Une odeur de vide juridique

Tel que mis au jour par le Journal de Montréal à la fin de juillet, de nouvelles cigarettes à base d’herbes ont récemment fait leur apparition sur le marché. Vendues pour aussi peu que 1,50 $ le paquet, ces cigarettes sans tabac échappent actuellement aux lois en vigueur, si bien qu’un enfant de 5 ans pourrait légalement s’en procurer.

Ayant pignon sur la rue St-Laurent, à Montréal, la compagnie Casa Cubana commercialise ces mélanges d’herbes aromatisées sous les marques Cannabis Free, Jambi, Ultra Deal, Ecstacy et Honeyrose. Dirigée par André Dunn, cette division de Spike Marks Inc. distribue et importe des produits du tabac depuis 1998. Bien qu’elle allègue que ses cigarettes aident les fumeurs à briser leur dépendance à la nicotine, tous ne voient pas la situation du même oeil.

Un tremplin vers le tabac?

Le directeur québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs, François Damphousse, considère plutôt ces « fausses cigarettes » comme un tremplin vers l’usage du tabac. « Le fait qu’une compagnie de tabac [Casa Cubana] distribue un produit d’arrêt tabagique est d’ailleurs un peu louche », remarque-t-il.

Pour sa part, Santé Canada met en garde les utilisateurs, par l’entremise de son site Internet. « Malgré ce que prétendent les fabricants de ces produits, il n’est pas prouvé que l’usage de cigarettes aux fines herbes puisse faciliter l’arrêt ou la réduction de la consommation de cigarettes ordinaires ». Le ministère précise également que « la fumée provenant de n’importe quel produit végétal […] peut contenir des substances toxiques susceptibles de provoquer des dommages à long terme aux voies respiratoires et aux tissus pulmonaires ». À la suite du tollé médiatique qui a suivi la publication du reportage du Journal de Montréal, le ministre fédéral de la Santé, Ujjal Dosanjh, a commandé une enquête.

Professeur de médecine à l’Université Laval, le Dr Fernand Turcotte soutient que le produit est inutile et que sa consommation demeurera marginale. « Si les gens fument des cigarettes ordinaires, c’est parce qu’ils sont dépendants de la nicotine qu’elles renferment, précise-t-il. Même si elles sont aussi toxiques, en raison de leur combustion qui s’effectue à basse température, les cigarettes aux herbes n’en contiennent pas. »

Vente aux mineurs

Au Canada, les cigarettes à base d’herbes ne sont actuellement soumises à aucune restriction. Ailleurs, certaines juridictions comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’État de New York en ont interdit la vente aux mineurs. Dans la province, il serait relativement simple de circonscrire leur usage puisque la nouvelle Loi sur le tabac permet d’ajouter, par règlement, les produits qui doivent être soumis aux mêmes règles que les produits du tabac.

À l’émission La Part des choses, sur les ondes de Radio-Canada le 27 juillet, le porte-parole de Casa Cubana, Luc Martial, a affirmé que l’objectif de la compagnie n’est pas d’encourager la consommation chez les jeunes. « S’il y avait une recherche qui suggérait que ce sont des jeunes qui s’en procurent, Casa Cubana arrêterait d’en vendre du jour au lendemain », a-t-il déclaré.

Luc Martial, transfuge

À l’inverse de Jeffrey Wigand, qui a inspiré le film The Insider (L’Initié), M. Martial est passé des groupes de santé vers l’industrie du tabac en 2001. Après avoir travaillé pour l’Association pour les droits des non-fumeurs, le Conseil canadien pour le contrôle du tabac, le Centre de documentation sur le tabac et la santé et Santé Canada, ce transfuge, qui se décrit maintenant comme un « expert du domaine du tabac et de la santé », défend les intérêts des compagnies qui gravitent autour de l’industrie du tabac.

En 2002, M. Martial s’opposait au projet de loi sur la protection des non-fumeurs du Manitoba, au nom de l’Association nationale des distributeurs aux petites surfaces alimentaires (NACDA). Trois ans plus tard (mai 2005), il défendait les Tobacco Farmers in Crisis, en marge du renforcement de la loi antitabac ontarienne. En juin dernier, M. Martial animait un atelier de la Conférence Internationale des droits des fumeurs qui avait lieu à Las Vegas.

Bien qu’aucun lien ne rattache les cigarettes à base d’herbes aux principales compagnies de tabac, cette histoire n’est pas sans rappeler les tests que British American Tobacco – la corporation-mère d’Imperial Tobacco Canada – a effectués l’an dernier sur des cigarettes arômatisées, dans des laboratoires québécois.

Josée Hamelin