Le Canada exige un réduction de l’inflammabilité des cigarettes

Le gouvernement fédéral obligera les compagnies de tabac à fabriquer des cigarettes qui s’éteindront d’elles-mêmes lorsqu’elles ne seront pas fumées. Grâce à l’adoption de la loi C-260 et à la prépublication d’un règlement du ministère de la Santé, le Canada deviendra peut-être le premier pays à réglementer le niveau d’inflammabilité des cigarettes.

Après plusieurs reports, la loi C-260, qui modifie la Loi sur les produits dangereux, a finalement reçu la sanction royale le 31 mars dernier. Proposé en 2000 par le député de Scarborough Est (Ontario), John MacKay, ce projet de loi privé permet l’adoption d’un règlement qui rendra les cigarettes moins susceptibles de causer des incendies. Ainsi, les marques qui ne satisferont pas à la norme d’inflammabilité fixée seront ajoutées à la liste des produits dangereux et leur vente sera interdite au Canada.

« Chaque année, une centaine de Canadiens meurent dans des incendies causés par des cigarettes et plus de 300 sont grièvement blessés, a indiqué le sénateur Yves Morin, qui a parrainé le projet de loi au Sénat. […] Les jeunes enfants et les vieillards, pour qui il est plus difficile de fuir les lieux, sont les plus durement frappés par ces incendies. »

« Quand une cigarette entre en contact avec une matière inflammable, […] une combustion lente s’amorce et le feu peut couver longtemps, avant que l’incendie se déclare dans un violent embrasement, a-t-il expliqué devant le Sénat. La fumée et les gaz toxiques qui émanent du feu couvant peuvent rendre les gens inconscients, ce qui accroît le risque de blessures ou de décès. »

Mesures préventives

Afin de réduire les risques d’incendies déclenchés par des cigarettes, les matelas, la literie et les meubles rembourrés doivent respecter des standards de non-inflammabilité. Munis d’un dispositif à l’épreuve des enfants, les briquets vendus au pays doivent, quant à eux, porter la mention bilingue : « Keep out of reach of children – Tenir hors de la portée des enfants. » Toutefois, même si ce type de sinistres est celui qui entraîne le plus de décès et cause le plus de dommages matériels, aucune mesure préventive n’avait, jusqu’à maintenant, ciblé la source même du problème : la cigarette.

En 1998, trois enfants de Brampton en Ontario ont péri dans un brasier allumé par un article de fumeur. À la suite de cet événement, le député MacKay a songé à réglementer le potentiel d’allumage des cigarettes. « Au lieu de blâmer les meubles, j’ai décidé de m’attaquer à la cigarette », a-t-il signalé au Comité permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles du Sénat, devant lequel témoignait également l’industrie du tabac.

Opposition de l’industrie

Vivement opposé à ce projet de loi, le plus grand fabricant au pays, Imperial Tobacco Canada (ITC), a tenté de bloquer son adoption en prétextant que ce changement pourrait rendre les cigarettes plus toxiques et que les consommateurs n’accepteraient pas de fumer un tel produit.

« Nous nous opposons à ce projet de loi car rien ne prouve, en fait, qu’il permettra de diminuer le nombre d’incendies causés par la négligence de fumeurs », a déclaré le vice-président d’ITC, Donald McCarty, en jetant le blâme sur les consommateurs plutôt que sur les cigarettes. « Nous croyons également que les rédacteurs de ce projet de loi sont, en partie du moins, des avocats de demandeurs qui, à mon avis, ont fabriqué un projet de loi pour appuyer les procès en instance contre nous. D’après nous, il s’agit moins de se préoccuper de la santé et de la sécurité que de harceler les fabricants et ce, uniquement pour le plaisir », a-t-il ajouté dans un discours plutôt insolite où l’industrie du tabac fut dépeinte comme une innocente victime des campagnes de dénormalisation et de la contrebande.

Des cigarettes façonnées pour brûler vite

Selon l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), qui a contribué à l’adoption du projet de loi, l’industrie du tabac n’a pas intérêt à ce que les cigarettes s’éteignent d’elles-mêmes. « Les cigarettes manufacturées sont conçues pour se consumer lorsqu’elles ne sont pas fumées, explique le directeur du bureau québécois de l’organisme, François Damphousse. Lorsqu’un fumeur oublie une cigarette allumée, il doit en allumer une nouvelle, ce qui contribue à accroître les profits de l’industrie. »

D’ailleurs, une étude néo-zélandaise, publiée dans le numéro de décembre du magazine Tobacco Control, révèle que le citrate, ajouté au papier des cigarettes manufacturées, augmente leur potentiel d’inflammabilité. L’enquête Hand cigarette papers as the reference point for regulating cigarette fire safety a comparé le tabac et le papier des cigarettes manufacturées à ceux des cigarettes à rouler. « Même lorsqu’elles sont fabriquées à partir de tabac de cigarettes manufacturées, toutes les cigarettes roulées manuellement avec du papier à rouler s’éteignent d’elles-mêmes, après un certain laps de temps », conclut la recherche.

