Excellent documentaire du Point sur l’amour de la cigarette
Avril 1997 - No 6
On l’a souvent dit : la nicotine est une drogue qui crée une dépendance très forte. On l’a peut-être même trop souvent dit, et pas assez montré. C’est la lacune qu’est venue combler l’émission Le Point avec un excellent documentaire intitulé « Amour ou drogue », diffusé le 19 mars.
L’innovation dans ce documentaire était de partir du point de vue des fumeurs et de les laisser parler du plaisir subjectif qu’ils éprouvent à fumer – un « plaisir » auquel certains tiennent encore même lorsque leur vie est gravement menacée.
Ainsi avait-on droit aux commentaires révélateurs de l’animateur Marcel Béliveau, un fumeur qui a déjà subi deux infarctus et un cancer du poumon. M. Béliveau fait une distinction entre ceux qui « fument par faiblesse » et ceux qui « fument par plaisir ». Fumer par plaisir ne tue pas, affirme-t-il. Et dans son cas, son cancer du poumon a-t-il été causé par la cigarette? M. Béliveau dit n’en avoir aucune idée – et ne pas vouloir en savoir plus.
Comme bien d’autres fumeurs, M. Béliveau reproche au gouvernement son attitude prétendument « hypocrite » envers le tabac. Si le tabac est si mauvais, pourquoi l’État ne l’interdit-il pas? Il prétend même qu’il respecterait une telle interdiction.
Une autre fumeuse interviewée par l’équipe du Point, Anne Jutras, était déjà rendue plus loin. Elle en est à son troisième cancer du poumon, inopérable, et ne nie plus l’évidence : c’est bien la cigarette qui la tue, et c’est bien à cause de la nicotine qu’elle n’arrive pas à s’en défaire, après avoir fumé trois paquets par jour pendant des années. Mais elle aussi soulignait le plaisir de fumer – une sensation qu’on n’arrive pas à décrire, mais à laquelle on tient absolument.
Le Dr Marcel Boulanger, un spécialiste de la cessation, avait une belle comparaison pour expliquer ce plaisir : « C’est comme si on se mettait des souliers trop petits le matin pour avoir le plaisir de les retirer le soir. » Les fumeurs sont poussés à soulager leur état de manque avec de nouvelles doses de nicotine – mais aussi à trouver des moyens de s’expliquer ce comportement compulsif, un mécanisme qu’on voyait particulièrement bien dans les explications farfelues et navrantes de M. Béliveau.
Un des patients du Dr Boulanger, qui a réussi son sevrage malgré une consommation de quatre paquets par jour, racontait qu’il fumait même en prenant sa douche, en plus de se lever plusieurs fois par nuit pour s’allumer une cigarette. Et pourtant, racontait-il, « la cigarette était toujours bonne » – lui aussi avait l’impression de fumer par plaisir.
Francis Thompson