Acti-menu repart en campagne contre la fumée dans les domiciles et les automobiles

Parfois les enfants protestent
Un bon jour de 1980, en rentrant chez elle, alors qu’elle était âgée de 12 ans, Élyse a sommé son père, Germain, d’arrêter d’enfumer la maisonnée, sans quoi elle allait elle-même commencer à fumer. Certes, la jeune Élyse avait déjà des dons de comédienne, mais Germain a été un peu ébranlé et a décidé d’arrêter de fumer sur-le-champ.

Aujourd’hui, Élyse Marquis, qui est devenue maman, une vedette de la télévision et de la radio québécoises, et la porte-parole du programme Famille sans fumée, ne caresse pas l’espoir fou d’arrêter tous les parents du Québec de fumer sur une simple suggestion. Mme Marquis et le personnel d’Acti-menu, l’organisme qui a conçu le programme Famille sans fumée et orchestre la campagne Pas de boucane dans ma cabane, savent très bien la difficulté qu’il y a pour nombre de personnes à renoncer au tabagisme. Au reporter d’Info-tabac, la comédienne a d’ailleurs raconté que son paternel a rechuté plusieurs fois dans les années suivantes, avant de gagner définitivement son combat contre la dépendance au tabac. Néanmoins, quand les papas et les mamans, quand les grandes soeurs et les grands frères, se mettent à ne fumer que dehors, pour protéger la santé de leurs proches contre les méfaits de la fumée, c’est déjà, aux yeux des promoteurs de Famille sans fumée, un beau geste de posé, et une première façon d’appliquer un nouveau code de conduite familiale : on ne fume plus dans le domicile ni dans l’auto.

Pour aider les familles à tenir cette résolution, Élyse Marquis et Acti-menu les ont invitées en octobre et en novembre à visiter le portail pasde boucanedansmacabane.ca, à lire des témoignages de « ménages sans fumée », à découvrir comment on se prépare à le devenir, et à s’inscrire à cette sorte de défi, tout en affichant fièrement la nouvelle convention en vigueur dans la famille. Les familles et les autres ménages qui se sont inscrits, en ligne ou par la poste, avant le 16 novembre, couraient la chance de remporter des prix offerts par les pharmacies Jean Coutu, prix remis au début de décembre.

Dans les prospectus de la campagne ou sur le site internautique du programme, un inébranlable adepte du tabac combustible trouvera d’excellentes raisons de ne pas émettre sa chère fumée dans la maison, ou dans un « char », et des réponses sans complaisance à plusieurs questions. Ainsi par exemple, à la question « Si je fume et que la maison et l’auto sont bien aérées, est-ce que cela suffit pour protéger la santé de mes proches? », le dépliant de sensibilisation fournit une réponse franche : « Non. Systèmes de ventilation, hottes de cuisine, vitres baissées ou fenêtres ouvertes : rien ne peut éliminer efficacement toute la fumée du tabac. »

Le texte sur le portail du programme d’Acti-menu prévient aussi de ne pas s’illusionner sur l’efficacité des « purificateurs d’air ». À la question « Si je fume quand je suis seul dans la maison ou l’auto, est-ce que c’est nocif pour ma famille? », la réponse arrive en coupant court à la tentation de jouer au plus fin : « Oui, parce que les substances toxiques de la fumée du tabac restent incrustées dans l’environnement durant des jours et même des mois ».

Les Québécois ont-ils peur d’aller fumer dehors?

Au Québec, comme le souligne la division québécoise de la Société canadienne du cancer, l’un des partenaires du programme Famille sans fumée, 17 % des jeunes de 0 à 17 ans sont exposés à la fumée secondaire du tabac à leur domicile, contre 9,5 % en moyenne dans l’ensemble du Canada.

