Des logements sans fumée, c’est possible‎

Est-il possible d’interdire l’usage du tabac dans les espaces privés des immeubles à logements multiples? Oui, à condition d’obtenir l’accord des autres résidants… ou de la cour.

Alors que la fumée de tabac a disparu des avions, des bars et de la plupart des milieux de travail, peut-on envisager de l’éliminer des espaces privés des immeubles à logements multiples? Oui, mais à certaines conditions, confirme un nouvel avis juridique demandé par l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF).

Rappelons d’abord que, contrairement aux apparences, l’air circule très aisément d’un appartement à l’autre. En effet, « les bâtiments sont parcourus de canalisation de plomberie ou d’électricité qui agissent comme autant de ‘‘microcheminées’’, expliquait à l’émission La Facture le Dr Fernand Turcotte, professeur émérite de médecine préventive et santé publique de l’Université Laval. C’est pourquoi on estime que, dans n’importe quel logement, près de 60 pour cent de la ventilation provient d’autres logements. »

Ainsi, au cours des six derniers mois, pas moins d’un Québécois sur deux a été exposé à de la fumée de tabac provenant de l’extérieur de chez lui. Parmi eux, 44 pour cent s’en disent incommodés, selon un sondage de l’ADNF mené auprès de 1000 Québécois à l’automne 2016. Du côté de la Régie du logement du Québec, on ne recense aucune donnée sur cette question (qui tombe dans la catégorie plus large de perte de jouissance des lieux). Grâce au sondage de l’ADNF, on sait toutefois que, s’ils le pouvaient, 77 pour cent des Québécois choisiraient de vivre dans un immeuble où l’usage du tabac est interdit. Bref, il existe un réel marché pour des milieux de vie sans fumée, ce qui, attention!, ne veut pas dire « sans fumeurs ».

Ailleurs en Amérique du Nord

En Ontario et aux États-Unis, il existe des règlements interdisant l’usage du tabac dans les logements sociaux. En Ontario, c’est le cas de nombreux parcs d’habitations à loyer modique. Les gestionnaires de ces parcs reconnaissent toutefois habituellement un droit acquis aux locataires qui fument déjà. Aux États-Unis, le Housing and Urban Development (HUD) a annoncé à la fin de 2016 que le 1,2 million de logements sociaux qu’il gère devront tous être sans fumée d’ici août 2018. Contrairement aux organismes ontariens, le HUD ne consent toutefois aucun droit acquis aux résidants qui fument. L’organisme fédéral encourage les gestionnaires d’immeubles à établir des partenariats avec des organisations locales spécialisées dans la cessation tabagique. Selon le HUD, l’interdiction du tabagisme devrait permettre d’économiser presque 60 M$ grâce à des réparations moindres et des incendies évités.

Les options de ceux qui veulent vivre sans fumée

Pour faire le point sur les options qui s’offrent aux copropriétaires et locataires, l’ADNF a demandé au cabinet d’avocats Fasken Martineau d’actualiser leur avis juridique de 2009 sur les habitations sans fumée. Leur conclusion? « Tant dans les immeubles à logements que dans les condominiums, avec ou sans règlement interdisant de fumer, les occupants incommodés par la [fumée de tabac secondaire] ont des droits à faire valoir. » Mentionnons que ces droits peuvent toucher autant les logements eux-mêmes que les balcons ou les terrains extérieurs des bâtiments.

Dans le cas des immeubles à logements multiples, le bail signé entre locataire et locateur est un contrat. Les parties sont donc libres d’en négocier les termes. Elles peuvent donc convenir que l’usage du tabac sera interdit dans le logement. Si cette clause est adoptée, elle devra être respectée comme toutes les autres, ainsi que l’a confirmé la Cour du Québec dans l’affaire Koretski c. Fowler. La situation est différente lorsque le locataire a déjà le droit de fumer dans son logement. C’est alors au moment du renouvellement du bail que le propriétaire peut proposer de nouvelles clauses. Celles-ci sont considérées comme acceptées, à moins que le locataire les refuse par voie de lettre recommandée. Si le propriétaire insiste pour les maintenir, c’est la Régie du logement du Québec qui tranche. Par le passé, les tribunaux ont eu tendance à demander aux propriétaires de prouver qu’ils étaient incommodés par l’usage du tabac d’un locataire et que cela représentait un inconvénient sérieux pour eux. La situation en copropriété est assez semblable, sauf que le bail est remplacé par le règlement de la copropriété et que celui-ci est modifiable lors d’une assemblée des copropriétaires. Si l’un des copropriétaires refuse le nouveau règlement, l’affaire est portée devant les tribunaux.

Même lorsqu’il est impossible de convenir d’une nouvelle clause au bail ou d’un nouveau règlement de copropriété, ceux qui souhaitent vivre sans fumée ont tout de même quelques options. En effet, il est toujours possible d’arriver à un compromis avec le voisin qui fume, de colmater les brèches ou de fermer les fenêtres. Malheureusement, ces actions n’arrivent souvent qu’à atténuer le problème plutôt qu’à l’éliminer complètement.

Anick Labelle