Aller au-delà des taxes pour rendre le tabac moins abordable

Les derniers budgets canadien et québécois n’incluent pas de hausse substantielle des taxes sur le tabac alors qu’il s’agit de l’une des mesures les plus efficaces pour lutter contre le tabagisme. La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac dénonce ces développements tout en réclamant une hausse de taxes ainsi qu’une politique fiscale globale et cohérente sur le tabac.

Si la décision de s’initier au tabac ou de continuer à fumer dépend de bien des facteurs, l’un des plus importants demeure son prix. C’est pourquoi les taxes sur le tabac demeurent un outil incontournable. Leur augmentation substantielle « se révèle être l’intervention la plus efficace et la plus rentable pour diminuer le tabagisme, en particulier chez les jeunes et les populations défavorisées », estimait l’Organisation mondiale de la Santé, en 2010 (notre traduction). Malheureusement, dans leur dernier budget, ni le Canada, ni le Québec n’ont suivi ces recommandations. Le budget fédéral a majoré la taxe sur les cartouches de 200 cigarettes de seulement 0,53 $, en plus d’éliminer la surtaxe sur les profits des fabricants de tabac. Quant au Québec, son budget 2017-2018 est le troisième à n’inclure aucune hausse de la taxe sur ces produits. Résultat : le Québec se prive de millions de dollars de revenus et continue à faire bien piètre figure sur le front des taxes sur le tabac. En effet, celles-ci demeurent absurdement basses : à peine 29,80 $ la cartouche contre 37,58 $ chez nos voisins ontariens et une moyenne canadienne de 52,17 $.

Taxes : des mythes persistants

Malgré l’efficacité démontrée des taxes élevées sur la réduction du tabagisme, plusieurs gouvernements hésitent encore à recourir à cette mesure. Ils craignent notamment qu’elle favorise la contrebande. Pourtant, comme l’a montré la CQCT, les cigarettiers n’hésitent pas à augmentent le prix de leurs produits, souvent d’un montant équivalant… aux hausses de taxes qu’ils dénoncent. Depuis 2014, ils ont majoré de 4,60 $, en moyenne, le prix de gros de leur cartouche de 200 cigarettes, montrent des données fournies à la CQCT par Santé Canada.

Qui plus est, contrairement à ce qu’affirment les cigarettiers et leurs alliés, une hausse des taxes n’entraîne pas nécessairement plus de contrebande. En effet, « la part de marché des produits de la contrebande de tabac est passée de près de 30 % en 2009 à moins de 15 % en 2015, et ce, malgré le fait que la taxe spécifique sur les produits du tabac ait augmenté [trois fois] durant cette période », note le dernier budget du Québec. Mentionnons enfin que, dans les années 1990, ce ne sont pas les hausses de taxes qui ont provoqué une forte vague de contrebande, mais plutôt les actions clandestines des cigarettiers pour lesquelles ils ont d’ailleurs été condamnés à d’importantes amendes en 2008 et en 2010.

Un autre mythe au sujet des taxes sur le tabac est que celles-ci enrichissent le gouvernement. Or, en 2016-2017, ces taxes n’ont rapporté qu’un peu plus d’un milliard de dollars au Québec, soit… environ 1 % de ses revenus. Or, à eux seuls, les soins de santé causés par l’usage du tabac coûtent chaque année 1,6 G$ au Québec, calcule le ministère des Finances. En incluant l’ensemble des frais directs et indirects (incluant les programmes de prévention et les incendies causés par des articles de fumeur, entre autres), le tabac coûte presque 4 G$ par année à la province, calculait en 2006 une étude souvent citée du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies .

Les taxes : essentielles, mais insuffisantes

La situation est d’autant plus désolante que, dans le contexte actuel, l’augmentation des taxes sur les produits du tabac ne suffit pas à gonfler leur prix réel, expose le mémoire prébudgétaire soumis par la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT) au ministre des Finances du Québec. En effet, les Québécois peuvent encore payer certaines cigarettes quasiment au même prix qu’en 2003, malgré la hausse des taxes et du coût de la vie. En tenant compte de l’inflation, le prix du tabac au Québec n’a augmenté que de 4 $ au cours des 23 dernières années, calcule la CQCT! Pour éviter cet effet pervers, l‘organisme exige que les taxes sur le tabac soient indexées de 2 % chaque année, comme c’est le cas en Ontario. Cependant, « en dehors de cette indexation automatique, il faut prendre garde aux hausses de taxes prévisibles et étalées dans le temps, qui avantagent l’industrie et sont même spécifiquement réclamées par ses lobbyistes », précise Flory Doucas, codirectrice et porte-parole de la CQCT.

Une manipulation des prix

En effet, comme l’a découvert l’organisme, l’industrie réussit à minimiser l’impact des taxes grâce à des stratégies de manipulation des prix, dont l’offre de marques dites « à rabais » (Pall Mall, Philip Morris, etc.). Au début des années 2000, les fabricants de tabac ont intensifié leur mise en marché de ces marques tout en maintenant ou en augmentant le prix de leurs marques haut de gamme (ou premium).

