Kenny, a l’intention de le soumettre à nouveau au Sénat dès le début de la prochaine législature, a précisé son adjointe Donna Routliffe. L’adoption renouvelée du Sénat et le dépôt en Chambre devraient s’effectuer assez rapidement, prévoit-elle.
Appui de deux fabricants
Étrangement, à l’instar de la communauté de la santé, deux des trois grands fabricants canadiens de cigarettes soutiennent eux aussi l’initiative du sénateur Kenny. Ces trois compagnies viennent de publier des annonces dans des quotidiens canadiens pour étayer leurs points de vue.
Imperial Tobacco indique entre autres dans sa publicité : « Nous l’appuyons à 100 %. Le projet de loi S-20 est une importante loi présentée au Sénat du Canada. » Le géant canadien du tabac suggère même aux lecteurs de supporter le S-20 auprès de leurs députés; il dispose d’une ligne dédiée de renseignements, le 1-888-495-4044. L’annonce de JTI-Macdonald, fabricant des ExportA’, est également claire et engageante. Elle est titrée : « Nous appuyons le Projet de loi S-20. Et nous avons besoin de votre aide! »
Par contre, le troisième fabricant fait bande à part. Alors que son président endossait les objectifs de la fondation devant un comité sénatorial en juin, la compagnie Rothmans, Benson & Hedges s’en dissocie maintenant formellement. « Le projet de loi S-20 financerait les mêmes groupes de pression et les mêmes programmes qui ont échoué par le passé. Pourquoi faudrait-il jeter encore plus dargent à ces groupes si le but véritable est de comprendre les causes du tabagisme chez les mineurs et délaborer de meilleurs programmes pour le combattre », soutient-elle.
Annonces dans Hill Times
En réponse à ces publicités publiées à grands frais à travers le pays, et pour faire le point sur le projet de loi S-20, une trentaine de groupes de santé, réunis sous la bannière « Campagne nationale Le Tabac ou les Jeunes », ont placé une série de quatre annonces d’une page dans l’hebdomadaire anglophone Hill Times, lequel est consulté par les députés fédéraux et leur entourage.
Disposés à droite sur quatre pages consécutives pour un impact maximum, ces messages résument entre autres les méfaits du tabagisme au pays, et les succès qu’ont remporté des programmes complets de réduction, comme ceux de Californie et du Massachusetts. Le titre de la troisième annonce est limpide : « Le gouvernement fédéral dépense moins de 1 $ pour prévenir les maladies liées au tabac pour chaque 100 $ qu’il récolte en taxation du tabac. Il devrait en avoir honte. » La série se termine ainsi : « Nous demandons aux députés de relever le défi de l’industrie. Appuyez le projet de loi S-20. Ou, si des élections empêchent son adoption, soutenez l’an prochain une loi alternative qui répondra aux mêmes besoins de santé publique. »
Parmi les 27 signataires des annonces, en plus des trois organismes cités plus tôt, on trouve notamment l’Association pour la santé publique du Québec, le Conseil québécois sur le tabac et la santé, et la Fédération québécoise du Sport Étudiant.
Promesse libérale
Assuré, selon les sondages, de rester au pouvoir à la fin de novembre, le Parti libéral de Jean Chrétien promet de continuer à combattre l’usage du tabac, sans toutefois chiffrer ses engagements. Tirées du Plan d’action libéral, dévoilé le 31 octobre, les trois pages traitant de la santé se terminent ainsi : « Nous renforcerons aussi les efforts nationaux de lutte contre le tabagisme en haussant les taxes sur le tabac, en adoptant une réglementation plus sévère et en améliorant les programmes de prévention et d’abandon du tabagisme. »
Seul l’avenir dira à quel point le futur ministre de la Santé respectera cette promesse, et quel budget il obtiendra de son collègue des Finances pour ce faire.
Denis Côté