La Convention-cadre a besoin d’un soutien financier accru

Du 6 au 17 février, Genève a été l’hôte de la première réunion de la Conférence des Parties (CDP) de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

À la fin de cette rencontre intergouvernementale, il est devenu clair que la charge de travail à effectuer dépasse largement les ressources que les nations sont prêtes à lui accorder. On s’est également rendu compte que les décisions de la CDP, notamment en matière d’élaboration de politiques publiques, auront pour effet d’accélérer ou de freiner la réduction du tabagisme partout à travers le monde.

Enjeux administratifs

Les règles de procédure, le mécanisme d’embauche d’un directeur du secrétariat et la clarification des relations entre les acteurs de la Convention et les différents départements de l’OMS, figurent parmi les principes administratifs qui ont été établis. Il a aussi été question de finances, car même si le traité englobe plus de 4 milliards de personnes, on ne lui affecte qu’un maigre 4 millions $US comme budget annuel. Ces fonds sont fournis sur une base volontaire fixée, c’est-à-dire que les pays sont libres d’y contribuer ou non, et que s’ils le font, leur participation est établie en fonction des ressources dont ils disposent. Le Canada, par exemple, y alloue 200 000 $ par an.

Avec cet argent, le secrétariat de la CCLAT est censé développer des lignes directrices, aider à l’implantation de mesures dans différents pays, soutenir la recherche et engager des professionnels. Alors que cette somme (4 millions $US) ne représente qu’un huitième du budget affecté à la lutte antitabac québécoise, plusieurs pays riches ont demandé de la réduire.

Implication des ONG

Lors de l’élaboration du traité, le savoir-faire des organisations non-gouvernementales (ONG) leur a permis de rencontrer des délégués, de distribuer du matériel, de tenir des rencontres de mise au point et de formuler des avis. Plusieurs souhaitaient que les ONG puissent continuer à s’impliquer afin d’assurer que la Convention ait le plus d’impact possible, une fois implantée. Reconnaissant leur apport, la CDP les a autorisées à poursuivre leur travail.

Aide au développement

La CDP a été incapable d’atténuer les clivages entre les nations riches et celles en voie de développement. Le soutien que ces dernières recevront pour se conformer à la CCLAT est particulièrement préoccupant. Par exemple, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne – qui sont reconnus pour leur leadership – ont refusé de contribuer à un fonds spécifiquement dédié à la lutte antitabac dans les pays moins favorisés. Ils insistent pour que l’aide financière passe par leurs agences de développement, en sachant qu’il est presque impossible, pour les ministres de la Santé, de convaincre leurs chefs d’État de prioriser la réduction du tabagisme, car des fléaux comme le SIDA ou la malaria semblent plus urgents. Bien que le Canada ait une position plus souple, ses délégués ne se sont pas prononcés sur ce point.

Les pays ont accepté de revoir leur position sur le financement lors d’une rencontre ultérieure. À moins que certains consentent à verser davantage de ressources ou à modifier leur mécanisme de financement, cette impasse perdurera, avec pour conséquence l’incapacité des pays défavorisés (dont 46 dans la région africaine, telle que définie par l’OMS) de protéger leurs citoyens contre l’assaut promotionnel croissant des multinationales du tabac.

Protocoles

Des protocoles permettent aux pays de développer des façons additionnelles de collaborer. Le commerce illicite et la publicité transfrontalière en font d’ailleurs l’objet. Pour faciliter l’avancement de ces projets, une vingtaine de spécialistes pourront être mandatés.

Lignes directrices

Le développement de lignes directrices est un enjeu imprévu qui a émergé de la rencontre de la Conférence des Parties. Il a un potentiel extrêmement significatif puisqu’il permettra de clarifier l’interprétation des obligations auxquelles les pays sont soumis. Voici comment ces dispositions pourraient influencer la lutte antitabac canadienne :

L’article 8 exige que les travailleurs et le public soient protégés de la fumée de tabac. Si les lignes directrices permettent les pièces fermées et ventilées, le gouvernement fédéral pourra choisir de ne pas mettre à jour ses lois vétustes sur la fumée secondaire, en autorisant l’aménagement de fumoirs dans les aéroports et autres milieux de travail sous sa juridiction. Si elles interdisent les fumoirs, il sera contraint de renouveler sa législation.

L’article 11 ordonne l’élimination des termes trompeurs. Supposons que les lignes directrices tolèrent les « douces » et « légères », le Canada n’ira peut-être pas de l’avant pour bannir ces appellations. Si à l’inverse, les lignes directrices indiquent que ces mots induisent les gens en erreur, le Canada aura l’obligation de les faire disparaître.

