Accueil glacial pour Rob Parker

L’argent ne fait pas le bonheur, dit-on. La richesse faramineuse de l’industrie du tabac ne semble même plus protéger ses porte-parole contre l’opprobre public, à en juger par l’accueil réservé à Rob Parker lors de son témoignage devant le Comité permanent de la Santé à Ottawa le 29 octobre dernier.

Président du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac depuis plusieurs années, M. Parker a le mandat de présenter comme truismes les affirmations les plus discutables de l’industrie, en gardant toujours un oeil sur l’utilisation qu’on pourrait faire de ses déclarations publiques lors d’une des nombreuses poursuites judiciaires auxquelles les cigarettiers sont mêlés.

L’industrie conteste actuellement en Cour supérieure le bien-fondé des restrictions à la publicité directe contenues dans la Loi sur le tabac fédérale. Aussi ne faut-il pas trop s’étonner que M. Parker, dans la version écrite de son témoignage aux parlementaires, affirme en véritable pince-sans-rire qu’il n’y a pas « la moindre évidence (sic) fiable d’un quelconque rapport entre la publicité, que ce soit du produit ou des événements commandités, et la décision de fumer ».

Témoignant avant M. Parker, Rob Cunningham de la Société canadienne du cancer a déposé des centaines de pages d’études sur le lien entre la publicité du tabac et la consommation; M. Parker n’en a déposé aucune pour appuyer ses thèses.

Le représentant du conseil des fabricants a donc été fidèle à lui-même. Plus intéressante était la réaction du porte-parole conservateur en matière de santé, le député Greg Thompson. « Reconnaissez-vous que 40 000 décès par année sont imputables à la cigarette au Canada? », a-t-il voulu savoir d’emblée. Le passé de M. Parker – il a déjà été député conservateur lui aussi – ne le met plus à l’abri de la colère des parlementaires.

Le chiffre de 40 000 décès provient de projections faites à partir d’une étude californienne des années 1970 auprès d’une population d’adventistes, a-t-il répliqué. (M. Parker se trompe royalement à ce sujet : pour en arriver au chiffre de 41 408 décès en 1991 attribuables à l’usage du tabac, les spécialistes de Santé Canada se sont servis des risques relatifs calculés dans le cadre de la gigantesque étude Cancer Prevention Study II, qui comprend des données de 1982 à 1988 pour plus d’un million d’Américains.)

« Si vous êtes fumeur, vous augmentez votre risque de cancer du poumon de manière significative, a-t-il tout de même reconnu. Le cancer du poumon est généralement une maladie de fumeur. »

Après cette entrée en matière prometteuse, M. Parker a cru bon de rajouter, quelques moments plus tard : « Ce n’est pas ma job de faire la promotion du fait de fumer ou de la cigarette… Les compagnies de tabac ne causent pas la décision de fumer et n’ont pas d’effet là-dessus. »

Les députés de toutes les formations, y compris Pauline Picard du Bloc Québécois, ont eu de la difficulté à se retenir. « Si le fait d’investir dans les commandites ne vous apporte rien, pourquoi vous y tenez tant? », a voulu savoir Denis Paradis, député libéral de Brome-Missisquoi. « Vous ne vous rendez pas service en racontant des bêtises semblables », a renchéri l’un de ses collègues.

Curieux paradoxe : les parlementaires ne croient pas un mot de ce que dit l’industrie, mais s’apprêtent quand même à lui accorder une période de grâce supplémentaire pour la publicité de commandite.

Le 3 novembre, lors de l’étude article par article, tant les libéraux que les bloquistes ont voté en faveur du projet de loi C-42. Auparavant, Mme Picard avait tout de même appuyé une proposition d’amendement néo-démocrate pour limiter l’augmentation des dépenses publicitaires de l’industrie, mais cette proposition a été rejetée par la majorité gouvernementale.

Francis Thompson