Solidarité autour de la campagne De Facto

Plusieurs groupes de santé ont manifesté leur soutien à la campagne publicitaire De Facto, de l’Association régionale du sport étudiant de Québec / Chaudière – Appalaches (ARSEQCA).

Le 27 novembre à Québec, lors d’une conférence de presse couverte par une quinzaine de journalistes, ils ont dénoncé « l’abominable tactique d’intimidation » des trois principales compagnies canadiennes de tabac. Elles ont en effet envoyé des mises en demeure à Gilles Lépine, directeur de l’ARSEQCA, Paul Bleau, V.P. exécutif de LBX Communication Marketing, ainsi qu’à deux firmes ayant contribué au concept publicitaire.

Dans ces mises en demeure, qui interpellent des individus spécifiques et non pas l’ARSEQCA, l’industrie reproche aux responsables de la campagne de tenir des propos diffamatoires. « Vos messages de dénormalisation de nos clients constituent un inextricable amalgame de faits, de faussetés, de déformations de la vérité, d’insinuations mensongères et de citations désuètes et invérifiables, juxtaposés de manière à maximiser leur impact préjudiciable […] Vous accusez faussement nos clients de dissimuler leur volonté qui serait, selon vous, de promouvoir et de vendre illégalement des produits du tabac aux enfants et aux adolescents », rapporte la missive d’Imperial Tobacco Canada (ITC).

Proférant, à peu de choses près, les mêmes accusations dans leurs lettres d’avocats, Rothmans, Benson & Hedges, JTI-Macdonald et Imperial Tobacco ont exigé que toutes références à leur société soient reTirées du site Web et des publicités de De Facto. Brandissant la menace d’éventuelles poursuites, elles ont également réclamé que ces messages antitabac cessent d’être diffusés : « Soyez avisés que nos clients sont disposés à surseoir à tout recours contre vous, à la condition que vous obtempériez immédiatement à la présente mise en demeure. »

« En s’y prenant de cette façon, les géants canadiens du tabac clament haut et fort que les campagnes de dénonciation font mal à l’industrie », a indiqué le Dr Fernand Turcotte, professeur au département de santé publique de l’Université Laval. Selon lui, les compagnies de tabac auraient pu demander une injonction si elles avaient réellement voulu faire cesser la campagne publicitaire. « Elles ont plutôt choisi d’envoyer des mises en demeure parce que c’était beaucoup moins compliqué pour elles que de devoir débattre d’une injonction devant le tribunal », a-t-il expliqué.

Analyste à l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), Francis Thompson complète : « C’est pour empêcher que d’autres campagnes du même genre voient le jour, mais aussi pour que Santé Canada cesse de financer de tels projets que l’industrie a laissé planer la menace de poursuites. » Les cigarettiers ont d’ailleurs pris soin d’envoyer des copies des mises en demeure au ministère fédéral de la Santé, le principal bailleur de fonds du projet.

À Santé Canada, on soutient que les mises en demeure ne concernent que l’ARSEQCA et l’industrie du tabac. « Santé Canada a financé le projet pilote La vérité sans filtre afin de générer des données sur l’efficacité de la dénormalisation. Les opinions exprimées par le bénéficiaire sont strictement de sa responsabilité. Il faut rappeler que la nature des programmes de contributions est telle que la participation de Santé Canada se résume au versement des fonds », a rappelé Hélène Goulet, directrice du Programme de la lutte au tabagisme.

Unique en son genre, De Facto utilise une approche non-traditionnelle ayant pour but de dénormaliser l’usage du tabac chez les jeunes. Inspirée de publicités percutantes réalisées en Australie (Quit Now) et aux Etats-Unis (The Truth), la campagne médiatique est un projet-pilote qui a vu le jour grâce à une subvention de 893 000 $ de Santé Canada. Elle a donné lieu à six messages télévisuels ou radiophoniques qui ont été diffusés, du 19 septembre au 2 novembre, dans les régions de Québec et Chaudière-Appalaches.

