Barb Tarbox, héroïne canadienne
Mai 2003 - No 44
« Je ne veux pas que personne d’autre meure prématurément à cause de la cigarette », disait Barb Tarbox au millier d’étudiants et à la dizaine de journalistes anglophones, rassemblés au Lower Canada College de Montréal le 25 février dernier.
En phase terminale d’un cancer, l’Albertaine de 41 ans a consacré les derniers mois de sa vie à sensibiliser les jeunes aux dangers du tabac. Diagnostiquée incurable en septembre 2002, elle se meurt aujourd’hui d’avoir fumé deux paquets par jour pendant près de 30 ans.
Avec courage et énergie, elle a tenté de convaincre son jeune auditoire que fumer n’en valait pas la peine. Une cigarette non-allumée au doigt, l’ex-mannequin a commencé son discours en disant aux étudiants qu’ils étaient chanceux d’être beaux et en santé. « Moi aussi, j’étais en santé avant, raconte-t-elle. J’étais Top Model, je menais une vie de rêve et du jour au lendemain, j’ai appris que j’allais mourir. »
« On croit toujours que les cancers n’arrivent qu’aux personnes âgées destinées, de toute manière, à mourir. Même si ma mère est morte d’avoir fumé, je croyais que cela ne m’arriverait jamais à moi. Et que si j’étais un jour victime du cancer, les scientifiques auraient eu le temps de trouver un remède à cette maladie », se souvient Mme Tarbox.
« Regardez ce que m’a fait la cigarette! »
« Vous trouvez que c’est cool de fumer? Aujourd’hui, je meurs du cancer parce que moi aussi je pensais cela en 7e année. Regardez-moi! Regardez ce que je suis devenue… mon corps se prépare à mourir, témoigne Barb Tarbox. Mes cheveux qui avaient poussé pendant 41 ans sont tombés en moins de 10 jours suite à la chimiothérapie. J’ai également perdu plus de 40 livres en deux mois. Ça, c’est sans parler de mes tumeurs à l’abdomen et au cerveau qui menacent d’éclater à chaque seconde. » Tous l’écoutaient dans un silence émouvant.
En septembre, on lui a conseillé de dire un dernier au revoir aux gens qu’elle affectionne. « Je ne verrai pas ma petite fille de neuf ans grandir, poursuit-elle. Imaginez un instant devoir dire adieu à la personne que vous aimez le plus au monde… ». L’émotion était à son comble et bon nombre d’étudiants qui avaient, jusque-là, réussi à se contenir, fondirent en larmes.
À maintes reprises, elle a mis les étudiants en garde face à l’influence de leurs pairs. « N’écoutez jamais les personnes qui vous offriront des cigarettes en disant : essaye ça, c’est cool! Planifier ses propres funérailles n’a rien de cool, pas plus que la souffrance que vous pourriez avoir à endurer », renchérit-elle.
À la fin de son discours, Mme Tarbox s’est méritée une ovation debout, tandis que beaucoup de jeunes sanglotaient. Son message d’espoir lui a aussi valu la sympathie et les accolades de plusieurs étudiants. « Ne vous en faites pas pour moi, profitez de la vie, réalisez vos rêves », leur murmure-t-elle, le regard scintillant.
Un témoignage efficace
Interrogés sur la portée du discours de Mme Tarbox, plusieurs adolescents ont répondu qu’ils ne fumeraient jamais et qu’ils allaient faire pression sur leurs proches aux prises avec cette dépendance.
« Les témoignages comme ceux-ci sont très utiles parce que les jeunes constituent un public difficile à sensibiliser, remarque Stan Shatenstein, journaliste spécialisé dans le contrôle du tabac. Le fait de pouvoir observer les ravages physiques causés par la cigarette est un excellent moyen de les atteindre. »
Alors que 45 000 Canadiens, dont 12 000 Québécois, décèdent annuellement en raison du tabagisme, les témoignages publics de ce type se font plutôt rares. M. Shatenstein explique cette carence en présumant que les victimes de maladies reliées à l’usage du tabac se sentent coupables de mourir prématurément. La plupart d’entre elles choisiraient donc de passer leurs derniers instants en famille.
Au cours des six derniers mois, Barb Tarbox a présenté une quarantaine de conférences et rencontré plus de 50 000 étudiants à travers le pays. Bien connue au Canada anglais, la militante espère avoir touché les jeunes, faute de n’avoir, elle-même, été sensibilisée à temps. En Alberta, Mme Tarbox a aussi fait pression sur le gouvernement provincial afin qu’il interdise de fumer dans les endroits publics ainsi que sur les lieux de travail. Au cours d’une cérémonie, la Chambre des communes, à Ottawa, lui a attribué le titre d’héroïne canadienne.
Josée Hamelin