Le gouvernement Charest est satisfait de la Loi mais n’a pas fermé la porte à des améliorations

Sept groupes pro-santé réclament des renforcements
En vertu de la Loi sur le tabac elle-même, le ministre de la Santé et des Services sociaux était tenu cet automne de rendre compte à l’Assemblée nationale de la mise en œuvre de cette loi depuis 2005, et c’est ce qu’a fait le ministre Yves Bolduc le 18 octobre.

Le bilan des cinq dernières années dressé par le Dr Bolduc est plutôt positif. En 2005, le ministre de la Santé de l’époque, Philippe Couillard, avait lui aussi fait un rapport globalement positif de l’application de la loi de 1998, mais annoncé d’un même souffle des renforcements qu’il souhaitait, lesquels furent l’objet de consultations publiques et finalement approuvés à l’unanimité par les députés. Tout cela en six mois.

Rien n’oblige légalement le ministre Yves Bolduc à se presser autant que son prédécesseur. N’empêche que dès le 2 novembre 2009, alors même que la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) accaparait l’attention de la presse et du grand public, à l’occasion d’une conférence pancanadienne sur le tabagisme tenue à Montréal, le ministre québécois de la Santé s’était  fait chaleureusement applaudir en affirmant notamment que : « Nous examinons différentes avenues sur de possibles changements législatifs et renforcements à la Loi  [sur le tabac ] »

Très bien respectée dès le 31 mai 2006, l’interdiction de fumer dans les restaurants et les bars est un fleuron de la Loi sur le tabac.

Plus d’onze mois plus tard, dans un communiqué émis le jour du dépôt de son rapport à l’Assemblée, le ministre Bolduc déclare que celui-ci « aidera le gouvernement à poursuivre sa réflexion sur les meilleures façons d’accompagner la société québécoise vers l’atteinte de l’objectif d’un avenir sans tabac ».

Quant à elles, sept organisations pro-santé qui militent contre l’usage du tabac invitent le gouvernement à réviser la Loi sans plus tarder, et constatent entre autres que le nombre des Québécois qui fument a cessé de diminuer.

Des progrès remarquables

Dans son rapport, le ministre Bolduc remarque que la Loi sur le tabac est massivement respectée par les Québécois. Les inspecteurs du Service de lutte contre le tabagisme du ministère de la Santé et des Services sociaux ont observé que l’interdiction de fumer est maintenant respectée dans 90 % des milieux de travail fermés, dans 96 % des restaurants, dans 95 % des bars, dans 92 % des bingos, dans 92 % des stationnements intérieurs et dans 89 % des hôtels. Pour sa part, l’interdiction de fumer dans un rayon de neuf mètres des entrées de certains lieux est respectée dans 67 % des cas. Et voilà de quoi réjouir les non-fumeurs.

Progrès aussi sur le front de la débanalisation des produits du tabac : ceux-ci sont maintenant soustraits de la vue du public dans 89 % des points de vente, à la suite de l’entrée en vigueur, le 31 mai 2008, d’une disposition en ce sens prévue par la législation de 2005. De plus, un règlement appliqué depuis juillet 2008 est venu nuire à la vente à l’unité des cigarillos, sans l’interdire, en obligeant le consommateur qui désire s’en procurer à acheter du même coup pour un total d’au moins 5 $ de produits du tabac (montant relevé à 10 $ à partir de juin 2009). Le rapport ministériel souligne d’ailleurs que la proportion des élèves du secondaire qui fument le cigarillo est redescendue en 2008 de son sommet atteint en 2006, selon une enquête de l’Institut de la statistique du Québec.

Renforcements demandés

Constatant que les cigarillos aromatisés sont encore en vente au Québec, et que le tabac aromatisé sert surtout à créer de nouvelles générations de personnes dépendantes de produits toxiques, sept organisations pro-santé revendiquent le bannissement de tout arôme ou saveur dans tous les produits du tabac, peu importe leur poids, et qu’ils soient fumés, prisés, sucés ou chiqués. Plus globalement, les sept organisations exigent aussi que l’industrie se voie interdire de lancer de nouveaux produits du tabac ou de nouvelles marques (gel du marché) et interdire de promouvoir ses marques ou le tabagisme, sur Internet ou ailleurs (zéro promotion); et elles réclament des normes gouvernementales pour obliger l’uniformisation et la neutralisation des emballages de produits du tabac, des emballages qui servent actuellement d’annonces ambulantes et qui véhiculent des messages rassurants et trompeurs.

Rappelons que l’emballage neutre est l’objet d’une directive d’application de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, un traité international que les députés de l’Assemblée nationale ont ratifié à l’unanimité le 18 décembre 2004. Si le Québec souhaite affirmer sa compétence législative sur le front de la prévention des maladies, de vastes champs d’action s’offrent encore à lui.

Toutes les mesures de débanalisation du tabac ci-haut mentionnées sont réclamées par le Réseau du sport étudiant du Québec, la division du Québec de la Société canadienne du cancer, l’Association pulmonaire du Québec, le Conseil québécois sur le tabac et la santé, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, le bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs et l’Alliance pour la lutte au tabagisme des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches.

Ces mêmes sept organismes s’accordent aussi à demander au gouvernement Charest une extension du projet VITAL à toutes les régions du Québec, afin de combattre localement les réseaux de distribution du tabac en contrebande, ainsi qu’une interdiction de fumer dans les aires communes des immeubles de deux à six logements, sur les terrains de jeu destinés aux enfants, dans les véhicules routiers avec une personne de moins de 16 ans à bord, dans les résidences collégiales et universitaires, de même que sur les terrasses de bars et restaurants. En ce qui concerne les résidences privées où sont fournis des services de garde en milieu familial, les organismes pro-santé croient que l’interdiction de fumer ne devrait pas s’y limiter, comme dans la loi actuelle, « aux heures où les personnes qui offrent ces services y reçoivent des enfants ». Les connaissances scientifiques ont avancé durant le dernier lustre, et les recherches montrent plus clairement que jamais que les poisons de la fumée ont tendance à s’accumuler dans les moquettes, de même que dans les tissus des meubles, rideaux et vêtements.

S’attaquer à la demande

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT) déplore que le marché noir des cigarettes puisse servir de prétexte aux gouvernements pour ne pas intensifier les efforts visant à « changer les normes sociales à propos du tabac ». L’attrait pour les produits du tabac et le goût de les essayer sont d’abord suscités par l’industrie légale. Pour la CQCT, le meilleur exemple de ce phénomène est le cigarillo aromatisé, un produit qui n’existait même pas au Canada et dont personne n’avait besoin, quand les Parlements d’Ottawa et de Québec ont adopté les lois sur le tabac en 1997 et en 1998.

Si la demande pour le tabac recommence à diminuer parce que la réglementation le fait de mieux en mieux apparaître pour ce qu’il est, c’est-à-dire un poison et une coûteuse dépendance, la demande pour les cigarettes de contrebande suivra la même pente. Et les électeurs seront en meilleure santé.

Pierre Croteau