Le Canada est-il toujours un leader de la lutte contre le tabagisme?

Bien des pays considèrent le Canada comme un modèle en matière de lutte contre le tabagisme. Or, il ne l’a pas toujours été.

Au début des années 1980, les publicités de tabac étaient convaincantes et abondantes, alors que les avertissements de santé sur les paquets de cigarettes étaient rares et minuscules. Les gens fumaient dans les hôpitaux et même dans les départements de santé publique; en fait, il était permis de fumer dans la plupart des lieux publics et des milieux de travail. Les cigarettes étaient bon marché et nombre d’adolescents étaient désireux de s’initier à leur future dépendance. En 1981, le Canada détenait le triste record mondial de la plus grande consommation de tabac par habitant. C’est également cette année là que la consommation a plafonné au pays. La quantité de cigarettes fumées n’a jamais plus rejoint son niveau de 1981.

Au cours de la douzaine d’années suivantes, le Canada a adopté une politique antitabac complète, une mesure à la fois. Les augmentations de taxes ont été suivies de restrictions de plus en plus sévères concernant l’usage du tabac dans les lieux publics et les milieux de travail. En 1989, la plupart des formes de publicité de tabac furent bannies, et des mises en garde plus visibles apparurent sur les paquets de cigarettes. Le Canada a joué un rôle déterminant dans l’adoption de l’entente ayant entraîné l’interdiction de fumer sur les vols internationaux. Grâce à des politiques de plus en plus strictes, la consommation de tabac déclina rapidement, atteignant son niveau le plus bas en 1992.

Après cela, la lutte antitabac canadienne a traversé une des plus sombres périodes de son histoire. Alors que la contrebande prenait des proportions alarmantes, les taxes furent réduites. En 1995, la Cour suprême a rejeté l’interdiction totale de la publicité des produits du tabac, sept ans après sa mise en vigueur. En raison du renversement de ces mesures, la réduction du tabagisme a ralenti. La consommation par habitant a décliné de seulement 3 % annuellement de 1993 à 1998, puis de 4,3 % en 1999. En 1997, le Parlement fédéral adopta la Loi sur le tabac, qui remplace la loi antitabac invalidée par la Cour suprême.

Les mesures antitabac perdues dans les années 1990 ont été récupérées depuis 2000. La taxation des produits du tabac a repris de plus belle dans chacune des juridictions (provinciale et fédérale). Il y a maintenant des avertissements clairs sur les paquets de cigarettes, dont les textes et les images sont imités à travers le monde. Le Programme de la lutte contre le tabagisme de Santé Canada a été renforcé par des fonds additionnels et du nouveau personnel. La Loi sur le tabac de 1997 est aujourd’hui totalement en vigueur, ce qui a fait disparaître la plupart des formes de publicité et de promotion du tabac. De plus, la protection contre la fumée de tabac ambiante s’est accrue. À l’heure actuelle, 21 % des Canadiens habitent une ville ou une province où il est totalement interdit de fumer à l’intérieur des milieux de travail et des lieux publics.

Ces dernières années, le Canada a joué un rôle de premier plan lors des négociations de la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Quelques mois après l’adoption du traité par l’Assemblée mondiale de la santé en mai 2003, notre pays l’a signé (en juillet). Le 26 novembre dernier, le Canada devenait le 37ième pays à ratifier la Convention-cadre. Le Ghana, l’Arménie ont suivi le 29 novembre et le Pérou le 30. La Convention-cadre, qui devait réunir 40 ratifications pour entrer en vigueur, aura donc force de loi le 28 février 2005.

Grâce à des mesures antitabac plus sévères, la consommation a chuté de manière considérable au pays. Il s’est fumé onze milliards de cigarettes de moins en 2003 qu’en 1999.

Malgré cela, la politique canadienne de réduction du tabagisme affiche aujourd’hui de nouveaux signes de faiblesse. La vaste campagne antitabac de Santé Canada, prévue au coût de 40 millions $ par an, ne s’est pas concrétisée. Les messages de santé sur les paquets datent de quatre ans et devraient être renouvelés, une initiative qui nécessitera un certain temps. Il n’y a pas eu de majoration importante des taxes sur le tabac depuis quelques années et le prix réel des cigarettes commence à baisser, surtout en tenant compte de l’actuelle popularité des marques économiques.

De plus, les appellations « douces » et « légères » continuent à rassurer faussement la population, et Santé Canada ne bouge pas dans ce dossier. Pire, le gouvernement fédéral est intervenu en Colombie-Britannique pour s’opposer à l’autorisation d’un recours collectif basé sur ces termes controversés ; un citoyen entend y poursuivre Imperial Tobacco pour avoir trompé les fumeurs en leur vendant des cigarettes légères. Par ailleurs, Agriculture Canada vient d’instituer un généreux fonds pour subventionner les tabaculteurs, cela aux frais des contribuables.

Même s’il vient de ratifier la Convention-cadre de l’OMS, le Canada semble traverser une période nébuleuse en matière de lutte contre le tabagisme. Après les années de tergiversations qui ont caractérisé le passage de la ministre Anne McLellan à la Santé, le nouveau titulaire Ujjal Dosanjh aura-t-il la fermeté et la manoeuvre politique pour que le pays mérite à nouveau une réputation de leader mondial?

Neil Collishaw, directeur de la recherche pour Médecins pour un Canada sans fumée et responsable du dossier du tabac à l’Organisation mondiale de la santé de 1991 à 1999.