L’opposition talonne le gouvernement Harper au sujet de la contrebande
Juillet 2009 - No 79
Le 7 mai dernier, date du 1er anniversaire de la formation du Groupe de travail du gouvernement sur les produits du tabac, les représentants des trois partis d’opposition au Parlement fédéral, le Parti libéral, le Bloc québécois et le Nouveau parti démocratique, ont écrit aux ministres concernés pour exiger plus d’efficacité dans la lutte contre le marché noir des cigarettes.
Rappelons que le 7 mai 2008, le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Stockwell Day, dévoilait une nouvelle Stratégie de lutte contre le tabac de contrebande qui prévoyait notamment le démantèlement des manufactures illégales. À l’époque, des études de l’industrie indiquaient que la contrebande fournissait 40 % des cigarettes consommées au Québec et 48 % en Ontario. Un an plus tard, la contrebande serait toujours aussi florissante.
Dans leur lettre, sept députés responsables des dossiers de la santé, du revenu ou de la sécurité publique, au nom de leur parti respectif, ont repris à leur compte l’analyse ainsi que certaines solutions proposées par les groupes de santé, notamment la Société canadienne du cancer et l’Association pour les droits des non-fumeurs. « Malheureusement, jusqu’ici, en dehors des efforts d’application des lois de la GRC et des autres forces policières, nous n’avons pas constaté d’autres nouvelles mesures significatives et concrètes prises par le gouvernement canadien pour perturber et réduire le commerce du tabac de contrebande », ont-ils fait valoir au premier ministre Stephen Harper, à la ministre de la Santé, Leona Aglukkaq, au ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan, et à celui du Revenu national, Jean-Pierre Blackburn.
L’absence d’action efficace signifie qu’un plus grand nombre de jeunes Canadiens deviendront « dépendants des cigarettes de contrebande bon marché qui inondent les cours d’école ». Les trois partis politiques rappellent que les revenus gouvernementaux, tant au palier provincial que fédéral, sont sérieusement affectés par le marché noir du tabac. Ottawa perdrait ainsi un milliard $ par année, l’Ontario 500 millions $ et le Québec 300 millions $. Les pertes seraient beaucoup plus considérables en tenant compte du fait que le gouvernement central, de même que les deux provinces les plus peuplées, ont renoncé à augmenter leurs taxes devant l’ampleur de la contrebande.
Les porte-parole des trois partis considèrent, à l’instar de fonctionnaires et de chercheurs, que le prix élevé des cigarettes est le moyen le plus important pour faire baisser le tabagisme. Or, constatent-ils, les progrès de la lutte antitabac ont considérablement ralenti depuis quatre ans. La contrebande serait responsable de la stagnation autour de 19 % de la prévalence canadienne.
En plus de favoriser la consommation d’un produit très nocif, le commerce illicite du tabac donne lieu à d’énormes problèmes de sécurité publique, déplorent les signataires de la lettre. Citant la GRC, ils indiquent qu’une centaine de groupes du crime organisé sont impliqués dans ce lucratif marché.
Les sept députés endossent le plan d’action proposé par les spécialistes de la lutte contre le tabagisme. Ils pressent ainsi le gouvernement de mettre en vigueur cette série de sept mesures :
1 – Persuader le gouvernement des États-Unis de fermer la douzaine d’usines illégales et sans permis situées du côté américain de la réserve mohawk d’Akwesasne.
2 – Interdire de fournir des matières premières (emballages, filtres, papier à cigarettes, en plus du tabac en feuilles) à toute personne qui ne détient pas de permis de fabricant de cigarettes.
3 – Augmenter le montant minimum de la caution pour l’obtention d’un permis fédéral de fabrication.
4 – Résilier les permis des fabricants qui commettent des actes illégaux, y compris les infractions aux lois provinciales.
5 – Mettre au point un système complet de suivi et de retraçage permettant de surveiller les expéditions de produits.
6 – Proposer la possibilité d’appliquer une taxe sur le tabac des Premières Nations égale à la taxe provinciale (et à sa place).
7 – Accroître le montant des sanctions afin de mieux décourager le commerce illicite du tabac.
Les partis d’opposition rappellent au gouvernement Harper que la moitié des personnes aux prises avec une dépendance à long terme au tabac meurent de maladies liées à cette habitude. Ils exhortent les ministres concernés à consulter les organisations qui possèdent l’expérience sur la question, ainsi que les représentants des collectivités autochtones. Ils qualifient de scandale le haut taux de prévalence du tabagisme parmi les Premières Nations, lequel est de 59 %.
« Nous n’avons pas le luxe d’attendre lorsqu’il s’agit de protéger la santé et la sécurité publiques, concluent les sept députés fédéraux. Dans la lutte contre le tabagisme, le coût des délais de la mise en vigueur d’une politique publique efficace se calcule en vies humaines. »
Imperial Tobacco et l’AQDA
L’industrie du tabac et ses partenaires pressent aussi les pouvoir publics de mieux combattre la contrebande. Le gouvernement du Canada aurait perdu l’initiative dans sa lutte contre le tabagisme, à cause du fléau de la contrebande, a lancé nul autre que… le président d’Imperial Tobacco Canada, Benjamin Kemball, lors d’une allocution devant le Cercle canadien de Montréal, le 1er juin. Mais le dirigeant admet s’inquiéter également des pertes de quelque 60 millions $ par année que subit sa compagnie, en raison de la concurrence du marché noir. M. Kemball déplore que le commerce du tabac au pays se dirige directement vers une industrie « illégale et non contrôlée, qui vend des cigarettes aux enfants et fait le trafic d’armes et d’alcool ». Signalons qu’en août prochain, M. Kemball sera remplacé à la tête d’ITC par un autre cadre de British American Tobacco (BAT), Ian Muir. Benjamin Kemball ira diriger la multinationale dans cinq pays d’Amérique du Sud, alors que M. Muir était à la tête de BAT en Europe de l’Ouest.
Pour sa part, l’Association québécoise des dépanneurs en alimentation (AQDA), menée par Michel Gadbois, a poursuivi sa croisade contre le marché noir du tabac. En appui à une nouvelle tournée québécoise, elle a édité un cahier intitulé La contrebande au Canada : c’est le temps d’agir, de même qu’une analyse selon la formule Mythe – Réalité, souvent employée par la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, laquelle a l’habitude de répondre méthodiquement aux prétentions de l’AQDA. La Coalition n’a d’ailleurs pas manqué de réagir aux deux nouveaux documents par le biais de communiqués de presse étoffés qui sont disponibles sur son site web.
L’Association de M. Gadbois demande maintenant formellement aux gouvernements de baisser les taxes dites excessives sur le tabac. Sa nouvelle tournée québécoise de 25 villes prend le nom de son nouveau site web, Québec Contre Bande.com, et affiche un drapeau québécois qui penche mollement au dessus de l’Hôtel du Parlement, à la manière de la mise en garde de Santé Canada sur les difficultés érectiles.
Carolyn Bennett, porte-parole du Parti libéral chargée de la Santé
Yasmin Ratansi, porte-parole du Parti libéral chargée du Revenu national
Luc Malo, porte-parole du Bloc québécois en matière de Santé
Réal Ménard, porte-parole du Bloc québécois en matière de Justice
Serge Ménard, porte-parole du Bloc québécois en matière de Sécurité publique et de Protection civile
Judy Wasylycia-Leis, porte-parole du Nouveau parti démocratique (NPD) en matière de Santé
Don Davies, porte-parole du NPD en matière de Sécurité publique