Les cigarettiers ne peuvent plus rejeter sur Ottawa le blâme pour leurs agissements

Arrêt unanime de la Cour suprême du Canada
Les contribuables canadiens n’auront pas à participer, par le biais de leurs taxes, cotisations et impôts fédéraux, au paiement de dommages et intérêts que des gouvernements provinciaux et des collectifs de victimes du tabac réclament à l’industrie du tabac et finiront peut-être par obtenir.

Dans un arrêt unanime rendu le 29 juillet, les neuf juges de la Cour suprême du Canada ont définitivement mis le gouvernement fédéral hors de cause en tant que partie défenderesse dans ces affaires.

Étant donné la décision sans appel de la Cour suprême, les compagnies de tabac, aidées par les multinationales qui possèdent les trois plus grosses d’entre elles, devront désormais se défendre seules dans des affaires judiciaires où des centaines de milliards de dollars canadiens leur sont réclamés conjointement, surtout en rapport avec le recouvrement des coûts des soins de santé que les gouvernements provinciaux ont dû débourser à cause des personnes rendues malades par l’usage du tabac.

La politique du gouvernement canadien vise la protection de la santé publique et celui-ci n’est donc pas responsable des maladies liées au tabac, a statué grosso modo la Cour suprême du Canada.

Les reproches adressés par les demandeurs à l’industrie du tabac ne sont pas seulement d’avoir vendu et de vendre des produits nocifs pour la santé et qui créent de la dépendance, mais de savoir tout cela depuis plusieurs décennies, d’avoir omis d’en avertir par elle-même les consommateurs, et d’avoir agi au contraire pour dissimuler les tristes faits (en allant jusqu’à détruire des preuves) et retarder au maximum la prise de conscience du grand public.

Avant le jugement du 29 juillet, Imperial Tobacco Canada (ITC), Rothmans Benson and Hedges (RBH) et JTI-Macdonald (JTI-Mac), les trois principaux cigarettiers au pays, tentaient depuis 2007 (dès 2004 dans le cas d’ITC) de faire déclarer le gouvernement d’Ottawa responsable de leurs propres pratiques, entre autres parce que ce dernier leur aurait prétendument fait certaines déclarations inexactes sur les dangers sanitaires du tabac. Un tribunal de première instance avait rejeté toutes les prétentions de l’industrie, puis la Cour d’appel de la Colombie-Britannique les avait accueillies en partie, d’où l’appel du Procureur général du Canada, et l’appel parallèle des grands cigarettiers, devant la Cour suprême du pays. Grosso modo, l’arrêt de la Cour rédigé par la juge en chef Beverley McLachlin établit que la « politique générale du gouvernement » visait de façon trop évidente la protection de la santé publique et la diminution des dommages sanitaires du tabagisme pour que les cigarettiers puissent dénoncer une négligence ou un défaut de mise en garde de la part du gouvernement qui les aurait induits en erreur au point qu’ils puissent prétendre avoir agi comme ils ont agi. Le jugement rejette systématiquement tous les arguments d’ITC, de RBH et de JTI-Mac.

C’est depuis 1998 que tous les fournisseurs de produits du tabac en Colombie-Britannique sont poursuivis en justice par le gouvernement de cette province. À la réclamation de dédommagements du gouvernement de Victoria s’en sont ajoutées plusieurs autres, qui sont elles aussi toujours pendantes. Il y a d’abord, depuis 2003, celle présentée à ITC en particulier par un collectif de victimes des cigarettes « légères » et « douces » en Colombie-Britannique (cause Knight). Il y a ensuite, depuis 2005, les réclamations présentées à la triade ITC, RBH et JTI-Mac par deux collectifs de victimes au Québec (causes Létourneau et CQTS). Viennent enfin les réclamations de quatre gouvernements canadiens qui ont imité la Colombie-Britannique en demandant des comptes à l’ensemble de l’industrie. Il s’agit du Nouveau-Brunswick (2008), de l’Ontario (2009), de Terre-Neuve-et-Labrador et du Manitoba (2011). Et la liste promet de s’allonger. Toutes les législatures provinciales, y compris l’Assemblée nationale au Québec, ont adopté depuis 2001 des lois pour faciliter des poursuites à venir et dont seulement cinq sont maintenant lancées.

Pierre Croteau