Des spécialistes de la santé demandent au fédéral de « dénormaliser » l’industrie du tabac

Plusieurs organismes et professionnels de la santé soutiennent que les compagnies de tabac ne devraient pas être considérées comme des entreprises légitimes, puisqu’elles fabriquent un produit qui tue lorsqu’il est utilisé selon leur intention. Dans une lettre adressée, en novembre 2004, au ministre fédéral de la Santé Ujjal Dosanjh, une cinquantaine d’intervenants lui demandent d’inclure la dénormalisation de l’industrie du tabac à son plan de lutte contre le tabagisme.

« Pour des raisons que nous ignorons, votre gouvernement a jusqu’ici hésité à implanter cette importante stratégie, et ce, même si votre propre Conseil consultatif ministériel la lui a recommandée. Quels que soient les obstacles, nous vous demandons de prendre les mesures nécessaires pour que le gouvernement tout entier reconnaisse la légitimité de cette approche », réclament-ils dans la missive.

L’importance de la dénormalisation

« Les campagnes de dénormalisation ont été mises sur pied pour persuader les gouvernements d’attribuer la responsabilité de l’épidémie de tabagisme à l’industrie du tabac, et non pas aux comportements individuels et aux erreurs de jugement des adolescents », indique Garfield Mahood, directeur exécutif de l’Association pour les droits des non-fumeurs. Blâmer les victimes ne constitue pas une approche valable pour réduire l’usage du tabac. La dénormalisation de l’industrie du tabac représente une meilleure stratégie, soutient le spécialiste de la lutte antitabac.

Signataire de la lettre, Robert Evans approuve. « Quand on prend l’épidémie de tabagisme au sérieux, on ne doit pas permettre l’investissement des fonds de pension publics dans les compagnies de tabac, dénonce cet économiste en matière de santé à l’Université de Colombie-Britannique. Il ne faut pas, non plus, laisser les représentants de l’industrie se joindre aux délégations gouvernementales pour stimuler leurs ventes de tabac à l’étranger. »

Pendant des années, l’industrie du tabac a bloqué ou freiné les réformes les plus indiquées pour contrer l’épidémie de tabagisme, en prétendant être une industrie normale et légale qui vendait un produit normal et légal, signale la Dre Mary Jane Ashley, présidente du comité d’experts sur le renouvellement de la stratégie de lutte antitabac ontarienne et professeure honoraire en santé publique à l’Université de Toronto. « Il est donc nécessaire qu’une stratégie de santé publique comme la dénormalisation vienne neutraliser cette pratique », explique-t-elle.

Prudence du ministre Dosanjh

S’il admet que l’industrie du tabac est la seule industrie au monde à fabriquer des produits de consommation qui soient aussi dangereux pour la santé, le ministre Dosanjh refuse de se compromettre au sujet de la dénormalisation, rapportait récemment le Ottawa Citizen.

De Facto : la vérité sans filtre

Directeur de l’Association régionale du sport étudiant de Québec et Chaudière-Appalaches (ARSEQCA), Daniel Veilleux a lui aussi pris part à cette campagne en faveur de la dénormalisation. L’an dernier, les trois principaux fabricants de cigarettes canadiens se sont opposés à De Facto, la seule campagne québécoise à avoir osé dénormaliser l’industrie du tabac. La direction de l’Association avait même reçu des mises en demeure –également envoyées à Santé Canada qui finançait le projet. Depuis, la campagne De Facto, qui aurait dû se prolonger en raison de son succès, est sans le sou. Questionné à savoir s’il croit que les mises en demeure ont nui au renouvellement du financement de son projet, M. Veilleux indique qu’au gouvernement, on lui a répondu que non. « Toutefois, à l’ARSEQCA, on s’interroge, on se le demande et si c’est le cas, on peut même le comprendre », a-t-il confié à Info-tabac.

Josée Hamelin