Forcer Santé Canada à agir

Bien que la loi C-260 donne au gouvernement la possibilité de réglementer le niveau d’inflammabilité des cigarettes, elle ne fixe cependant pas la norme à laquelle celles-ci devront se conformer. C’est à Santé Canada que revient la responsabilité d’établir la méthode qui sera utilisée pour éprouver les cigarettes.

Si au 30 juin, le ministère de la Santé n’a pas proposé de règlement en vertu de la Loi sur les produits dangereux, il devra, dans les 10 jours de séance suivants, expliquer dans un rapport, pourquoi il ne l’a pas fait, ainsi que la date à laquelle il prévoit prendre un tel règlement. Puisque le Parlement siège peu durant l’été, selon le calendrier actuel, le ministère aurait jusqu’au 1er octobre pour rédiger son rapport.

« À Santé Canada, nous ne sommes pas convaincus que C-260 s’appliquera en juin parce que la loi n’entrera pas en vigueur avant décembre 2004 », a commenté Denis Choinière, directeur du Bureau de la réglementation et de la conformité. Or, selon le principal analyste politique de la Société canadienne du cancer, Rob Cunningham, un avocat de formation, il arrive que des lois soient rétroactives et qu’elles soient effectives avant leur entrée en vigueur. « C’est notamment le cas avec les hausses de taxes qui entrent souvent en vigueur à minuit, le jour d’un budget, mais qui sont adoptées plusieurs mois plus tard », a-t-il exposé. La loi devrait donc s’appliquer comme prévu en juin, obligeant, à tout le moins, Santé Canada à expliquer ce qu’il a entrepris pour rendre les cigarettes moins incendiaires.

Règlement de Santé Canada

De son côté, le ministre de la Santé, Pierre Pettigrew, a donné son appui au projet de loi C-260. Toutefois, c’est plutôt en vertu de la Loi sur le tabac que Santé Canada envisage de faire adopter son règlement. En effet, l’article 7 de cette loi permet au gouvernement d’établir les normes applicables aux produits du tabac.

Au cours de la dernière année, le ministère a testé une soixantaine de marques de cigarettes vendues au pays selon la norme de l’American Society of Testing and Materials (ASTM), la méthode utilisée dans l’État de New York qui sera adoptée au Canada. Pas plus de 25 % des cigarettes ne devaient brûler au complet lorsqu’elles étaient couchées sur 10 couches de papier filtre. Seule la marque More au menthol, une cigarette américaine fabriquée par R. J. Reynolds, a réussi le test.

Fin avril, Santé Canada a rendu publique la prépublication de son Règlement sur le potentiel d’allumage des cigarettes. Des consultations publiques auront lieu jusqu’au 14 juillet pour les personnes intéressées à donner leur avis sur la proposition réglementaire. « Si tout va bien, notre règlement sur le potentiel d’allumage des cigarettes devrait être adopté avant la fin de l’année 2004 », a indiqué M. Choinière à Info-tabac. Toutefois, il devra franchir encore plusieurs étapes avant son adoption finale.

Comme ce fut le cas dans l’État de New York, les fabricants bénéficieront d’un certain laps de temps afin de pouvoir faire les modifications nécessaires. Si le règlement entre finalement en vigueur, les fabricants de cigarettes auront jusqu’au 1er octobre 2005 pour modifier leurs produits.

L’exemple canadien

Suite à l’adoption de la loi C-260, un député d’Écosse a suggéré à son gouvernement de suivre l’exemple canadien en proposant une réglementation sur des cigarettes qui s’éteindraient d’elles-mêmes, lorsqu’elles ne seraient pas fumées. Devenu le leader mondial en adoptant une loi sur l’inflammabilité réduite en 2000, seul l’État de New York dispose de telles cigarettes. À partir du 28 juin prochain, les cigarettes « ordinaires » ne seront plus permises dans cet État.

Josée Hamelin