Les jeunes : des acteurs de premier plan dans la lutte contre le tabagisme
Mars-Avril 2014 - No 100
Pour les cigarettiers, les adolescents et les jeunes adultes sont de futurs clients à séduire. Heureusement, plusieurs jeunes ne l’entendent pas de cette oreille et se mobilisent contre cette industrie.
Les jeunes Canadiens qui fument n’ont pas encore les doigts et les dents jaunis par la fumée et ne souffrent pas des nombreux maux de santé causés par le tabac. Malgré cela, ils comprennent les dangers de cette drogue et ils bataillent avec force contre elle, comme ils l’ont démontré lors de la 8e Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé (CNTS), tenue à Ottawa en novembre dernier.
L’industrie du tabac exposée à l’Université d’Ottawa
À Ottawa, le groupe d’intervention Exposé a délaissé les écoles primaires et secondaires pour s’investir auprès des étudiants universitaires. « Le taux de tabagisme des adolescents ontariens s’est stabilisé, alors qu’il a augmenté chez les jeunes adultes », a expliqué Miranda Merry à la CNTS. Exposé essaie notamment de convaincre l’Université d’Ottawa d’interdire le tabac sur tout le campus, a dit la jeune animatrice jeunesse du Centre de santé communautaire du sud-ouest d’Ottawa. Soixante-dix-huit pour cent des étudiants se sont déclarés en faveur de l’initiative.
Encore mieux : pour l’université, cela diminue le risque d’incendie, favorise un environnement plus propre et représente une occasion de s’afficher comme socialement responsable.
Malgré cela, l’Université d’Ottawa hésite. « On dirait qu’il ne s’agit pas d’une priorité pour elle ou qu’elle craint des réactions négatives », dit Mme Merry. Le groupe Exposé ne baisse pas les bras pour autant. Avec l’aide de l’Unité de recherche sur le tabac de l’Ontario (OTRU), il s’apprête à évaluer l’impact de ses actions sur le tabagisme des étudiants.
Une conférence riche
Plus de 45 conférences ont été prononcées pendant les trois jours de la 8e Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé. Mentionnons :
• une séance plénière présentant les avantages et les dangers potentiels de l’e-cigarette;
• plusieurs ateliers sur les défis lancés aux établissements de santé qui tentent d’abolir l’usage du tabac ou de traiter le tabagisme de leurs patients;
• la multiplication des saveurs dans les produits du tabac;
• l’impact des différents soutiens à l’arrêt tabagique;
• l’usage de la chicha;
• les applications des téléphones intelligents dans le soutien à la cessation.
Toujours à Ottawa, les jeunes de l’association Gèle l’industrie réclament un moratoire canadien sur l’introduction de nouveaux produits du tabac et la modification des produits existants. « C’est important que cette demande provienne des jeunes, car c’est d’abord eux que visent les nouveaux produits aromatisés ou les nouveaux emballages », dit Miranda Merry, cofondatrice de l’association.
La leçon : ne jamais lâcher le morceau
Au Manitoba, la Sisler Teens Against Nicotine and Drugs (S.T.A.N.D) bataille pour interdire le tabac dans les événements familiaux. L’association composée de jeunes du secondaire est confiante. En 2007, elle a obtenu l’interdiction du tabac sur les terrains de toutes les écoles du Manitoba!
Une dizaine d’élèves de S.T.A.N.D. ont fait le voyage jusqu’à la CNTS avec le directeur de leur Département de sciences sociales, Greg Shedden. « S.T.A.N.D. est né il y a sept ans quand des élèves m’ont demandé de former un groupe de lutte contre le tabac afin d’éloigner les fumeurs des portes de l’école », se souvient M. Shedden. Il leur suggère de lancer une pétition. Les élèves récoltent 800 signatures, puis se présentent devant la commission scolaire. « Les commissaires avaient déjà voté contre l’interdiction du tabac sur le terrain des écoles, rappelle M. Shedden. Mais, cette fois, ils ont voté en faveur, parce que les médias nationaux avaient eu vent de l’affaire! » Selon lui, c’est le sens d’initiative des jeunes qui a attiré les journalistes.
Les élèves lancent alors une deuxième pétition exigeant une interdiction de l’usage du tabac dans toutes les écoles de la province. Même s’ils recueillent 4000 signatures, le gouvernement refuse de les entendre. Conseillés par M. Shedden, ils approchent à ce moment-là les partis d’opposition, ce qui pousse le ministère de l’Éducation à adopter une politique à ce sujet. « La politique est appliquée de manière réaliste, dit Gregg Shedden. Pour éviter que les jeunes fumeurs quittent l’enceinte de l’école, on les oblige à aller aux extrémités du terrain. Cela atteint nos objectifs de les éloigner des portes et de dénormaliser le tabac. »
Un « die-in » devant le Parlement
Le jour de l’ouverture de la 8e Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé, une centaine de jeunes ont manifesté pour un contrôle plus sévère du tabac. Ils se sont écroulés comme un seul homme devant le Parlement, rappelant que le tabac tue une centaine de Canadiens chaque jour. Cinquante-deux de ces « morts » – habillés de couleur vives rappelant le tabac aromatisé aux saveurs de fruits ou de bonbons – se sont ensuite relevés pour rappeler que 52 % des jeunes ayant fumé dans les 30 derniers jours avaient utilisé des produits aromatisés.
Les jeunes : une présence grandissante
Depuis une dizaine d’années, les jeunes prennent leur place dans le combat contre le tabac. Une centaine d’entre eux ont participé à une conférence de deux jours sur le tabagisme, immédiatement avant la CNTS. Ils y ont abordé la dénormalisation de l’industrie et les façons de s’engager et de mobiliser leur communauté. De même, que ce sont des adolescents et des jeunes adultes qui ont organisé la soirée d’ouverture de la CNTS. « Les groupes de santé publique ont compris que les jeunes peuvent agir contre le tabagisme parce qu’ils sont les premiers concernés par cette question et qu’ils savent parler à leurs pairs », explique Cameron Tulloch, qui s’est impliqué dès l’âge de 15 ans dans cette cause.
« La grande qualité des jeunes est d’oser parce qu’ils ne savent pas ce qui est impossible! », lance Robert Walsh, qui dirige le Conseil canadien pour le contrôle du tabac et organise la CNTS. « Leur dynamisme et leur créativité font en sorte que leurs événements sont remarqués par la presse, ajoute Cameron Tulloch, qui est aujourd’hui consultant. De plus en plus, ce sont eux qui décident des actions à mener, du dossier à prioriser. »
C’est en 2005 que des adolescents ont participé pour la première fois à la CNTS. « Ils avaient organisé leur propre événement, en marge de la conférence, et nous ont demandé s’ils pouvaient venir nous présenter un petit quelque chose », explique Robert Walsh. Leur prestation, qui incluait des vidéos et un appel à l’action, a été si dynamique qu’ils ont gagné une place pour toutes les conférences suivantes.
Anick Perreault-Labelle