Pour l’instant, la CDP ne se penchera que sur les articles 8 (protection contre la fumée de tabac) et 9 (contenu des émissions toxiques).

Rapports

Les pays sont tenus d’indiquer comment ils se conforment à la Convention-cadre. Le format et la fréquence des rapports ont été définis. Tous les deux ans, ils doivent présenter les développements sur les enjeux majeurs, tous les cinq ans, ceux sur les points secondaires et tous les 8 ans, un bilan de l’ensemble des travaux réalisés. Le premier rapport canadien doit être déposé en février prochain. On ne sait pas encore si Santé Canada consultera le public ou les ONG lors de son élaboration.

Groupe d’étude sur les cultures alternatives

Les parties ont convenu d’une proposition conjointe du Brésil et du Mexique pour établir un comité qui examinera les alternatives économiquement viables pour les agriculteurs, travailleurs et marchands individuels de tabac, et recommandera des mesures de diversification efficientes. Le groupe d’étude devra soumettre sa réflexion à la prochaine CDP.

Prochaine CDP

La prochaine Conférence des Parties se déroulera au cours de la première moitié de 2007. Certains pays ont proposé qu’elle se tienne ailleurs qu’à Genève, puisque la ville suisse n’a pas encore de politique sans fumée. Cette deuxième réunion ne devrait durer qu’une semaine au lieu de deux.

Comment le Canada peut faire la différence

Le Canada doit faire preuve de leadership pour que la CCLAT réalise son plein potentiel. Beaucoup plus de personnes – au moins 300 à temps plein – oeuvrent pour le contrôle du tabac au Canada qu’au sein des 123 autres pays réunis. Notez que n’ayant pas ratifié la Convention-cadre, les États-Unis ne font pas partie de la CDP. Pour toute l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient et la majeure partie de l’Europe, seulement une douzaine de personnes sont formées et expérimentées en matière de développement de législations, de programmes, de recherches et de poursuites judiciaires liées au tabac. Établir des manières efficaces de partager notre expertise et offrir un soutien financier accru, devrait figurer parmi les priorités des ONG et des gouvernements canadiens au moment où ils planifient les prochaines phases de la CCLAT.

Un potentiel énorme

« Le tabagisme demeure la première cause de mortalité évitable au monde. La CCLAT a un potentiel énorme de réduire la misère, la souffrance et les pertes économiques dues à la consommation de tabac, mais ce potentiel ne pourra être réalisé que si le traité donne lieu à des processus et mécanismes financiers fermes, ainsi qu’à un secrétariat fort et indépendant de l’interférence des pays ne l’ayant pas encore ratifié. »

Alliance pour la Convention-cadre, ratifiée par 124 pays.

La Convention-cadre pour la lutte antitabac est le premier traité international négocié par l’OMS. Il a pour but d’endiguer l’épidémie de tabagisme qui tue annuellement 5 millions de personnes à l’échelle planétaire. Si la tendance se maintient, on pourrait dénombrer 10 millions de morts par année d’ici 2025, dont 70 % dans les pays du tiers-monde.

Entré en vigueur le 27 février 2005, après avoir été ratifié par 40 pays, le traité compte aujourd’hui 124 pays membres, soit 75 % de la population de la Terre. Ses principales dispositions sont :

  • l’interdiction complète de la publicité et de la promotion du tabac;
  • •l’obligation d’apposer des mises en garde de santé recouvrant au minimum 30 % (de préférence 50 %) de la superficie des emballages;
  • interdiction de l’étiquetage trompeur (« douces », « légères »);
  • des mesures de protection contre l’exposition à la fumée de tabac;
  • l’interdiction de vendre des produits du tabac aux mineurs;
  • une réglementation de la composition des produits du tabac.
Engagements du Canada en matière de santé•
  • Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination :
    160 millions $;
  • Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme : 140 millions $;
  • Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite : 42 millions $;
  • Contrôle mondial du tabac : moins de 2 millions $

SOURCES : Budget fédéral 2005, communications avec l’Agence canadienne de développement international et Santé Canada

Surveillance

Devançant la CDP, des ONG canadiennes ont déjà préparé un rapport de surveillance pour le Canada. On peut se le procurer en communiquant avec Médecins pour un Canada sans fumée, au 1-800-540-5418. Avec la collaboration de l’Alliance pour la Convention-cadre.

Cynthia Callard, directrice de Médecins pour un Canada sans fumée.