Selon Statistique Canada, chez les personnes de 25 ans et plus, vaste tranche d’âge où se recrute la très grande majorité des parents, la proportion des fumeurs est plus élevée en Saskatchewan, à Terre-Neuve, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et en Alberta, qu’au Québec. Pourtant, dans toutes ces provinces, les enfants et les adolescents sont proportionnellement moins nombreux à être exposés à la fumée à domicile qu’ils ne le sont au Québec.

Or, les Directions régionales de santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui soutiennent les campagnes de Famille sans fumée depuis 2007, ont plus de raisons que jamais d’espérer la multiplication des « familles sans boucane » et la réduction de l’exposition à la fumée secondaire.

Une longue liste de méfaits

Cette fameuse fumée secondaire, c’est celle qui se répand directement dans l’air à partir du bout allumé ou récemment éteint d’une cigarette ou d’un cigare, sinon du fourneau d’une pipe. Ainsi définie, cette fumée renferme au moins deux fois plus de goudron, de monoxyde de carbone et de nicotine, et 40 fois plus d’ammoniac que la fumée passée par un filtre de cigarette ou de pipe et qu’inhale le fumeur. En général, les défenseurs de la santé publique incluent aussi dans la fumée secondaire la fumée exhalée dans l’air par un fumeur, bien que certains pneumologues préfèrent parler dans ce cas de fumée tertiaire. Au bout du compte, c’est environ les deux tiers du volume de fumée généré par une cigarette qui finit par être « disponible » pour l’entourage de la personne qui fume.

Il a été établi que les enfants sont plus susceptibles que les adultes de s’intoxiquer en respirant régulièrement un air ambiant pollué par la fumée du tabac. De plus, sans jamais avoir porté un produit du tabac à ses lèvres, un adulte, un adolescent ou un enfant exposé régulièrement à la fumée du tabac accroît de 10 % son risque d’être atteint d’une maladie du cœur et de 25 % son risque d’être atteint d’une maladie pulmonaire. Quand ils vivent dans un ménage où l’on fume, les chiens et les chats, qu’on ne saurait soupçonner de pratiquer le tabagisme en cachette, sont plus souvent affectés par l’asthme, la bronchite chronique et le cancer du poumon ou le cancer du sang.

Des études ont déjà montré que les enfants d’un père ou d’une mère qui fume ont une tendance plus grande que les autres enfants à se mettre à fumer et à le faire jeune. Grandissant dans un milieu familial où fumer est un geste banal, ces enfants auraient plus de facilité à adopter le même comportement. C’est du moins ce qu’ont généralement cru les scientifiques, jusqu’à récemment. Mais il se peut que ce soit aussi l’exposition prolongée de ces enfants à la fumée secondaire au domicile qui soit en cause. À force de respirer de la fumée de tabac à la maison ou dans l’auto, les enfants finiraient par éprouver un besoin physique de nicotine. D’ailleurs, d’autres études ont mesuré dans l’urine de non-fumeurs exposés à la fumée secondaire la présence de cotinine, une substance qui est une sorte de résidu de la nicotine et qu’on trouve aussi dans l’urine des fumeurs.

Pour sa part, Mathieu Bélanger, un chercheur de l’Université McGill, a interrogé par écrit 1 843 écoliers francophones de la région de Montréal, âgés d’entre 10 et 12 ans, afin de détecter chez eux les signes d’une dépendance à la nicotine. Or, parmi les élèves qui n’avaient jamais mis un produit du tabac à leurs lèvres, les enfants souvent exposés à la fumée de tabac dans l’automobile familiale ont été significativement plus nombreux que les autres enfants non fumeurs à déclarer éprouver des envies de fumer dans diverses circonstances. Les enfants non fumeurs exposés à la fumée de tabac dans l’automobile familiale ont été plus nombreux que les autres enfants non fumeurs à prédire qu’ils accepteraient de fumer une cigarette offerte par un de leurs meilleurs amis. La recherche du professeur Bélanger est parue à la fin septembre dernier dans la revue Addictive Behaviors.

Pierre Croteau