Normand Legault obtient des Grand Prix sans tabac

C’est officiel : le Grand Prix du Canada sera disputé à Montréal le 13 juin 2004, et cela sans publicité de cigarettes. Normand Legault, promoteur de l’événement, a annoncé avoir obtenu l’aval du grand manitou mondial de la Formule 1, Bernie Ecclestone, pour abolir la clause « tabac » du contrat liant leurs entreprises. Cette clause permettait au richissime Anglais de retirer l’épreuve canadienne du calendrier si l’apposition des marques de cigarettes sur les monoplaces était interdite par législation.

En échange d’environ 29 millions $ CAN, que Normand Legault devra lui verser avant le 31 janvier 2004, M. Ecclestone s’engage à dédommager lui-même les écuries, s’il y a lieu, pour venir courir désormais sans tabac chez nous. M. Legault ayant un contrat de trois ans en poche, renouvelable pour cinq années supplémentaires, cette somme a vraisemblablement acheté la paix d’ici le retrait général du tabac en Formule 1. Cet heureux développement pourrait arriver dès 2005 ou 2006, grâce à la législation européenne qui entre en vigueur le 31 juillet 2005, ou suite à l’achat du circuit par les constructeurs automobile, lesquels sont plus indépendants de l’industrie du tabac.

Contrairement à l’Australie, au Brésil et à la Belgique, qui ont accordé une exception à leurs lois en faveur du cirque de la Formule 1, le Canada a cette fois opté pour la ligne dure. Le gouvernement Chrétien avait déjà retardé à deux reprises l’interdiction de l’ensemble des commandites du tabac, en bonne partie pour accommoder MM. Legault et Ecclestone. Le bannissement total est donc entré en application en octobre dernier, en vertu des lois canadienne et québécoise sur le tabac.

Bien qu’il n’ait pas réussi à faire plier nos gouvernements, M. Ecclestone a tout de même récolté un montant considérable, incluant12 millions $ provenant, à parts égales, de Québec et d’Ottawa. Quant à Normand Legault, il se remboursera les autres 17 millions $ au fil du temps auprès des amateurs de course et des commanditaires, dont la Brasserie Labatt qui s’est engagée à verser 5 millions $ sur trois années. En supplément de ce magot exceptionnel de 29 millions $, l’entreprise de M. Legault doit continuer à débourser à M. Ecclestone une cote annuelle d’environ 20 millions $ pour accueillir l’épreuve, nonobstant le cas du tabac.

Conférence de presse fort courue

Le 18 novembre, dans un hôtel montréalais, devant une douzaine de caméramans et une cinquantaine de journalistes, M. Legault a été chaleureusement félicité pour avoir sauvegardé l’événement dans le respect des lois sur le tabac. Le maire de Montréal, Gérald Tremblay, le ministre québécois des Affaires municipales, Jean-Marc Fournier, le ministre fédéral responsable du Québec, Martin Cauchon, et le président de la Brasserie Labatt, Marc Portelance, ont couvert d’éloges leur « ami Normand » pour l’aboutissement de ses longues semaines de négociation. « Le Grand Prix de 2004 va avoir lieu sans tabac, mais pas sans bière! », s’est exclamé M. Portelance.

Répondant à un journaliste, M. Legault a admis sans détour avoir été victime de chantage de la part de M. Ecclestone. Devant cette situation, il a choisi de s’adapter au problème et de chercher des solutions, plutôt que de s’offusquer publiquement et de perdre la tenue du Grand Prix.

De leur côté, les ministres Fournier et Cauchon se sont défendus d’enrichir des entreprises de course automobile milliardaires aux dépens de contribuables affectés par des services de santé déficients. Ils ont expliqué que, avec le maintien de l’événement, les fonds publics investis rapporteront bien davantage en recettes de taxation, et ce seulement de la part des touristes étrangers. Il ne s’agirait que d’une décision d’affaires.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac n’a pas jugé opportun d’émettre de communiqué sur le dénouement de la saga du Grand Prix, laissant à d’autres intervenants le soin de commenter l’appui public à la Formule 1. « Contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays, au Canada, on a réussi à sauver la loi et le Grand Prix », nous a toutefois indiqué son porte-parole Louis Gauvin.

Dans une lettre envoyée aux organismes qui lui ont écrit au sujet de la Formule 1, le premier ministre Jean Charest s’est réjoui de l’entente intervenue : « La décision de ne pas modifier la Loi sur le tabac du Québec respecte l’engagement du gouvernement de faire de la santé sa priorité numéro un. De plus, la position des gouvernements du Canada et du Québec en ce sens a contribué grandement au renforcement d’une norme internationale défavorable au tabac. »

Denis Côté