L’Afrique francophone accueille un grand rendez-vous pour une mobilisation antitabac

À la merci des multinationales du tabac, démunie, sans réseau étendu de contacts
Environ 120 professionnels de la santé, membres d’organisations non gouvernementales, représentants des médias, militants-activistes, fonctionnaires, partenaires au développement et décideurs politiques ont participé à la 3e Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac (CIFCOT-III).

Ils sont venus à Niamey, au Niger, du 25 au 28 septembre, de 26 pays dont 22 du continent africain, pour mieux comprendre la problématique et les enjeux entourant le tabagisme, se préparer à la quatrième session de la Conférence des Parties de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac prévue en Uruguay du 15 au 20 novembre, et voir à la possibilité de maintenir les contacts et appuis sur une base plus permanente.

D’abord, faire le plein de connaissances

L’une des grandes difficultés en Afrique francophone est la faiblesse des connaissances que les intervenants possèdent pour lutter efficacement contre le tabac. Le Dr Mohamed Ould Sidi, jeune médecin généraliste à Ouagadougou au Burkina Faso, déplorait que ses collègues lui référaient systématiquement tous leurs patients fumeurs parce qu’ils ne savaient pas comment leur venir en aide. De plus, il y a une forte présence de la tuberculose en Afrique. Au Service de pneumologie à Bamako (Mali), on estime que 25 % des consultations et 30 % des hospitalisations lui sont attribuées. Maladie aggravée par le tabagisme, on estime que près de 20 % des décès pourraient être évités si les patients ne fumaient pas.

C’est pourquoi au début de la rencontre, les délégués se sont attardés à présenter un portrait exhaustif de la nature et de l’ampleur des maladies causées par le tabac, tant pour le fumeur que pour son entourage, et la très forte dépendance qu’il engendre.

Et ce qui se passe sur le plan individuel est tout aussi vrai lorsqu’il s’agit de faire des représentations auprès des élus et des fonctionnaires pour l’adoption de lois antitabac. Non seulement leurs connaissances sanitaires de base font souvent défaut, mais plusieurs sont convaincus que le tabac est créateur de richesses et constitue un apport positif à la croissance et à l’économie de leurs pays, alors qu’au contraire il représente un lourd facteur d’appauvrissement pour les personnes et les familles, et un fardeau pour le développement des États.

Tabac, pauvreté et développement

Des 22 pays africains représentés, 18 figurent parmi ceux ayant le plus faible indice de développement humain des Nations Unies, qui tient compte de la santé-longévité, du savoir-éducation et du niveau-qualité de vie. Selon cet indice, « la plupart des habitants de la planète sont aujourd’hui en meilleure santé, vivent plus longtemps et sont mieux éduqués » qu’en 1990. (Voir note 1) C’est une donnée majeure. Pourtant, Daouda Elhadj Adam, de l’Association pour la défense des droits des consommateurs du Tchad, affirme aussi qu’environ 300 millions de personnes (60 % de la population) en Afrique vivent encore avec moins de 1 US$ par jour. Il ajoute : « C’est pourquoi un nombre élevé de citoyens consommateurs sont confrontés à des situations récurrentes de pénuries alimentaires et de problèmes nutritionnels dus à la cherté de la vie qui rend l’accès aux biens et services essentiels très difficile. D’autant plus pour le fumeur qui doit parfois consacrer jusqu’à une demi-journée de son salaire pour un paquet de 20 cigarettes. »

Au Niger, les écoliers consacrent 40 % de leur revenu à l’achat de cigarettes, alors que les travailleurs en dépensent 25 % pour la même consommation, selon Inoussa Saouna, le président-fondateur de SOS-Tabagisme-Niger et organisateur de la CIFCOT-III. (Voir note 2)

Pour endiguer le phénomène de l’appauvrissement, la plupart des pays africains ont adopté un Document-cadre Stratégique de Réduction de la Pauvreté qui doit servir à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD); malheureusement, cette stratégie ne prend pas en compte le rôle du tabac dans la paupérisation des populations.

Les huit OMD ont été déterminés par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 2000 à titre de contribution à l’amélioration des conditions de vie de l’humanité, en particulier celles des pays les plus démunis. Les 192 États membres de l’ONU et 23 grandes agences internationales se sont engagés à les atteindre d’ici 2015.

