Faut-il se méfier du laser doux?
Janvier 2007 - No 67
Rompre, en quelques heures, la dépendance de toute une vie, cela, sans effort et sans prendre un seul kilo, c’est possible?
Les centres de traitement du tabagisme par laser doux le prétendent, eux dont les publicités affichent « une méthode éprouvée », « sans symptôme de sevrage », avec des taux de succès variant de 75 à 85 %. Toutefois, la science, elle, est sceptique, puisqu’à ce jour, aucune étude sérieuse n’a démontré l’efficacité de cette thérapie alternative. Devant la croissance du nombre d’établissements qui proposent ce service et l’engouement populaire qu’ils suscitent, Info-tabac a donc décidé de mener sa propre enquête.
Au Québec, les Centres d’Arrêt Stop-Tabac et les Centres de Lasérothérapie 3001 qui se spécialisent dans le traitement des dépendances (alcool, toxicomanies, nourriture) par laser doux sont les deux principaux joueurs. Par contre, cette technique est également offerte dans des salons de bronzage, de coiffure et des cliniques d’esthétique, d’épilation ou d’acupuncture.
Même si les établissements qui dispensent le service forment un ensemble plutôt hétéroclite, ils ont tous un point en commun : leurs tarifs élevés. Pour une séance d’environ une heure (soutien compris), les fumeurs doivent débourser entre 100 et 475 $, avant taxes.
Interrogés sur les motifs qui justifient une telle dépense, les intervenants contactés par Info-tabac expliquent que : « Il faut voir ça comme un investissement moins dispendieux que de continuer à fumer », « certaines compagnies d’assurance et les impôts remboursent une partie des frais » et « ils peuvent étaler le paiement sur plusieurs versements ». Vérification faite, en ce qui concerne les crédits d’impôts, seul Revenu Québec en offre, et seulement si le traitement est administré par un professionnel de la santé reconnu par le Ministère.
« La thérapie au laser repose sur le même principe que l’acupuncture, explique le propriétaire des Centres d’Arrêt Stop-Tabac, Stephen Wallack, mais elle utilise des rayons laser de faible intensité plutôt que des aiguilles. La microvibration remonte un circuit nerveux, sans que le patient ne ressente aucune douleur, et elle stimule la sécrétion d’endorphines et d’opiacés par le cerveau. »
Alors que la plupart des centres de laser basent leur intervention sur l’auriculothérapie la stimulation de points du pavillon de l’oreille qui seraient reliés à des organes ou à des glandes d’autres s’attardent également aux zones de réflexologie situées dans la paume des mains et sur la plante des pieds.
« D’abord, on dresse un portrait des habitudes tabagiques des gens et on répond à leurs questions, signale Rodrigue Simard, franchiseur des Centres de Lasérothérapie 3001. Ensuite, on vérifie le taux de monoxyde de carbone présent dans leurs poumons; un test qu’on répètera subséquemment pour s’assurer qu’ils sont toujours non-fumeurs. Après l’intervention au laser, qui dure environ une heure, on fait signer un contrat à nos clients dans lequel ils s’engagent à ne plus fumer. »
Bien que les services offerts varient d’un endroit à l’autre, plusieurs centres proposent à leurs clients un soutien téléphonique d’un an et des traitements supplémentaires gratuits, s’ils n’ont pas recommencé à fumer. Par contre, ceux qui ont rechuté ou utilisé des aides pharmacologiques (ce qui est strictement interdit en lasérothérapie) devront payer la moitié du coût du traitement, environ 250 $, s’ils souhaitent recevoir des séances d’appoint.
À l’instar des pointeurs au laser, les risques du laser doux se limiteraient essentiellement aux yeux, d’où l’importance de porter des lunettes de protection opaques.
