Les agents de bord américains acceptent un règlement hors cour avec l’industrie du tabac

À la surprise générale, une entente à l’amiable est intervenue le 10 octobre dans la cause Broin, le recours collectif en Floride opposant 60 000 agents de bord non-fumeurs à l’industrie du tabac.

Pour le moment, les cigarettiers ne verseront pas un sou aux agents de bord, qui les accusaient d’être responsables des dommages de santé provoqués par les concentrations élevées de fumée de tabac dans l’environnement (FTE) notées dans les avions américains avant l’interdiction de fumer sur les vols intérieurs en 1990. Pour obtenir des dommages-intérêts, les agents devront intenter des poursuites individuelles.

Par contre, l’industrie a accepté de remettre 300 millions $ U.S. à une nouvelle fondation de recherches sur les maladies associées au tabagisme. Cette fondation portera le nom de la plaignante Norma Broin, une agente de bord qui n’avait jamais fumé une cigarette mais qui a failli mourir d’un cancer du poumon.

Pour leur part, les avocats de Mme Broin, Stanley et Susan Rosenblatt, recevront 49 millions $ pour couvrir leurs dépenses et leurs honoraires. Les époux Rosenblatt travaillent presque à plein temps sur la cause Broin depuis près de six ans, et ont annoncé leur intention de faire don de 25 % de leurs honoraires à des organismes de charité.

Certains observateurs ont critiqué le comportement des Rosenblatt, qui se seraient enrichis sans rien obtenir en compensations pour leurs clients.

Il reste que les cigarettiers ont dû accepter de faire deux concessions importantes. Premièrement, ils ne pourront plus invoquer la prescription (c’est-à-dire l’expiration des délais prévus pour intenter une poursuite) pour faire rejeter un recours individuel; une agente de bord qui est tombée malade suite à l’exposition à la FTE durant les années 1930 ou 1940 pourra encore traîner l’industrie devant les tribunaux.

Deuxièmement, l’industrie a accepté le renversement du fardeau de la preuve par rapport à un certain nombre de maladies respiratoires liées à la FTE, dont le cancer du poumon, l’emphysème et la sinusite chronique. Un agent de bord atteint d’une de ces maladies n’aura donc plus à prouver qu’elle a été causée par l’exposition à la FTE; ce sera plutôt à l’industrie de prouver le contraire.

Pourquoi un règlement hors cour?

On ne sait toujours pas avec précision quelles raisons ont incité les compagnies de tabac à offrir un règlement hors cour, après quatre mois de délibérations devant jury.

On évoque deux événements qui auraient fait pencher la balance du côté des plaignants. Trois jours avant l’annonce du règlement, le juge Robert Kaye a refusé d’admettre le témoignage d’un physicien qui prétend que les agents de bord sont exposés à des niveaux élevés de radiations cosmiques, ce qui serait plus cancérogène que la FTE. Le lendemain, un épidémiologiste, appelé comme témoin par la défense, a tout de même confirmé qu’il existe une relation statistique entre l’exposition à la FTE et les maladies cardio-vasculaires.

Il ne faut pas non plus oublier le contexte politique : l’industrie du tabac cherche toujours désespérément à sauver ce qui reste de son « entente globale » avec les procureurs généraux des États. Une défaite dans la cause Broin aurait donné un meilleur rapport de force aux adversaires de l’entente, qui prétendent que les États ont de bonnes chances d’obtenir gain de cause en cour.

D’ailleurs, il devient de plus en plus probable que les cigarettiers abandonneront la ligne dure au Texas, où ils avaient juré d’aller se battre en cour contre le procureur général de cet État, qui a la réputation d’avoir des jurés plus sympathiques à l’industrie. Le procès texan, dans lequel l’État réclame des compensations de 14 milliards $ U.S., devrait commencer bientôt, mais la confiance des avocats des cigarettiers semble quelque peu ébranlée depuis qu’une cour d’appel fédérale a refusé d’invalider la manière de procéder établie par le juge de première instance.

Celui-ci propose de faire un procès en trois parties. La première concernerait les tactiques de désinformation pratiquées par l’industrie au sujet des risques posés par la cigarette; par la suite, le procureur général et l’industrie débattraient de preuves médicales concernant ces risques de santé et la question de la dépendance; en troisième partie viendrait le débat sur le montant des compensations à verser, s’il y a lieu.

Cette manière de procéder complique la tâche des avocats de l’industrie, qui ne pourront pas avoir recours à leur stratégie habituelle – invoquer la responsabilité assumée « librement » par le fumeur – dans la première partie des procédures.

Au tour des croupiers?

Le règlement hors cour intervenu dans la cause Broin est loin de mettre fin aux procès reliés à la FTE. Au Nevada, neuf croupiers ont intenté une poursuite qu’ils entendent transformer en recours collectif au nom de 45 000 croupiers qui travaillent ou qui ont travaillé dans un des nombreux casinos que compte cet État.

Francis Thompson