Le cigare, un produit d’exception?
Janvier-Février 2014 - No 99
Le gros cigare cubain, le petit cigare et le cigarillo saveur piña colada cocktail. Trois produits pour autant de types de fumeurs, mais un seul constat : leur exception à la Loi sur le tabac leur confère une fausse légitimité.
Avec son ambiance feutrée et ses fauteuils en cuir noir capitonnés, le salon de cigares du Whisky Café à Montréal transporte sa clientèle à une autre époque. À une époque où fumer faisait partie des habitudes, sans qu’on se soucie des effets néfastes sur la santé. Le cigare et ses dérivés doivent-ils être rattrapés par la réalité ou demeurer des exceptions du tabac?
Le Whisky Café a été épargné lors du resserrement de la Loi sur le tabac en 2006. Tout salon de cigares ou de chicha déjà en exploitation en mai 2005 et dont les revenus de la dernière année fiscale dépassaient 20 000 $ pouvait continuer à être exploité, du moment que le fumoir était isolé du reste de l’établissement et muni d’un système de ventilation adéquat. Une trentaine de salons de cigares ou de narguilé ont pu ainsi continuer de fonctionner en toute légalité. Des exceptions culturelles et financières, s’était justifié Québec.
Voilà pour la petite histoire. « À l’époque, les règles très contraignantes nous laissaient croire qu’il y aurait moins de salons de cigares et de chicha. Ça n’a pas été le cas », se désole la codirectrice de la Coalition pour le contrôle du tabac (CQCT), Flory Doucas. Elle se demande si les balises imposées par le gouvernement ont bel et bien été respectées.
Cette réglementation plus laxiste par rapport au cigare et aux produits fumés avec une pipe à eau s’est quand même faite au détriment de la santé des employés qui respirent pendant des heures d’affilée de la fumée, rappelle Mme Doucas. Notons que le cigare contient plus de goudron et de nicotine que la cigarette et est une des causes du cancer de la gorge et des voies respiratoires. « Les risques pour la santé reliés à la cigarette comme au cigare sont comparables. On tombe du 30e ou du 27e étage, mais le résultat est le même », ajoute Mme Doucas.
Avec la révision de la Loi sur le tabac qui est annoncée, est-ce que le gouvernement retirera l’exception pour les salons de cigares? Dans tous les cas, rien n’empêchera oncle Albert de fumer tranquillement chez lui les cigares qu’il rapporte de Cuba, comme 1 % des Canadiens de 15 ans et plus qui en consomment…
Bannir les cigares aromatisés
Bref, l’usage de tous les produits du tabac – cigares inclus – doit être découragé. Mais, à l’heure actuelle, les groupes de lutte contre le tabagisme dirigent surtout leurs efforts et leurs revendications politiques vers le petit cigare et les cigarillos aromatisés, dont les jeunes sont particulièrement friands.
Selon des chiffres de l’Université de Waterloo en Ontario, 23 % des Québécois de la sixième année du primaire à la 5e secondaire avaient en 2010-2011 déjà consommé un cigare, un petit cigare, ou un cigarillo.
Depuis le milieu des années 2000, l’engouement pour ces produits ne se dément pas. Au contraire. Les ventes de cigares et de cigarillos ont augmenté de 388 % au Québec de 2000 à 2011.
C’est beaucoup trop, selon la CQCT et d’autres organismes comme la Société canadienne du cancer qui ont pressé, l’été dernier, le gouvernement Marois de revoir au plus vite sa Loi sur le tabac pour que les produits aromatisés du tabac soient interdits. Selon eux, les compagnies de tabac ciblent les jeunes lorsqu’elles vendent des produits du tabac à la saveur de fraise-kiwi, chocolat-menthe ou encore melon d’eau.
« Si le gouvernement continue de permettre l’aromatisation de ces produits alors qu’il a restreint l’ajout des saveurs dans les cigarettes et petits cigares, ça banalise les dangers associés à leur usage et envoie un message légitimant leur consommation », croit Mme Doucas.
Anick Perreault-Labelle