Il existe de nombreuses marques de cigarettes au ‎rabais. Celles-ci occupent ‎désormais ‎plus de la moitié du marché‎.

Résultat : les cigarettes bon marché coûtent parfois jusqu’à 30 % moins cher que les marques premium et elles accaparent maintenant plus de la moitié du marché. « Cette manipulation des prix vise notamment à ce que les hausses de taxes n’affectent pas, ou peu, les fumeurs de marques bon marché alors qu’ils sont particulièrement sensibles au prix et pourraient être tentés de cesser de fumer à cause d’un coût plus élevé », dit Flory Doucas. En ne haussant pas les taxes sur ces produits, les gouvernements laissent aux cigarettiers une plus grande marge de manœuvre pour qu’ils manipulent comme ils l’entendent le prix de leurs dangereux produits.

La nécessité d’une politique

Heureusement, il existe de nombreuses mesures fiscales qui, en plus de la taxation, permettraient d’augmenter le prix du tabac et, donc, d’en diminuer la consommation. L’une des clés est de doter le Québec d’une politique fiscale globale et cohérente sur le tabac. Après tout, en octobre 2016, le Québec s’est engagé dans sa Politique gouvernementale de prévention en santé à intégrer la santé dans toutes ses politiques et à faire baisser le tabagisme à 10 % d’ici 2025.

Arriver à un tel résultat demandera des hausses importantes de la taxe au fil du temps ainsi qu’un contrôle plus serré du prix du tabac, estime la CQCT. C’est pourquoi l’organisme réclame une politique de prix. Celle-ci devra s’appuyer sur un système de monitorage des prix de vente au gros et au détail, afin d’avoir une image juste et publique de la situation. La politique elle-même pourrait imposer un prix plafond aux produits du tabac, standardiser les prix par type de produit ou les marges de profit des détaillants. « Pour arriver à ses fins, le Québec pourrait s’inspirer de ses propres politiques sur le prix de l’essence ou des livres ou, encore, bâtir sur les législations d’autre pays qui imposent un prix unique à chaque marque de cigarettes, comme la France et le Brésil », expose la porte-parole de l’organisme.

Des permis tarifés
La Commission Godbout était présidée par Luc Godbout, directeur du Département ‎de ‎fiscalité de l’Université ‎Sherbrooke.

Parmi les autres mesures d’intérêt, le mémoire de la CQCT mentionne des permis tarifés pour toute entreprise qui fabrique, distribue ou vend des produits du tabac. Les permis obligatoires pour les points de vente figuraient déjà, en 2015, parmi les recommandations de la Commission Godbout (dont le mandat était d’optimiser la fiscalité du Québec). Celle-ci proposait que ces permis coûtent 250 $ par année, soit le même montant que celui avancé par la CQCT à l’époque. Rappelons qu’à Ottawa un tel permis coûte 877 $. En ce qui concerne les permis de fabrication ou de distribution, la CQCT réclame que les redevances perçues atteignent 50 M$, soit l’équivalent des frais gouvernementaux liés au contrôle du tabac et de la contrebande. « Il est inconcevable que les fabricants de tabac n’aient pas à défrayer les coûts engendrés par l’encadrement de leurs produits, alors que c’est le cas pour d’autres industries au Québec, comme celles de la construction ou de l’environnement, rappelle Mme Doucas. En procédant de la sorte, le gouvernement serait non seulement plus équitable, mais libérerait d’importantes sommes pour d’autres interventions en santé publique. » Bref, pour diminuer réellement le taux de tabagisme des Québécois, le Québec a tout avantage à se doter d’une politique globale et cohérente sur la fiscalité du tabac, en plus d’augmenter les taxes sur ces produits, bien sûr!

Hausse de la taxe : une mesure attendue par plusieurs

De nombreuses voix se sont élevées ces derniers mois pour réclamer une hausse des taxes sur les produits du tabac. La dernière en date est celle du Regroupement pour un Québec en santé (RQS). Actif depuis l’été dernier, le regroupement rassemble plus de 1000 organisations, incluant, entre autres, des municipalités, des écoles, des associations familiales, sportives ou liées à la santé. Ce large rassemblement soucieux de la santé publique exigeait que le Québec augmente la taxe sur les produits du tabac de 1 $ le paquet de cigarettes dès 2017 puis de 4 %, chaque année, pendant neuf ans.

Le regroupement demandait aussi l’instauration d’une taxe de 0,10 $ sur chaque litre de boisson sucrée. Les sommes récoltées serviraient à créer un environnement favorable aux saines habitudes de vie. « Le RQS représente une mobilisation sans précédent qui montre que nous sommes à un tournant, dit Sylvie Bernier, membre de l’exécutif. D’une part, les Québécois sont prêts et souhaitent opter pour un mode de vie sain et, d’autre part, les organisations sur le terrain sont prêtes à agir et veulent du soutien pour modifier notre environnement. » La mobilisation se poursuit.

Anick Labelle