« Nous ne ciblons pas les jeunes… »

À l’émission L’heure du midi, sur les ondes de Radio-Canada, le porte-parole d’ITC, Yves-Thomas Dorval, a dû répondre aux questions que soulève la campagne De Facto. « En fumant, 475 000 jeunes canadiens de 10 à 19 ans contribuent aux profits de l’industrie du tabac », révèle une des pubs. « Ce n’est pas vrai cela? », lui a demandé l’animateur. « Je vous dis que les compagnies de tabac ne visent absolument pas la clientèle des personnes mineures », a prétendu M. Dorval.

« Comment les compagnies de tabac peuvent dire qu’elles visent les jeunes de 18 ans et plus sans avoir d’impact sur ceux de 17 ans et moins?, s’est interrogé Francis Thompson, en conférence de presse. En termes de stratégie de marketing, c’est pratiquement impossible. » D’ailleurs, un article du jugement Denis, de la Cour supérieure du Québec, corrobore cette analyse : « […] La Cour ne croit pas que la publicité des cigarettiers ne s’adresse qu’aux fumeurs de 19 ans et plus. Toutes les campagnes de publicité contiennent des éléments séduisants pour les adolescents qui sont l’avenir de l’industrie. »

D’après le Dr Fernand Turcotte, ce qui a dérangé les compagnies de tabac dans la campagne De Facto, c’est qu’un petit organisme sans but lucratif réussisse à mettre sur pied une campagne médiatique, efficace auprès des jeunes, qui ose dénoncer les agissements de l’industrie. « Or, on a besoin de ce genre de publicités, a-t-il expliqué. Elles sont nécessaires pour informer les adolescents des méfaits du tabagisme et de la manipulation dont ils sont victimes de la part des fabricants de cigarettes. »

Solidaires devant l’industrie

Bien que l’Association du sport étudiant ne se soit pas pliée à toutes les revendications des cigarettiers, qui souhaitaient l’arrêt définitif de la campagne De Facto, les références aux compagnies canadiennes de cigarettes ont été retirées du site Internet defacto.ca. « Ce n’est pas pour donner raison à l’industrie mais plutôt pour protéger les individus qui font face à la menace de poursuites qu’une telle action a été entreprise, assure Louis Gauvin, coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT). Les simples citoyens n’ont pas les moyens de se défendre contre les armées d’avocats et les budgets illimités dont disposent les fabricants de cigarettes. N’importe qui serait intimidé par la menace d’être poursuivi par des compagnies multimilliardaires. »

Par solidarité pour De Facto, plusieurs organismes ont accepté d’afficher, sur leur site Web, un lien menant vers une page Internet qui reprend les informations considérées litigieuses par l’industrie (http://globalink.org). On y retrouve également des publicités télévisuelles et radiophoniques, de même que des extraits des mises en demeure envoyées par les trois fabricants.

Malgré son absence à la conférence de presse organisée à Québec par les groupes antitabac, Gilles Lépine est très heureux de la solidarité démontrée par ses pairs. « Quand les huissiers entrent dans ton bureau pour te dire que ton nom et celui de ton association figurent dans une mise en demeure, ce n’est pas une situation confortable et c’est agréable de sentir qu’on est soutenu », a-t-il confié à Info-tabac.

Toujours déterminé à réduire le tabagisme juvénile, M. Lépine demeure convaincu que la dénormalisation est une stratégie très efficace auprès des jeunes. « Je ne pourrais pas continuer à lutter contre le tabagisme en évitant de dire qu’il y a une cause à cela. Et, la cause du tabagisme, c’est une industrie qui fabrique un produit qui crée une dépendance et qui tue la moitié des gens qui l’utilisent. »

M. Lépine déplore le fait qu’il n’y a pas plus de campagnes de dénormalisation au Québec et au Canada mais il est confiant car son projet aura, à tout le moins, permis de changer la perception que les jeunes se font du tabagisme. Une évaluation de l’efficacité de la campagne De Facto devrait paraître début 2004.

Josée Hamelin