Qu’elles affichent des traitements « reconnus par l’OMS » ou « 4 fois plus efficaces que toutes autres méthodes », les cliniques de renoncement au tabac par laser misent beaucoup sur leurs taux de réussite qui se chiffreraient, selon elles, entre 75 et 85 %. Toutefois, il faut savoir que ces données n’ont encore jamais été vérifiées par des chercheurs indépendants. M. Wallack, des Centres d’Arrêt Stop-Tabac, affirme avoir entrepris des démarches en ce sens avec l’Université McGill et celle de Colombie-Britannique, mais aucun résultat n’est encore disponible.
Oeuvrant dans le domaine du tabac depuis une quinzaine d’année, Michèle Tremblay, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), doute de l’efficacité affichée par les promoteurs du laser. « Il est très suspect de voir des taux qui varient entre 75 et 85 %, commente-t-elle, parce qu’avec les meilleures méthodes reconnues une consultation intensive combinée à la pharmacothérapie (timbre de nicotine, gomme ou inhalateur) on obtient un succès d’environ 30 % au bout d’un an. »
La médecin-conseil fait aussi remarquer qu’il y a une possibilité de biais lorsque les gens qui donnent un traitement en évaluent eux-mêmes les bienfaits : « Habituellement quand on évalue une méthode pour arrêter de fumer, il y a un groupe de fumeurs qui l’utilise et un groupe témoin qui ne l’utilise pas. Après un mois, trois mois, six mois et un an, les gens des deux groupes sont contactés pour voir s’ils sont toujours non-fumeurs; et ceux qu’on n’arrive pas à rejoindre doivent obligatoirement être considérés comme des fumeurs. »
À l’Organisation mondiale de la santé, Marta Seoane, d’Initiative pour un monde sans tabac, indique que la lasérothérapie ne fait pas partie du guide des meilleures pratiques d’intervention en matière d’arrêt tabagique. Quant à Santé Canada, il déclare, dans son Répertoire de ressources et de programmes canadiens de renoncement au tabagisme, qu’« il n’existe aucune preuve scientifique du taux élevé de réussite attribué à cette méthode ». Enfin, une revue de la littérature scientifique (Acupuncture and related interventions for smoking cessation, Cochrane) a conclu à l’inefficacité des thérapies qui s’appuient sur le principe de l’acupuncture comme moyen de cesser de fumer.
Même si le laser n’est peut-être pas aussi efficace qu’on le prétend, certaines personnes parviennent tout de même à se libérer de leur dépendance grâce à cette technique. Directeur du microprogramme en contrôle du tabagisme au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, le Dr Fernand Turcotte croit qu’environ 30 % de l’efficacité du laser pourrait être expliquée par l’effet placebo.
D’après Michèle Tremblay, le facteur monétaire pourrait également représenter un élément de motivation supplémentaire pour les clients du laser : « Certains peuvent se dire qu’ils ont tellement investi d’argent qu’il n’est pas question qu’ils recommencent à fumer, même si généralement, ce sont avant tout des préoccupations de santé qui les poussent à se libérer du tabac. »
« C’est possible qu’il y ait une certaine efficacité reliée à l’intervention de counseling comme telle, complète la Dre Tremblay. Toutefois, le soutien que les fumeurs reçoivent dans ces centres est offert gratuitement, partout au Québec, par le biais de la Ligne J’arrête [1-866-527-7383], du site Internet du même nom et des Centres d’abandon du tabagisme. »
Au Québec, la décision de diriger ou non leurs patients vers des techniques dites « alternatives » est laissée à la discrétion des professionnels de la santé. De son côté, Stephen Wallack, des Centres d’Arrêt Stop-Tabac, constate avec regret qu’il y a des gens un peu opportunistes qui s’improvisent thérapeutes du laser. Il conseille donc aux fumeurs de poser beaucoup de questions avant d’arrêter leur choix sur un établissement.
Pour ceux et celles qui estimeraient ne pas en avoir eu pour leur argent, l’Office de la protection du consommateur suggère de formuler une plainte à partir d’un formulaire disponible sur son site Internet.
Josée Hamelin