La guerre de relations publiques : on a eu chaud!

On se souviendra sans doute de la triste histoire du MATRAC (Mouvement pour l’abolition des taxes réservées au tabac), ce soulèvement apparemment spontané de petits dépanneurs québécois qui ont défié la loi en vendant des cigarettes de contrebande et ainsi contribué à la baisse radicale des taxes d’accises en février 1994.

Ce n’est qu’après coup qu’on a appris le rôle de l’Association des détaillants en alimentation – qui avait des liens serrés avec l’industrie du tabac – dans la préparation des actions du MATRAC.

De cet épisode, les organismes de santé ont gardé la hantise des accès de ce qui ressemble à de l’hystérie collective contre les mesures antitabagiques. Avec le débat qui a précédé l’adoption en troisième lecture de la loi Dingwall, l’histoire a failli se répéter.

Le 21 février, le gouvernement fédéral se décide enfin à revenir en Chambre avec un projet de loi légèrement modifié. Le Bloc Québécois lui saute dessus avec les arguments qu’on connaît, et en critiquant les organismes de santé qui appuient Dingwall.

Le 28 février, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, le Conseil québécois sur le tabac et la santé, et la division québécoise de la Société canadienne du cancer répliquent avec un communiqué de presse conjoint demandant au BQ de défendre la santé des Québécois plutôt que de l’industrie du tabac. La plupart des grands médias n’en font aucun état.

Le dimanche 2 mars, La Presse déclenche une véritable frénésie médiatique autour des conséquences prétendument désastreuses de la loi Dingwall sur l’économie montréalaise. « Tabac : Ottawa n’en démord pas; les commerçants se mobilisent », clame le journal en première page. On raconte en long et en large les aventures d’un restaurateur du centre-ville qui essaye d’organiser une grève symbolique de 15 minutes des commerçants montréalais pour protester contre C-71.

Deux jours plus tard, dans Le Journal de Montréal, on consacre la première page et une vingtaine d’articles à la « mobilisation contre la loi antitabac », qui constitue désormais une « crise ».

« Le tout Montréal est sur un pied de guerre politique contre le gouvernement de Jean Chrétien », prétend le journal, qui rapporte des bribes de discours d’un meeting de mobilisation la veille au restaurant Fouquet’s.

Dans les pages sportives, on parle en long et en large de la menace qui pèserait sur le Grand Prix du Canada et sur la diffusion des autres courses de Formule 1, en prenant pour acquis que le promoteur Normand Legault est une source fiable d’informations sur les effets juridiques de la loi.

Sur la Colline parlementaire, le Bloc Québécois invite des représentants du Ralliement pour la liberté de commandite à un blitz média, avec des pilotes automobiles qui prédisent eux aussi la catastrophe si on n’arrive pas à faire obstacle à Dingwall.

Le lendemain, le ton commence à changer. « La retransmission des Grands Prix n’a jamais été menacée », titre Le Journal de Montréal. « Sans doute porté par l’enthousiasme que suscite chez lui la défense des commandites de tabac, le promoteur du Grand Prix du Canada, Normand Legault, ne dit pas la vérité quand il affirme que la retransmission télé des courses de Formule 1 est remise en question par le projet de loi C-71. »

Pour ce qui est de la grève symbolique des commerçants et la manifestation au centre-ville, on est très loin du soulèvement populaire : le mouvement se limite à quelques centaines de personnes, malgré la publicité gratuite exceptionnelle dont il a bénéficié dans les principaux médias francophones. Très rares sont les commerçants qui ferment vraiment pendant 15 minutes.

Du côté de La Presse, on commence la publication d’une excellente série de textes d’André Pratte sur les réalités du tabagisme, mais on rapporte aussi que le ministre québécois Jean Rochon aurait abandonné l’idée de légiférer à son tour sur la question des commandites.

Le 6 mars, la loi Dingwall est adoptée. Dans les médias, on ne parle plus de crise; on se contente de rapporter le résultat du vote, et de mentionner en passant que le Grand Prix d’Australie sera diffusé comme prévu. L’adoption en troisième lecture est moins bien couverte que la petite manifestation du restaurateur.

Meilleure réplique du lobby de la santé

Contrairement à l’échec cuisant que les organismes de santé ont dû encaisser lors de la campagne du MATRAC en 1994, la campagne de peur autour des commandites n’a pas suffi pour faire fléchir le gouvernement fédéral.

Une des raisons a sans doute été le soin avec lequel le bureau de M. Dingwall semble avoir préparé sa stratégie de communications. Au plus fort de la « crise », le 4 mars, Santé Canada a acheté des annonces dans les principaux journaux francophones avec des messages ciblés sur le Québec – une initiative assez inusitée pour un ministère fédéral. « Environ un million de Québécoises et de Québécois en vie aujourd’hui mourront d’une maladie liée au tabac », pouvait-on lire.

Le jour de l’adoption de la loi Dingwall, le ministère a aussi sorti un dossier de presse complet démontant un à un les mythes entretenus par l’industrie au sujet de la loi.

En parallèle avec ces efforts, les organismes de santé québécois ont fait de leur mieux pour répliquer aux défenseurs de l’industrie, même si leurs moyens financiers sont loin d’être comparables. Le 6 mars, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac s’est payée une annonce pleine page dans La Presse, rappelant tout simplement que « Le tabac est une question de santé ». L’impact de cette annonce venait bien sûr de la liste impressionnante de ses 560 organismes membres – une réplique simple mais efficace aux prétentions du BQ de défendre les intérêts « des Québécois ».

Francis Thompson