Seules les « douces » et « légères » risquent d’être proscrites
Décembre 2006 - No 66
Cinq ans après avoir annoncé pour la première fois son intention de bannir les appellations « douce » et « légère » qui figurent sur les paquets de cigarettes, le gouvernement fédéral s’apprête à le faire. Santé Canada travaille actuellement à l’élaboration d’un projet de règlement qui pourrait entrer en vigueur au début de l’année 2008.
Toutefois, les descriptifs donnant l’impression qu’un produit est moins nocif qu’un autre ne seront pas tous prohibés. La mesure gouvernementale ne vise que les mots « douce » et « légère » (peu importe la manière dont ils sont orthographiés) ainsi que leurs diverses variantes telles que « extra-douce » ou « ultra-légère ».
Selon les informations obtenues auprès de Santé Canada (lesquelles sont sujettes à changements), cette interdiction s’appliquerait aux cigarettes, bidis (minces cigarettes aromatisées, souvent sans filtre et roulées dans des feuilles de tabac), kreteks (cigarettes indonésiennes parfumées au clou de girofle), bâtonnets de tabac, papier à rouler, tubes, filtres, et au tabac en vrac, mais pas aux cigares, ni aux cigarillos. La modification s’effectuera en vertu de la Loi sur le tabac fédérale, par un amendement au Règlement sur l’information relative aux produits du tabac.
Même si le projet doit être annoncé dans la première partie de la Gazette du Canada d’ici la fin de l’année, la véritable publication du règlement n’est prévue qu’à l’automne 2007. Au début 2008, une fois que les compagnies de tabac auront bénéficié de quelques mois pour s’adapter aux nouvelles exigences, on peut présumer qu’il sera effectif.
L’OMS exige une interdiction complète
En novembre 2004, le Canada a ratifié la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé. En vertu de ce traité de santé publique, les pays doivent interdire l’étiquetage qui contribue à « promouvoir un produit du tabac par des moyens fallacieux, tendancieux, trompeurs, ou susceptibles de donner une impression erronée quant aux caractéristiques, effets sur la santé ou risques ».
D’après le directeur de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), Garfield Mahood, le gouvernement sera sévèrement critiqué s’il ne bannit que les termes « douce » et « légère ». « Son règlement ne mettra pas fin à la tromperie et c’est justement celle-ci qu’il faut empêcher, a-t-il expliqué à Info-tabac au cours d’un entretien téléphonique. L’industrie du tabac va s’adapter, comme elle l’a fait ailleurs, en remplaçant les appellations défendues par un système de classification par couleurs ou par numéros. »
Au Brésil, où les mots « doux » ou « léger » ne peuvent plus figurer sur les emballages depuis 2002, les cigarettiers les ont remplacés par des couleurs. Quelques mois avant que la réglementation n’entre en vigueur, Souza Cruz une filiale de la multinationale British American Tobacco a même inclus un dépliant à l’intérieur de ses paquets. « Le plaisir et la douceur dans un nouvel emballage moderne et innovateur », précisait-il en spécifiant que le bleu serait dorénavant associé à l’ancienne marque légère.
Chez nous, l’industrie du tabac utiliserait déjà des symboles ou formulations qui laissent croire que certains produits sont moins nocifs, indique M. Mahood : « Par exemple, le terme « naturel » demeurerait permis par le projet de règlement de Santé Canada et il sous-entend que ces cigarettes sont plus saines, alors que ce n’est pas le cas. »
Plainte auprès du Bureau de la concurrence
En juin 2003, l’ADNF ainsi que des juristes et professionnels de la santé ont déposé une plainte contre les trois principaux fabricants de cigarettes canadiens, auprès du Bureau de la concurrence. Considérant que les « douces » et « légères » induisent les consommateurs en erreur, ils voulaient que l’agence fédérale mette fin à cette pratique frauduleuse.
Un an et demi plus tard, voyant que leur grief demeurait sans réponse, ils ont soumis au tribunal une requête (mandamus) afin de forcer le Bureau à se pencher sur leur dossier. En avril dernier, la Cour fédérale a refusé d’accéder à leur demande. Le mois suivant, les signataires ont porté cette décision devant la Cour d’appel, laquelle devrait entendre la cause d’ici la fin de l’année.