Inoussa Saouna est convaincu que le contrôle du tabac pourrait particulièrement contribuer à l’atteinte de quatre de ces objectifs, au Niger et dans le reste de l’Afrique.

En abaissant la consommation de tabac, on réduit la quantité d’argent dépensé pour ce produit, contribuant ainsi à éradiquer l’extrême pauvreté (Objectif 1).

En abaissant la consommation de tabac et en encourageant le transfert des dépenses du tabac vers les besoins des familles en soins de santé et en éducation, on peut parvenir progressivement à une éducation primaire universelle (Objectif 2). De plus, en abaissant le nombre d’enfants qui travaillent à la fabrication manuelle, à la culture et à la vente de tabac, il se créerait un bassin potentiel beaucoup plus important de jeunes aptes à fréquenter l’école.

On doit veiller à la préservation de l’environnement (Objectif 7). Les dégâts causés à l’environnement physique et humain par la culture du tabac sont considérables. Sur le plan humain, les travailleurs, parmi lesquels on retrouve beaucoup d’enfants, travaillent dans des conditions insoutenables, sans protection contre les agresseurs chimiques – engrais et pesticides – hautement toxiques qu’ils sont tenus d’utiliser. Sur le plan matériel, c’est la déforestation annuelle à grande échelle pour convertir des forêts en « terre à tabac » et en bois pour sécher les feuilles récoltées.

Enfin, pour tenter de s’opposer à la puissance des multinationales du tabac dans le monde, il y a lieu de mettre en place un partenariat global pour le développement (Objectif 8) en établissant des coalitions efficaces de lutte contre le tabagisme à l’échelle du monde. À cet égard, la réunion de Niamey pourra représenter une étape majeure.

Préparation à la 4e session de la COP

La Conférence des Parties (Conference Of the Parties – COP), c’est la grande rencontre des représentants politiques des 171 pays qui ont ratifié la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Leur mandat est d’élaborer et d’approuver des directives pour la mise en œuvre des 21 dispositions de ce traité. À ces conférences sont aussi présentes des délégations d’organismes non-gouvernementaux de pratiquement tous les pays du monde. Elles sont regroupées sous le chapeau de l’Alliance pour la Convention-cadre (Framework Convention Alliance – FCA). Elles pratiquent le lobbying auprès des délégués des gouvernements pour les convaincre d’adopter des directives favorables à la santé dans l’application de la convention. En plénière, toutes les discussions sont traduites simultanément dans les six langues officielles des grandes instances internationales. (Voir note 3)

En 2009, les ONG africaines se sont présentées à la COP-3 sans s’être entendues au préalable sur les positions qu’elles comptaient promouvoir. Elles en ont gardé le souvenir un peu amer d’avoir manqué une importante occasion de procurer davantage de gains à la santé. C’est pourquoi, en vue de la COP-4 prévue à la mi-novembre en Uruguay, la CIFCOT-III a fait une place accrue à la préparation des délégations africaines.

Elles se sont penchées sur l’ensemble des sujets pour lesquels des décisions devaient être prises portant entre autres sur : la taxation, les avertissements sanitaires sur les paquets, l’éducation et la formation, l’aide au sevrage, la protection de l’environnement et la responsabilisation de l’industrie. Les organisateurs de cet atelier se sont montrés confiants dans l’influence que démontreront les délégations africaines d’ONG auprès des représentants de leur continent.

Langue française et mouvement francophone

Cette troisième rencontre internationale en français faisait suite à celle de Montréal en 2002, puis à celle de Paris en 2005. Ces deux dernières avaient regroupé au total un peu plus de mille participants. Les échanges qui ont eu lieu, et les liens qui se sont alors tissés, ont finalement donné naissance à ce que plusieurs ont qualifié de mouvement international francophone antitabac. Pour Inoussa Saouna, organisateur de la conférence africaine : « C’est l’usage de la même langue qui nous a rapprochés dans la lutte contre le tabac. Mais, en plus, la langue commune permet de partager des traits culturels comme l’histoire, les mœurs et systèmes politiques, les valeurs sociales, les arts et bien d’autres. Et en nous rapprochant comme êtres humains adhérant à la même cause, on devient encore plus engagés et efficaces contre l’industrie du tabac. »

Stratégies des fabricants de cigarettes en Afrique

Dans les communications formelles et à l’extérieur du cadre des présentations, plusieurs délégués à la CIFCOT ont fait état de comportements de l’industrie du tabac et de ses représentants dans leurs pays.

