Emballage neutre : la bataille se poursuit

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À coups d’« études », de sondages et de campagnes publicitaires, les cigarettiers et leurs alliés tentent de convaincre les élus et le grand public de l’inutilité de l’emballage neutre, voire de ses périls. Malheureusement pour eux, la mesure rallie le gouvernement Trudeau, les électeurs et les groupes de santé.

Selon les cigarettiers et leurs alliés, modifier l’emballage d’un produit dangereux et toxique pour le rendre moins attirant porterait atteinte à la liberté des Canadiens. Par contre, cela ne contribuerait pas à diminuer l’usage dudit produit. C’est cette opinion absurde que les cigarettiers ont adoptée sur l’emballage neutre et standardisé : une mesure recommandée par l’Organisation mondiale de la Santé qui figure parmi les priorités de la ministre fédérale la Santé, la Dre Jane Philpott.

Info-tabac 118 emballage neutre Roxon
Nicola Roxon, ex-ministre australienne de la Santé.

Rappelons que l’Australie a été le premier pays à instaurer cette mesure, en 2012. À l’heure actuelle, le Canada est loin d’être le seul pays à la considérer. En effet, ces emballages sont apparus en France et en Angleterre en mai 2016 et devraient entrer en vigueur en Irlande en 2017 et en Hongrie en 2018. Ils sont aussi sous considération ou en voie d’être adoptés dans une dizaine de pays, dont la Nouvelle-Zélande, le Chili, la Roumanie et Singapour. « Cet engouement est compréhensible, dit Nicola Roxon, l’ancienne ministre australienne de la Santé. L’emballage neutre réduit le marketing d’un produit dangereux, notamment auprès des jeunes, tandis que sa mise en place est assez simple parce qu’elle ne requiert que la collaboration de quelques grands manufacturiers. »

Une vraie mobilisation citoyenne
Info-tabac 118 emballage neutre campagne cartes postales SCC
À la demande de la Société canadienne du cancer, plus de 30 000 Canadiens ont signé une carte postale réclamant à la ministre fédérale de la Santé qu’elle introduise les emballages neutres.

Cette mesure suscite également l’enthousiasme du grand public. Les deux tiers des Québécois approuvent l’introduction de ces emballages, montre un sondage mené en 2015 auprès de 1500 Québécois pour le compte de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. De plus, dans le cadre des Relais pour la vie – une campagne de financement de la Société canadienne du cancer (SCC) –, plus de 30 000 Canadiens ont signé une carte postale demandant à la ministre Philpott d’instaurer cette mesure. Ces derniers mois, Montréal et Toronto ont adopté à leur tour une motion réclamant la même mesure au gouvernement fédéral. D’autres élus municipaux en Colombie-Britannique et en Alberta s’apprêteraient à faire de même. Enfin, une vingtaine de groupes de santé à travers le pays ont publiquement pris parti en faveur de ces emballages, incluant Médecins pour un Canada sans fumée, la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, l’Association canadienne du diabète et l’Association pour les droits des non-fumeurs.

L’art des cigarettiers : semer le doute et créer la controverse

À l’inverse, les cigarettiers s’opposent tous azimuts à ces emballages avec une stratégie qui a déjà fait ses preuves : semer le doute et la controverse à l’aide d’arguments boiteux et d’études tendancieuses ou dont la méthodologie est défaillante. Ce ne sont pas les groupes de santé qui le disent, mais la Haute cour de justice anglaise dans un jugement rendu en faveur de ces emballages en mai 2016. « De manière générale, écrit la cour, les preuves présentées par [l’industrie du tabac] n’ont pas été revues par des comités de pairs; ignorent ou rejettent du revers de la main l’ensemble des recherches et des faits qui contredisent les données de l’industrie; et sont fréquemment invérifiables. » (notre traduction)

Info-tabac 118 Emballage neutre Both sides of the argument site
Le site bothsidesoftheargument.ca de JTI-MacDonald allègue que le gouvernement n’écoute pas les Canadiens sur la question de l’emballage neutre. Au contraire, cette mesure reçoit l’appui d’une bonne partie de la population.

