Projet de loi 444 – les grandes lignes

Le projet de loi déposé par le ministre Jean Rochon remplace la Loi sur la protection des non-fumeurs dans certains lieux publics, adoptée en 1986. Pour la première fois, le gouvernement entend réglementer l’usage du tabac dans la presque totalité des entreprises privées.

Dès l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur le tabac, on ne pourra plus fumer à son poste de travail, à moins de travailler dans un bar, un restaurant, un casino ou une salle de jeux (quilles, billard, bingo, etc.). Les entreprises peuvent choisir d’établir des fumoirs, qui doivent être fermés et où on ne pourra pas travailler. Pas question, donc, de désigner comme fumoirs les bureaux de tous les fumeurs qui travaillent dans une entreprise, ou de tenir des réunions en plein fumoir.

Les entreprises de 50 employés et plus auront ensuite 18 mois pour doter leurs fumoirs d’un système de ventilation autonome, c’est-à-dire d’un dispositif qui évacue la fumée vers l’extérieur et non pas vers le reste de l’édifice et qui en plus maintiendra une pression négative (pour que l’air soit attiré vers le fumoir). Dans le cas des plus petites entreprises, on accorde un délai de 48 mois.

L’approche est semblable pour les restaurants, mais avec des délais plus longs. On impose des restrictions immédiates – les restaurateurs doivent aménager tout de suite des aires non-fumeurs d’au moins 60 % de la superficie du restaurant. Dans deux ans (pour les restaurants nouveaux ou fraîchement rénovés) ou dans dix ans (pour les autres), les restaurateurs qui choisissent de laisser fumer dans leurs établissements devront installer des cloisons et un système de ventilation autonome pour la section fumeurs.

La protection sera moins complète dans le cas des centres commerciaux, où 40 % des aires communes pourront être désignées zones fumeurs et où aucune cloison n’est exigée.

Prévention du tabagisme juvénile

Le reste du projet de loi 444 est consacré à une panoplie de mesures pour combattre le tabagisme juvénile et réduire les facteurs psychologiques et biologiques qui incitent à fumer.

Suivant l’exemple de la Food and Drug Administration aux États-Unis, du gouvernement fédéral et de celui de Colombie-Britannique, le projet du ministre Rochon autorise le Québec à réglementer la « composition » et les « caractéristiques » des produits du tabac. On pourra ainsi interdire certains additifs particulièrement nocifs et, surtout, ajuster les effets pharmacologiques des cigarettes pour que celles-ci engendrent moins rapidement la dépendance chez les adolescents.

Le ministre Rochon entend aussi réduire l’accessibilité des cigarettes aux mineurs, dossier dans lequel le Québec est très en retard sur la grande majorité des juridictions en Amérique du Nord. Il y aura dorénavant un registre de commerçants délinquants qui vendent du tabac aux enfants, avec la possibilité de sanctions administratives : le droit de vendre des cigarettes sera retiré aux récidivistes (un mois pour la première récidive, six mois pour la deuxième, un an par la suite), à l’aide d’un système de permis de vente accordés par Revenu Québec en vertu de la loi sur la taxe de vente.

Dans le même ordre d’idées, les présentoirs libre-service et les machines distributrices sont interdits, ce qui ne change presque rien en pratique puisque le fédéral a déjà adopté la même disposition, sauf en ce qui concerne les distributrices avec commande à distance.

Une belle surprise au chapitre de la mise en marché : un an après l’entrée en vigueur de la loi, les commerces avec pharmacie ne pourront plus vendre de cigarettes.

En ce qui concerne la publicité, le projet de loi 444 comble un certain nombre de lacunes dans la loi fédérale. Il prévoit une interdiction complète de la publicité de commandite d’ici deux ans (cinq ans pour les écuries de course automobile); il interdit aussi les envois publicitaires, permis par le fédéral lorsqu’ils sont destinés aux adultes. Le projet québécois est moins sévère sur un autre élément, soit la publicité aux points de vente, qui est permise dans la mesure où elle n’est pas visible de l’extérieur du commerce.

Comme la loi fédérale, le projet de loi 444 permet la publicité dans les publications avec un lectorat comptant au moins 85 % d’adultes. La publicité autorisée, dans tous les cas, ne peut comporter autre chose que du texte et une illustration du paquet; les slogans et toute association avec un style de vie sont interdits. Les produits dérivés (T-shirts, etc.) sont interdits.

L’article 28 du projet québécois permet aussi au gouvernement de réglementer l’emballage des paquets de cigarettes, et semble même interdire tout de suite, de par sa référence à l’article 24, l’utilisation sur les paquets de tout concept « susceptible de créer une fausse impression… sur les effets du tabac sur la santé ». Logiquement, on s’attendrait donc à ce que le Québec poursuive les fabricants qui lancent de nouvelles marques de cigarettes dites « légères » ou « douces ».

À moins d’un amendement, les marques existantes bénéficieront du principe de droits acquis à cet égard. Étant donné la position dominante des marques « légères » sur le marché québécois, cette disposition aura sans doute l’effet de renforcer encore plus l’oligopole des trois grands cigarettiers (Imperial Tobacco et RJR Macdonald, ainsi que Rothmans, Benson & Hedges).

Compensation pour les événements

À la mi-février, le ministre des Finances, Bernard Landry, avait annoncé qu’il prévoyait utiliser 12 millions $ des revenus supplémentaires provenant de la récente augmentation de la taxe d’accises sur le tabac pour compenser les événements actuellement commandités par les cigarettiers et qui risquaient de subir les contrecoups du projet de loi de son collègue Jean Rochon.

Le projet de loi 444 ne donne qu’une seule précision sur la nature de cette compensation : elle pourrait prendre la forme de commandites pro-santé, puisque le gouvernement pourra exiger des organismes subventionnés qu’ils diffusent des « messages attribués au ministre (de la Santé) et portant, entre autres, sur les effets nocifs du tabac sur la santé ».

On est encore assez loin de l’idée d’un fonds dédié, à l’australienne, administré par une fondation indépendante et doté d’un financement stable sur plusieurs années. Comme cela avait été le cas à Ottawa dans les tractations précédant le dépôt du projet de loi C-71, il semblerait que l’opposition philosophique du Conseil du trésor à la mise sur pied d’un autre fonds dédié ait été impossible à surmonter.

Francis Thompson