Emballage : la fin de la grande séduction‎

Même si 75 % de leur surface est occupée par un avertissement de santé, les produits du tabac vendus au Canada demeurent attractifs et richement décorés.
Santé Canada a publié le règlement qui encadrera, dès 2019, l’emballage neutre des produits du tabac au Canada. Les groupes de santé se réjouissent : c’est le règlement le plus complet au monde!

Couleurs, armoiries, textures, publicité, filtres satinés et autres finis brillants : les paquets de cigarettes canadiens demeurent très décorés, même si 75 % de leur surface est occupée par une mise en garde illustrée. Pour susciter l’intérêt des fumeurs et de leurs proches, les cigarettiers vont même jusqu’à créer régulièrement des « éditions limitées » de leurs emballages. C’est une situation absurde, qui autorise un côté séducteur à un produit toxicomanogène (addictif) et mortel. L’emballage neutre, recommandé par les directives de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, remet les pendules à l’heure. En 2018-2019, suivant l’exemple de l’Australie, de la France et de l’Angleterre, cinq nouveaux pays mettront cette mesure en œuvre : l’Irlande, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Hongrie et le Canada. Au Canada, le Règlement sur les produits du tabac (apparence neutre et normalisée) a été publié par la ministre de la Santé pendant l’été 2018. Bonne nouvelle : c’est le règlement le plus complet à ce jour à travers le monde.

L’utilité des emballages neutres

Il est loin d’être inutile de retirer aux emballages des produits du tabac leurs caractéristiques distinctives (quoi qu’en disent les cigarettiers). Au contraire, comme le rappelle Santé Canada, les éléments propres aux différentes marques (couleur, slogans, textures, etc.) contribuent à l’identité du consommateur et nourrissent le lien émotionnel qu’il entretient avec ce produit. Les jeunes sont particulièrement vulnérables à ces influences puisqu’ils sont à l’âge où ils établissent à la fois leur personnalité et leurs habitudes de consommation. Il est important d’agir, d’autant plus que le taux de tabagisme des jeunes stagne et demeure élevé.

L’apparence générale d’un produit influence aussi les perceptions sur sa dangerosité. Les cigarettiers emballent typiquement certaines marques de cigarettes dans des paquets aux couleurs plus pâles pour laisser croire, à tort, que celles-ci sont moins dangereuses que d’autres. L’emballage neutre met fin à cette tromperie. Il va aussi de soi que les paquets habillés d’une couleur terne suscitent moins d’intérêt et de curiosité que ceux d’une couleur vive, tout comme les cigarettes d’une taille régulière sont moins attirantes que les cigarettes minces. Enfin, l’absence des éléments de marque augmente l’effet des mises en garde. En somme, l’apparence neutre et normalisée des emballages joue sur l’attitude des consommateurs face au tabac, la désirabilité du produit et les intentions d’achat, ce qui contribue à réduire le tabagisme, surtout chez les jeunes.

Plusieurs premières mondiales

L’expérience australienne a montré que les cigarettiers exploitent sans gêne la moindre faille pour donner des caractéristiques distinctives à leurs produits, malgré la présence de l’emballage neutre. Imperial Brands, par exemple, qui détenait autrefois la marque de cigarettes Peter Stuyvesant, a ajouté une cigarette aux paquets de cette marque en la rebaptisant Peter Stuyvesant + Loosie (cigarette additionnelle). D’autres manufacturiers ont commercialisé de nouveaux types de filtres tandis que la vente de cigarettes minces ou ultraminces s’est poursuivie. Pour éviter ces écueils, le Canada a innové et proposé un règlement particulièrement sévère qui s’appliquera à tous les produits du tabac, incluant les cigares, les cigarillos et le tabac chauffé. Plusieurs des mesures canadiennes sont déjà en application ailleurs : emballages de couleur vert marron, en carton rigide, dont la hauteur, la largeur et la profondeur sont imposées ou dont les inscriptions sont d’une taille, d’une couleur et d’une police également imposées. À ces mesures, Ottawa ajoute plusieurs premières mondiales, dont :

  • des emballages avec un mode d’ouverture à coulisse
  • l’intérieur des paquets de la même couleur vert marron que l’extérieur
  • des noms de marques qui ne dépassent pas une ligne et qui ne font pas référence à une couleur ni à la technologie de filtration (par exemple : « Filtre Plus »).
  • des cigarettes avec un diamètre de 8 millimètres
  • des cigarettes de seulement deux longueurs possibles : régulières et king size

Chaque élément est utile. Par exemple, les paquets à coulisse sont les plus volumineux, ce qui leur enlève tout aspect « féminin » et redonne toute l’importance aux mises en garde, même lorsque le paquet est ouvert. De même, imposer un diamètre régulier aux cigarettes interdit de facto les cigarettes minces et ultraminces, particulièrement populaires auprès des jeunes filles. Les groupes de santé applaudissent ces mesures, mais veulent s’assurer de colmater toutes les lacunes du règlement. Ils demandent donc aussi que les doublures métalliques à l’intérieur des paquets soient aussi vert marron plutôt que de couleur métallique, que le nombre de cigarettes par paquet soit limité et que les noms de marque ne puissent pas évoquer un style de vie ni suggérer qu’un produit du tabac est énergisant, naturel ou biologique.

Selon les estimations de Santé Canada, mettre en œuvre le Règlement sur les produits du tabac (apparence neutre et normalisée) coûtera entre 138 M$ et 195 M$, incluant les coûts gouvernementaux et les éventuelles pertes de profits de l’industrie. En fait, les cigarettiers pourraient même y trouver des aubaines, note Santé Canada, puisqu’ils « n’auront plus besoin de dépenser pour la conception des emballages et les changements connexes ».

« Choqué et confus »

Il va sans dire que les cigarettiers ne voient pas la situation du même œil. Éric Gagnon, directeur des affaires corporatives et réglementaires d’Imperial Tobacco Canada, s’est dit « choqué et confus » par ce nouveau règlement. Pourtant, cette législation a été annoncée dès 2015 tandis qu’elle reprend de larges pans de la législation australienne. M. Gagnon a aussi ajouté que le cigarettier pourrait contester la validité de ce réglement devant les tribunaux. Les mesures entourant l’emballage neutre n’ont toutefois jamais été ‎jugées « incompatibles avec un accord commercial international ‎ni comme une violation des droits de propriété intellectuelle, et ce, dans tous les ‎États où elles ont été mises en œuvre », rappelle l’étude d’impact de Santé Canada. Quant à l’augmentation de la contrebande, brandie tel un épouvantail par les cigarettiers, cela ne s’est pas matérialisé en Australie, selon une étude parue dans Tobacco Control.

Le règlement canadien ira donc de l’avant, malgré les menaces des cigarettiers. Les consultations de Santé Canada se sont achevées début septembre. Si tout se passe comme prévu, ce règlement devrait entrer en vigueur au cours de 2019. Les manufacturiers et les détaillants auront alors respectivement six et neuf mois pour s’y conformer. Le grand gagnant dans cette histoire? Évidemment, la santé de tous les Canadiens.

Anick Labelle