Au Canada, les cigarettiers et leurs alliés se sont lancés au cours des derniers mois dans une importante campagne de publicité et de désinformation. JTI-Macdonald a mis en ligne bothsidesoftheargument.ca (les deux côtés du débat) tandis que l’Association canadienne des dépanneurs en alimentation (ACDA), un des groupes de façade les plus actifs des cigarettiers, a lancé le site effetsnondesires.ca. Au Canada comme ailleurs, le discours avancé par les cigarettiers et leurs alliés contre l’emballage
neutre se résume à quatre arguments.

Selon eux, ces emballages :

  1. Réduiraient l’information qui est donnée aux consommateurs sur les marques de tabac et porteraient atteinte à leur liberté de choisir parmi les différents produits. Au contraire, les emballages neutres augmentent la visibilité des avertissements de santé, c’est-à-dire la seule information pertinente sur un paquet de tabac. « Quant à la “liberté” d’un jeune d’être dépendant d’un produit mortel, ce n’est pas quelque chose qui est souhaitable », a résumé Nicola Roxon à la radio de la CBC, lors de sa tournée canadienne.
  2. Violeraient la propriété intellectuelle en empêchant les cigarettiers d’utiliser leurs marques de commerce comme bon leur semble. Or, à ce jour, toutes les cours qui ont entendu cet argument l’ont rejeté.
  3. Augmenteraient la contrebande et la contrefaçon. Rappelons d’abord que l’argument du marché noir est invoqué pour dénigrer toutes les mesures de lutte contre le tabagisme, des hausses de taxes à l’interdiction des saveurs. Rappelons aussi que le marché noir du tabac dépend de nombreux facteurs, dont la sévérité des lois et l’importance des budgets dévolus à leur application.
  4. Ne réduiraient pas le tabagisme. Au contraire, une évaluation formelle du gouvernement australien, publiée en 2016, démontre que l’emballage neutre contribue à la diminution de l’usage du tabac.
Info-tabac 118 emballage neutre ExportA
Les publicités de JTI destinées aux commerçants vantent l’emballage des cigarettes de manière éhontée. Celles pour les cigarettes Export A va jusqu’à qualifier ces paquets d’« extraordinaires sans fin » (relentlessly amazing). On le voit : les emballages sont un élément central du marketing de l’industrie du tabac.
Un effet mesurable

Cette évaluation gouvernementale, rigoureuse, s’appuie notamment sur 10 enquêtes publiques et privées portant sur les ventes et la consommation de produits du tabac. Conclusion : entre 2013 et 2015, l’emballage neutre a contribué à lui seul à réduire le taux de tabagisme de 0,55 % en Australie. Cela correspond environ au quart de la baisse constatée pour cette période et à quelque 100 000 fumeurs en moins. Certains diront que c’est peu, mais il faut rappeler que ce n’est qu’un début. En effet, des études montrent que l’emballage neutre change les perceptions sur le tabac, qui apparaît soudainement moins désirable et moins attirant. Selon une recherche australienne, les produits vendus dans un emballage neutre sont même vus comme étant de moins bonne qualité! « J’ai toujours cru à l’efficacité de l’emballage neutre, parce que les recherches étaient solides, conclut Mme Roxon. Mais ce qui m’a convaincue, c’est la réaction hystérique des cigarettiers. »

Tendancieuses études ou comment semer la confusion

Ceux qui s’opposent aux mesures législatives et fiscales visant à diminuer le tabagisme allèguent souvent que le gouvernement s’enrichit avec les ventes de tabac grâce aux taxes qu’il collecte sur ces produits. C’est ce qu’a soi-disant démontré Youri Chassin dans une lettre d’opinion publiée dans plusieurs quotidiens. M. Chassin préside l’Institut économique de Montréal (IEDM), un organisme conservateur qui a reçu – et reçoit peut-être encore – de l‘argent de l’industrie du tabac.

Dans sa lettre d’opinion, il note qu’Ottawa récolte 5,3 G$ en taxes sur ces produits. Citant ensuite une étude souvent utilisée sur les coûts de l’abus de substance au Canada, il rappelle que les coûts directs du tabagisme canadien totalisent « seulement » 4 G$. M. Chassin omet de mentionner les coûts indirects du tabagisme (de la perte de productivité aux incendies) qui, eux, totalisent… 17 G$. En somme, à part les cigarettiers, personne ne gagne vraiment à la consommation de tabac : ni le gouvernement, ni les milliers de Canadiens qui en souffrent ou en meurent chaque année.

Anick Labelle