Il serait temps que la CSST reconnaisse le problème

L’attitude de la Commission de la santé et la sécurité du travail du Québec (CSST) envers les réclamations liées à la fumée de tabac dans l’environnement est quelque peu contradictoire.

La CSST semble accepter en principe que l’exposition à la FTE peut être nuisible; un article sur la question a même été publié dans la revue Prévention au travail, un mensuel de la commission, dès 1992. Dans plusieurs cas, la CSST a accordé des retraits préventifs à des femmes enceintes qui travaillaient en milieu enfumé (bars, restaurants, etc.).

Mais à notre connaissance, toutes les autres réclamations au cours des dernières années liées à la FTE ont été rejetées, du moins en première instance. Peu de travailleurs et de travailleuses ont eu le temps et la force nécessaires pour porter leur cause en appel.

Une des rares exceptions à cette règle montre à quel point il peut être difficile d’obtenir gain de cause. La travailleuse en question, enseignante à une polyvalente outaouaise, a dû patienter huit ans avant qu’on ne lui reconnaisse sa maladie professionnelle, une exacerbation de son asthme provoquée par le manque d’humidité, l’excès de poussière, et surtout la présence de FTE dans son milieu de travail.

L’enseignante a des problèmes d’asthme depuis 15 ans lorsque, en 1982, elle est mutée à un poste dans la polyvalente en question. Le 1er octobre 1982, elle est admise à l’hôpital à cause d’une crise d’asthme; son médecin de famille y voit « une bronchite asthmatique sévère très possiblement précipitée par un environnement excessivement pollué à l’ouvrage ».

Durant cette période, on procède à des réparations de la toiture de l’école; l’odeur de goudron qui en résulte, tout comme la FTE, incommode l’enseignante en question. Elle dépose une première réclamation à la CSST, qui, six mois plus tard, lui est refusée (comme c’est presque toujours le cas lorsqu’il s’agit de FTE) sous prétexte que ses problèmes respiratoires sont une « condition personnelle » plutôt qu’une « maladie professionnelle » au sens de la loi. Après présentation de preuves médicales supplémentaires, la CSST revient sur sa décision et accorde des indemnités.

Une deuxième réclamation, liée à une absence d’un mois au printemps 1984, est acceptée en première instance; la CSST y voit une récidive de la maladie professionnelle de 1982, surtout parce qu’on effectuait des travaux de peinture et de restauration dans son milieu de travail.

Procédures interminables

Mais lorsque l’enseignante revient au travail en août 1986 après un long congé de maladie, les choses se corsent. C’est une journée pédagogique et la majorité de ses collègues ne se privent pas de leurs cigarettes; elle a une rechute, et son médecin traitant évalue qu’elle ne pourra reprendre son travail avant mars 1987. L’enseignante dépose donc une nouvelle réclamation auprès de la CSST, mettant en cause la mauvaise qualité de l’air à l’intérieur de l’école.

Après bien des démarches, la CSST conclut plus d’un an plus tard que l’enseignante « présente une maladie asthmatique exacerbée par des irritants non spécifiques », et qu’il ne s’agirait donc pas d’une maladie d’origine professionnelle. En d’autres mots, et en caricaturant à peine : étant donné la multitude de facteurs qui peuvent provoquer des crises d’asthme chez la travailleuse, le fait que ce soient des polluants dans son milieu de travail qui ont provoqué cette crise en particulier ne constitue pas une lésion professionnelle.

L’enseignante décide évidemment d’aller en appel et dépose plusieurs preuves au sujet de la mauvaise qualité de l’air dans l’école et des problèmes de ventilation dont plusieurs se plaignent. Le taux d’humidité est très bas; pendant l’été, la ventilation à l’air frais se fait surtout la nuit. Divers contaminants, dont la poussière de bois, sont propagés dans d’autres locaux.

Finalement, en août 1994, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles tranche en faveur de l’enseignante. « Ce n’est pas parce que les irritants non spécifiques peuvent se retrouver autant à l’extérieur qu’à l’école que l’exacerbation de son asthme ne serait pas en l’occurrence d’origine professionnelle », décide la CALP.

« Il serait souhaitable, par ailleurs, que la Commission scolaire fasse des efforts pour rendre plus salubres les conditions de travail dans ses établissements, notamment en prohibant le tabagisme sur les lieux de travail », conclut la CALP.

Pour une stratégie proactive

Malgré cette victoire d’une victime de la FTE devant la Commission d’appel, les avocats de la CSST et du côté patronal continuent de s’opposer à des réclamations semblables, et de prétendre que les symptômes dont souffrent les asthmatiques et autres travailleurs et travailleuses intolérants à la FTE relèvent de « conditions personnelles » plutôt que de maladies professionnelles.

La peur de voir les primes des employeurs monter en flèche à cause de ce genre de réclamations semble malheureusement y être pour beaucoup. Il semblerait pourtant plus logique d’adopter l’approche contraire. Si la CSST acceptait de plein gré l’existence de problèmes de santé reliés à la FTE, cela créerait une forte pression sur les employeurs non régis par la Loi sur la protection des non-fumeurs pour qu’ils instaurent des politiques sur l’usage du tabac en milieu de travail.

Francis Thompson et Norman King, épidémiologiste et intervenant en santé au travail