Cigarettes moins incendiaires

Après trois années d’étapes préliminaires et de reports, le projet de loi C-260 est actuellement devant le Comité permanent de la santé, à Ottawa. Cherchant à réduire le potentiel d’inflammabilité des cigarettes, cet amendement à la Loi sur les produits dangereux pourrait toutefois être devancé par un règlement similaire émanant de Santé Canada.

Première cause d’incendies mortels au pays, la cigarette engendre annuellement près de 3 000 feux qui occasionnent, pour leur part, plus de 70 décès, 300 blessés ainsi que des pertes matérielles supérieures à 40 millions $, selon Santé Canada. « S’il était adopté, ce projet de loi (le C-260) pourrait sauver des vies et réduire les blessures et les dommages causés aux biens par les incendies, témoignait John MacKay, député de Scarborough-Est et instigateur de l’amendement, lors des audiences du 7 avril dernier. Les fabricants de cigarettes ont réussi à convaincre la population que ces incendies sont attribuables à la négligence des fumeurs, alors qu’ils savent depuis des années comment fabriquer une cigarette moins inflammable. »

À l’appui du projet, des groupes de santé impliqués dans le dossier ont résumé les travaux du Technical Study Group mandaté, aux États-Unis, pour vérifier la faisabilité de telles cigarettes. « Il est techniquement et commercialement possible, soutient l’organisme américain, de fabriquer des cigarettes moins incendiaires en : diminuant leur circonférence, réduisant la densité du tabac, modifiant la porosité du papier et en éliminant l’usage d’additifs comme le citrate sur le papier. »

Des cigarettes qui allient certaines de ces caractéristiques sont d’ailleurs déjà disponibles chez nos voisins du sud. Faite d’un papier spécial (PaperSelect), dans lequel des bandes minces et épaisses se succèdent, la Merit de Philip Morris s’éteint d’elle-même lorsqu’elle n’est pas fumée. L’Eclipse de R.J. Reynolds est, quant à elle, composée d’un tube d’aluminium dans lequel un bâtonnet de charbon chauffe le tabac, au lieu de le brûler, ce qui n’entraîne aucune combustion et donc très peu de risques d’incendie.

En 2000, l’État de New York réalisa une primeur mondiale en adoptant une loi obligeant les fabricants à ne vendre que des cigarettes à inflammabilité réduite. « Déposées sur une épaisseur de 10 couches de papier filtre, les cigarettes ne devront se consumer totalement que dans 25 % des cas », dicte la norme new-yorkaise établie par le National Institute of standards and technology. Cette nouvelle législation devrait entrer en vigueur à la fin du mois d’octobre 2003.

Opposition de l’industrie

Dans un mémoire d’une cinquantaine de pages, Imperial Tobacco Canada dit vouloir collaborer à la réduction des incendies causés par la cigarette. Toutefois, la compagnie expose, de long en large, pourquoi le projet de loi C-260 ne devrait pas être adopté. « Modifier la composition des cigarettes les rendraient peut-être plus toxiques, la réduction du degré d’inflammabilité porterait les fumeurs à être plus négligents, et les risques de contrebande augmenteraient advenant le cas où les fumeurs n’aimeraient pas les cigarettes à inflammabilité réduite », évoque Imperial, qui prétend ne pas être en mesure de fabriquer des cigarettes moins inflammables.

Du côté des groupes de santé, on présume que l’industrie s’objecte à la loi craignant que celle-ci n’occasionne un précédent en matière de fabrication des cigarettes. « Si les emballages canadiens doivent afficher des avertissements de santé, l’industrie est totalement libre du contenu et de la fabrication de son produit, en autant que la composition chimique en soit révélée », explique François Damphousse, directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF). Une fois que l’on aura réussi à réduire l’inflammabilité du produit, il sera sans doute possible de modifier sa composition, pour en réduire les méfaits sur la santé, pensent des spécialistes antitabac.

Règlement de Santé Canada

Favorable à la réduction des risques d’incendie, Santé Canada appuie l’initiative du député MacKay, même si elle considère que son règlement en gestation est plus adéquat. Contrairement au C-260, ce règlement s’inscrirait dans le cadre de la Loi sur le tabac. Même si elle n’a encore jamais été utilisée, une clause de cette législation permet au gouvernement de régir en matière de fabrication, et c’est justement ce que compte faire le ministère.

« La loi sur les produits dangereux a deux principaux objectifs, précise Denis Choinière de Santé Canada, l’un étant de rendre les produits moins dangereux et l’autre étant de les interdire. Or, avant de pouvoir adopter un règlement émergeant de cette législation, il faudrait que la cigarette y soit d’abord incluse, ce qui n’est actuellement pas le cas. »

Comme l’indique un document de consultation sur les risques d’incendie posés par la cigarette, le règlement de Santé Canada devrait, comme le C-260, s’inspirer de l’expérience américaine. « Jusqu’à présent, nous avons testé dix marques de cigarettes canadiennes selon la méthode utilisée dans l’État de New York et aucune d’entre elles n’a réussi l’épreuve », explique M. Choinière. Avec la collaboration des principaux intéressés, Santé Canada procède actuellement à l’évaluation des coûts et des avantages reliés à l’implantation d’un règlement.

En ce qui concerne le C-260, les prochaines audiences du Comité permanent de la santé auront lieu à l’automne, ce qui laissera le temps aux parties en cause de renforcer leur position. La prépublication du règlement de Santé Canada devrait, quant à elle, avoir lieu au début de 2004. « Peu importe le moyen qui sera utilisé, signale M. Damphousse de l’ADNF, l’important c’est que l’inflammabilité des cigarettes soit régie le plus rapidement possible, afin d’épargner un plus grand nombre de vies humaines. »

Josée Hamelin