96 % des Irlandais considèrent que leur interdiction de fumer est une réussite

Le 29 mars 2004, l’Irlande devenait le premier pays à interdire de fumer à l’intérieur de tous ses endroits publics, notamment dans ses fameux pubs. Lors de la 2e Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac, en septembre 2005 à Paris, le directeur national de la santé publique d’Irlande, Pat Doorley, a dressé le portrait de cette mesure respectée et profitable, que 96 % de ses concitoyens approuvent.

La situation irlandaise de 2004 ressemblait beaucoup à celle qui prévaut au Québec. Avant l’entrée en vigueur de la loi, les restaurants devaient réserver au moins 50 % de leurs places aux non-fumeurs (depuis décembre 1999, la proportion québécoise est d’au moins 60 %), alors qu’aucune restriction ne visait les bars. Comme ici, les restaurateurs ont exigé que les pubs (qui servent des repas) deviennent également sans fumée, afin d’assurer une compétition équitable. En Irlande, très peu de restaurants interdisaient la cigarette avant mars 2004. « Par crainte de perdre une partie de leur clientèle, presque tous les restaurateurs ont attendu la journée du 29 mars pour retirer leurs cendriers », a précisé M. Doorley à Info-tabac.

Autres ressemblances : la population et le nombre d’inspecteurs limité. L’Irlande compte 40 inspecteurs chargés de faire appliquer les mesures antitabac pour 4 millions d’habitants. Au Québec, le ministère de la Santé a recours à 44 inspecteurs pour une population de 7,5 millions d’habitants. Dans les deux cas, le ratio est assez faible. Pour un respect global de la loi, l’appui de la population est donc indispensable.

Recette du succès

Comment l’Irlande a-t-elle obtenu le respect de ses fumeurs? Dès 2000, son gouvernement retenait l’objectif d’une « société sans tabac », en interdisant toute publicité et parrainage des cigarettes et en haussant le prix de ces dernières. En 2001, une agence de lutte contre le tabagisme fut mise sur pied. Puis, l’année suivante, la loi fut resserrée, en accordant au ministre le pouvoir d’interdire de fumer dans n’importe quel endroit.

En 2003, un rapport irlandais fort médiatisé concluait que la fumée ambiante provoque le cancer du poumon, des maladies cardio-vasculaires et des troubles respiratoires. Les chercheurs Allright et Sharpe y recommandaient que tous les travailleurs soient protégés par la législation. Profitant de l’intérêt pour ce rapport, le ministre de la Santé a alors annoncé qu’il allait bannir le tabac des bars et des restaurants. Le Dr Doorley a rappelé le rôle capital du ministre de la Santé et même du premier ministre, par leurs déclarations non équivoques, en vue de l’acceptation de la mesure avant-gardiste touchant notamment les 10 000 pubs du pays.

Comme c’est le cas en Amérique du Nord, les tenanciers ont réagi vivement. Les conclusions du rapport Allright furent contestées. Les opposants ont favorisé les salles séparées avec ventilation; ils ont anticipé des conséquences économiques catastrophiques. Un mouvement a tenté d’annuler, d’atténuer ou de reporter la loi. Des propriétaires ont même menacé de ne plus retourner les taxes de vente. Toutefois, un autre rapport est venu contrebalancer les appréhensions des tenanciers de pubs. « Le poids des preuves, même si elles ne sont pas sans faille, est que, dans l’ensemble, les interdictions ont peu ou pas d’impact », conclurent les chercheurs Durkan et McDowell, après avoir étudié la rentabilité des bars dans des régions touchées par une interdiction de fumer.

La loi irlandaise fut généralement très bien respectée dès la première journée, se souvient Pat Doorley, en montrant les manchettes des quotidiens du lendemain. « It’s working. No problems as ban is enforced », titrait le Evening Herald. Une combinaison de plusieurs éléments a conduit à une telle réussite, soit une loi très complète sans ambiguïté, un débat national qui a mobilisé l’opinion publique, un ministre actif dans le dossier, une tradition de politique antitabac forte, une préparation consciencieuse et une coopération entre diverses agences, organismes et syndicats. Des campagnes médiatiques ont aussi porté sur les méfaits de la fumée ambiante sur la santé des employés. Les contrevenants eurent rapidement droit à des amendes salées de 3 000 Euros (4 500 $ Can); les inspecteurs enquêtent sur place de une à deux journées après un signalement et sévissent s’il y a lieu, précise M. Doorley.

Selon un sondage tenu au printemps 2005, 96 % des Irlandais considèrent la loi comme une réussite, y compris 89 % des fumeurs. Quant aux recettes des pubs, elles n’ont baissé que de 4 %, correspondant à une tendance à long terme due aux hausses du prix de l’alcool et aux changements d’habitudes de la population. En revanche, le nombre de touristes a augmenté de 3 %. Ces chiffres proviennent du rapport Smoke-Free Workplaces in Ireland – A One-Year Review, soumis par le bureau du contrôle du tabac. « Un an après l’implantation de la loi, il est évident que la vaste majorité des lieux de travail intérieurs sont sans fumée, et que ces environnements sains et propres s’intègrent dans la vie communautaire normale, tant au travail que dans les loisirs », indique le résumé du rapport.

Les plus récentes données révèlent de très bonnes affaires dans les pubs irlandais. Depuis janvier 2003, c’est en août 2005 que leurs revenus mensuels ont atteint un sommet, en hausse de 7,1 % sur le début 2005, rapporte le quotidien The Irish Independant se fiant aux chiffres du Central Statistics Office.

Denis Côté