Il pleut des millions $ sur les champs de tabac

Les gouvernements du Canada et du Québec ont annoncé de généreuses subventions pour la conversion des plantations de tabac.

Le programme dévoilé début mai par le ministre canadien de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, Bob Speller, se chiffre à 71 millions $ sur quelques années. Bien que ses modalités restent à être établies, il est divisé en trois volets. Le premier vise « principalement à aider les producteurs pour lesquels la culture du tabac n’est plus une activité viable ». Le deuxième volet fournira des « compétences et des outils de développement » pour tirer profit d’occasions hors du secteur du tabac. Enfin, le ministère surveillera les importations de tabac pour « cerner les tendances en évolution sur les marchés internationaux ».

Le communiqué ne fait pas allusion à des subventions directes ou indirectes à la culture du tabac. Toutefois, le ministre Speller parle d’un « programme d’aide à la transition qui assurera la viabilité des producteurs qui restent ». Selon une porte-parole du ministère, Violette Jacques, jointe par Info-tabac, le programme fédéral ne prévoit aucune forme de contribution pour les tabaculteurs restants ; seule l’élimination de concurrents canadiens pourrait les favoriser. Que leur arrivera-t-il s’ils ne peuvent toujours pas rivaliser avec les prix de l’importation? « Ce sont les lois du marché qui prévaudront, comme dans les autres secteurs de l’agriculture, lesquels sont ouverts à l’importation », indique Mme Jacques.

Le gouvernement canadien souhaite que ceux du Québec et de l’Ontario bonifient son programme, à concurrence de 47 millions $, de manière à totaliser 118 millions $. Mais il ira seul de l’avant si les provinces ne désirent pas y contribuer. Une semaine après l’annonce fédérale, la ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, Françoise Gauthier, a dévoilé la contribution de son gouvernement : une somme de 10 millions $ sur trois ans servira à racheter les équipements utilisés pour la production de tabac des fermiers qui voudront abandonner ce secteur. De plus, la plantation de tabac sera désormais assujettie à l’obtention d’un permis. Quant au gouvernement ontarien, il n’a prévu aucune aide aux tabaculteurs, du moins dans son dernier budget.

Hypocrisie

Le programme onéreux du gouvernement canadien n’enthousiasme pas les groupes impliqués dans la lutte antitabac. « En décidant d’aider les tabaculteurs aux dépens des programmes qui contrent les décès dus au tabagisme, le gouvernement fédéral fait preuve d’hypocrisie », soutient un communiqué de la Coalition canadienne pour l’action sur le tabac, émis le 17 mai. « C’est scandaleux et cela trahit l’intérêt public, déplore sa présidente, Lorraine Fry. À la veille des élections, le gouvernement vient d’annoncer qu’il allouera 71 millions pour renflouer 800 cultivateurs de tabac. Au même moment, il éviscère le Programme de la lutte au tabagisme de Santé Canada en réduisant son budget et en éliminant sa principale composante, la campagne publicitaire dans les médias. »

Quant au président de l’Office des producteurs de tabac jaune du Québec, Gaétan Beaulieu, il commente avec soulagement mais tristesse l’aide des gouvernements. « Dans deux ans, c’est clair, la production de tabac aura complètement disparu ici », a-t-il déclaré au Devoir. En 2004, les producteurs québécois s’attendent à ne récolter qu’un million de livres de tabac, à la place des 7,5 millions de l’année 2002.

Denis Côté