Le tabac : nocif pour les neurones, les enfants, les fermiers…

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Le tabac affecte la matière grise et augmente les risques de démence.
Au-delà des maladies qui lui sont traditionnellement associées, le tabac a des effets nocifs – et inattendus – sur la santé mentale et physique des fumeurs et de leur entourage.

On sait que le tabac occasionne plus de trois cancers du poumon sur quatre et représente une cause majeure des maladies coronariennes. On sait moins qu’il joue aussi un rôle dans les troubles d’apprentissage, la démence, les complications postopératoires et la santé des tabaculteurs. Tour de piste des études récentes sur ces questions.

Plus de fumée, moins de matière grise

Les fumeurs ont un cortex plus mince dans la région orbitofrontale de leur hémisphère gauche, rapporte une équipe européenne dans biological Psychiatry. Cette région du cerveau, située derrière l’œil gauche, est responsable de pensées complexes comme la prise de décision et le contrôle de soi. L’étude, dirigée par Simone Kühn, a comparé les cortex d’une vingtaine de fumeurs à ceux d’une vingtaine de non- fumeurs. Les analyses montrent que plus un fumeur consomme de cigarettes chaque jour – et plus il le fait depuis longtemps –, plus sa matière grise perd des millimètres.

Ces données sont corrélationnelles, avertissent toutefois les chercheurs. En clair : elles ne disent pas si c’est la dépendance au tabac qui amincit le cortex, ou un cortex moins épais qui favorise la dépendance au tabac. Ce qui est certain : un cortex orbitofrontal moins charnu entraîne typiquement des prises de décisions risquées comme… fumer!

Fumer jusqu’à en perdre la tête

Fumer augmente aussi les risques de démence, nous indiquent Minna Rusanen et ses collègues dans archives of Internal Medecine. Plus précisément, ces scientifiques scandinaves et américains ont constaté que brûler chaque jour un demi à deux paquets de cigarettes augmente d’environ 35 % le risque de souffrir de démence. La consommation quotidienne de plus de deux paquets double quant à elle le risque de recevoir ce diagnostic ou celui de la maladie d’Alzheimer. La relation est linéaire, précisent les chercheurs : plus on fume, plus on risque de perdre la raison.

Ces conclusions sont basées sur les dossiers médicaux de 21 000 Américains. Environ la moitié d’entre eux fumaient ou étaient d’anciens fumeurs, tandis que le quart avait reçu un diagnostic de démence. « Il est bien connu que fumer augmente le stress oxydatif [c’est-à-dire des radicaux libres] et l’inflammation, lesquels seraient […] des mécanismes pathologiques importants dans la maladie d’alzheimer », écrivent les chercheurs pour expliquer leurs résultats. Le tabac nuit également à l’oxygénation des tissus, ce qui pourrait aussi contribuer à la maladie.

Dans les 30 jours suivant leur chirurgie, ceux qui étaient accros au tabac depuis plus de 10 ans étaient 100 % plus susceptibles de souffrir d’une pneumonie.

Le tabac n’affecte pas que la santé mentale. Comme l’ont constaté Alparslan Turan et son équipe, les fumeurs subissent plus de complications postopératoires que les non-fumeurs. Les chercheurs américains ont examiné les dossiers de 82 300 fumeurs et de 82 300 non-fumeurs passés sous le bistouri. Dans les 30 jours suivant leur chirurgie, ceux qui étaient accros au tabac depuis plus de 10 ans étaient 100 % plus susceptibles de souffrir d’une pneumonie; 80 % plus sujets aux crises cardiaques et 40 % plus à risque… de décéder, écrivent les scientifiques dans anesthesiology. Et encore, M. Turan et son équipe n’ont pas retenu pour leurs analyses les malades qui avaient été opérés pour des troubles cardiaques ou qui souffraient de pneumonie avant l’opération!

Le tabac ne nuit pas qu’aux fumeurs. Il affecte aussi la santé des enfants. Et cela dépasse l’asthme – et de loin.

Papas fumeurs, enfants leucémiques

Le tabac ne nuit pas qu’aux fumeurs. il affecte aussi la santé des enfants. Et cela dépasse l’asthme – et de loin. Ainsi, une recherche australienne a établi une corrélation entre l’incidence de leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) chez un enfant et le tabagisme de son père au moment de la conception. La LAL est le cancer le plus fréquemment diagnostiqué chez les enfants.

L’étude, parue dans l’American Journal of Epidemiology, compile les résultats d’une dizaine de recherches portant sur les liens entre LAL et tabagisme paternel. Elizabeth Milne et son équipe ont aussi mené leur propre recherche au sujet du tabagisme auprès d’environ 1200 parents d’enfants de moins de 15 ans. Au final, leurs analyses montrent que les jeunes dont le papa fumait au moment de la conception ont 15 % plus de risques de contracter une LAL. Ces risques grimpent à 44 % si leur père fumait quotidiennement 20 cigarettes ou plus.

Une relation causale entre le tabagisme des pères et l’incidence d’une LAL infantile est plausible, écrivent les chercheurs, puisque « la fumée de tabac est connue pour causer des dommages à l’ADN du sperme. »

Parents fumeurs, enfants hyperactifs

Le tabagisme des parents affecterait aussi la santé mentale de leurs rejetons. C’est ce que conclut une étude irlando-américaine de Pediatrics. Cette recherche, dirigée par Hillel Alpert, établit un lien entre le tabagisme parental et les troubles hyperactifs de leurs enfants. L’équipe a examiné les cas d’environ 55 500 enfants âgés de 11 ans ou moins. Selon les analyses, ceux qui respirent de la fumée secondaire dans leur résidence ont 50 % plus de risques – comparativement à leurs camarades vivant dans des maisons sans fumée – d’être atteints d’au moins une maladie liée à l’hyperactivité, comme un problème d’apprentissage ou un trouble de comportement.

Bien qu’elles ne soient pas causales elles non plus, ces données font réfléchir. Et procurent peut-être une autre bonne raison… d’abandonner le tabac.

Le tabac : nocif pour les cultivateurs et l’environnement

Le tabac nuit aussi… aux tabaculteurs. C’est ce qu’affirme dans Tobacco Control une équipe internationale dirigée par la chercheuse canadienne Natacha Lecours. Ainsi, ceux qui manipulent des feuilles de tabac humides sont sujets à la maladie du tabac vert parce que leur peau absorbe de trop fortes doses de nicotine. Les symptômes : nausées, maux de tête et arythmie cardiaque, entre autres.

Pays producteurs de tabac, pays en voie de développement

Ces impacts négatifs du tabac sont exacerbés par le fait que celui-ci est principalement cultivé dans des pays en voie de développement. Dans ces pays, en effet, les travailleurs agricoles sont mal équipés. Ils courent donc plus de risques en manipulant des pesticides ou des feuilles de tabac.

Enfin, les chercheurs notent que plusieurs tabaculteurs sont de petits paysans. Même s’ils ont peu de moyens, ils doivent respecter les exigences de production des grands cigarettiers. Comme utiliser certains engrais ou pesticides vendus… par les cigarettiers! Au final, « les revenus [que les fermiers] gagnent par la voie de ce système suffisent à peine à assurer leur subsistance », concluent les chercheurs.

Anick Labelle