Questionné à savoir si son association poursuivra sa démarche auprès du Bureau de la concurrence, même si le gouvernement est en voie d’interdire les cigarettes « douces » et « légères », Garfield Mahood assure qu’elle est prête à se rendre devant la Cour suprême s’il le faut : « Alors qu’un règlement ne mettra fin qu’à certaines pratiques dans le futur, un jugement portera également sur la mauvaise conduite antérieure des compagnies de tabac. »
Au Canada, environ les deux tiers des fumeurs optent pour des cigarettes portant un descriptif trompeur. Chez nos voisins américains, le tribunal fédéral a récemment interdit l’utilisation des « lights » et des « milds », jugeant que les cigarettes qui les portent ne sont pas moins nocives et contribuent à décourager l’abandon du tabagisme.
Les dates qui, jusqu’ici, ont marqué le retrait des « douces » et « légères »
Janvier 1999 : Santé Canada informe les Canadiens qu’il est arrivé à la conclusion que les produits du tabac dits « légers » ou « doux » présentent les mêmes risques de maladies que les autres produits du tabac.
Mai 2001 : Le ministre de la Santé fédéral, Allan Rock, demande à l’industrie du tabac de retirer volontairement ces mots des paquets de cigarettes, à l’intérieur d’un délai de 100 jours.
Octobre 2001 : Santé Canada lance une campagne publicitaire destinée à informer la population des dangers associés aux cigarettes légères. On y montre des gros plans de bouteilles sur lesquelles il est inscrit : « arsenic léger », « benzène doux », « ammoniac velouté léger », « formaldéhyde ultra léger » et « cyanure extra doux ». Une voix affirme : « Personne n’oserait qualifier de doux et de léger un produit toxique. Sauf l’industrie du tabac. » On voit ensuite un paquet de cigarettes légères et le narrateur dit : « Douces et légères? Trompeuses et dangereuses. »
Novembre 2001 : Le ministre Allan Rock signale que le gouvernement va bannir les « douces » et « légères ».
Décembre 2001 : Santé Canada envisage l’élaboration d’un règlement sous le régime de la Loi sur le tabac afin d’interdire l’affichage des descripteurs « léger» et « doux » sur l’emballage des produits du tabac et invite les parties intéressées à lui faire part de leurs commentaires.
Janvier 2002 : M. Rock est remplacé par Anne McLellan et celle-ci n’a jamais indiqué si elle avait l’intention de poursuivre le travail de son prédécesseur concernant les « douces » et « légères ».
Juin 2003 : Un groupe ayant à sa tête l’ADNF dépose une plainte contre les manufacturiers de cigarettes canadiens auprès du Bureau de la concurrence. Il juge la mise en marché des « douces » et « légères » frauduleuse.
Juin 2004 : Ujjal Dosanjh succède à Anne McLellan en tant que ministre de la Santé fédéral.
Janvier 2005 : Les signataires de la plainte contre les « douces » et « légères » déposent une requête en mandamus pour forcer le Bureau de la concurrence à se pencher sur leur dossier.
31 mai 2005 : Ujjal Dosanjh annonce, lors d’une allocution dans le cadre de la Journée mondiale sans tabac, qu’Ottawa va aller de l’avant avec son règlement qui bannira les « douces » et « légères ».
Avril 2006 : La juge Elizabeth Heneghan, de la Cour fédérale, rejette la demande de mandamus déposée pour forcer le Bureau de la concurrence à agir.
Mai 2006 : Les signataires de la plainte portent la décision de la juge Heneghan devant la Cour d’appel fédérale.
Décembre 2006 : Santé Canada prévoit prépublier son projet de règlement qui vise à interdire les « douces » et « légères » dans la Gazette du Canada partie 1. La Cour devrait également entendre l’appel des auteurs de la plainte déposée auprès du Bureau de la concurrence.
Josée Hamelin