Corruption

Aux îles Comores, minuscule archipel situé entre le continent africain et Madagascar, un militant en faveur d’une loi antitabac inspirée de la plate-forme de la Convention-cadre de l’OMS s’est vu offrir l’équivalent de 75 000 $ CAN (25 millions de francs comoriens) par le plus important importateur du pays, pour abandonner son projet.

Intimidation

« Les discours du président de l’Assemblée nationale, du ministre de la Santé et du président de la Commission Emploi et Affaires sociales avaient l’air de menaces à notre endroit et il n’y a pas eu de dialogue entre nous. (…) Ils nous ont aussi fait des reproches sur nos façons de parler aux médias, nos différents écrits qui ne leur ont pas plu et que de toutes les façons, c’est eux qui sont au pouvoir et que la loi sera adoptée sans changements. » Cet échange acrimonieux faisait suite à la récente campagne d’acteurs antitabac du Burkina Faso en faveur d’une loi inspirée de la Convention-cadre, mais qui n’avait aucunement l’aval des autorités. Reproduction d’un témoignage écrit.

Les femmes et les jeunes

Dans quelques décennies, 80 % des décès liés au tabagisme surviendront dans les pays en développement. Ce phénomène est dû à une stratégie commerciale appliquée par l’industrie du tabac à l’échelle mondiale, qui cible en priorité les jeunes et les femmes de ce continent afin d’exploiter ce nouveau marché potentiel, selon l’OMS.

Les frontières marchandes

Les grandes multinationales du tabac ont réagi à la réduction de leurs ventes dans les pays développés en misant sur les pays en développement pour s’implanter dans de nouveaux marchés. Un document interne de British American Tobacco affirme : « Nous ne devons pas nous décourager parce que le marché total dans les pays développés semble décroître. Dans le monde, il existe des zones de croissance forte, particulièrement en Afrique (…). »

Contrebande

Les États africains ne disposent pas des ressources suffisantes pour lutter efficacement contre le très florissant commerce illégal qui gruge une grande partie de leur économie et freine leur développement. Le film de Nadia Collot, Tabac : la conspiration, montre parfaitement la visite d’entrepôts clandestins, les transports de marchandises, la peur et la loi du silence chez les fraudeurs.

Travail des enfants

Bien qu’elle s’en défende, l’industrie du tabac recrute beaucoup d’enfants. Dans la revente de tabac, un phénomène bien connu en Afrique, leur plus grande « contribution » aux cigarettiers est d’attirer d’autres jeunes dans le tabagisme jusqu’à en faire des acheteurs fidèles et dépendants. Au Malawi et au Zimbabwe, de tout jeunes enfants travaillent de longues heures dans les champs, sans protection aucune contre les pesticides et les engrais.

Dans un atelier sur les relations des fabricants de cigarettes avec les enfants, des participants ont assimilé cette situation à un travail « dangereux, au sens des conventions internationales sur le travail des enfants de l’Organisation internationale du travail ». Plus largement, ils ont recommandé que « soient appliqués dans tous ces cas les conventions et traités internationaux portant sur les droits des enfants. »

Apparence de responsabilité sociale

La responsabilité sociale des entreprises est un concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales, et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes (stakeholders) sur une base volontaire, selon l’encyclopédie Wikipédia. Les plus importantes multinationales du tabac ont leur code en ce sens. Pascal Diethelm, président d’OxyRomandie, un organisme de Suisse francophone, et délégué à l’Alliance pour la Convention-cadre (FCA), a présenté des documents internes de Philip Morris International qui affirment que le but était de fournir « un effort pour changer la perception que le public avait de la multinationale et d’améliorer les attitudes du public envers la compagnie et ses employés… sur le long terme ». En somme, note Diethelm, « il ne s’agit pas tant de changer l’attitude de la compagnie elle-même, mais seulement celle du public envers la compagnie! »

Louis Gauvin

Note [1] : D’après le Rapport 2010 du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).

Note [2] : Cité dans Jessica de Bernardini, L’Afrique s’enfume !, Centre d’information et de prévention du tabagisme, Genève, 2009.

Note [3] : Ces langues sont : français, anglais, russe, chinois, espagnol et arabe.