Développement accéléré des centres commerciaux sans fumée
Septembre 1998 - No 21
Le gouvernement du Québec n’aura sans doute guère de problèmes à faire respecter la portion de la loi 444 qui traite des centres commerciaux. Plusieurs d’entre eux, de Montréal et l’Outaouais, ont déjà dépassé la norme gouvernementale à venir en adoptant des aires communes sans fumée. Un consensus semble se dessiner parmi les gestionnaires de centres pour profiter de la loi afin d’améliorer la propreté et l’aération de leurs lieux.
Cadillac Fairview à Montréal
Le premier semestre de 1998 a connu un développement rapide des centres commerciaux sans fumée dans la région de Montréal. Après la Place Ville-Marie qui avait ouvert la voie en juin 1994, suivie du Complexe Desjardins en janvier 1996, cinq grands centres de la Corporation Cadillac Fairview ont interdit la cigarette le 1er mars dernier, soit le Centre Eaton, les Galeries d’Anjou, Fairview Pointe-Claire, le Carrefour Laval et les Promenades St-Bruno.
Autour du métro McGill, au centre-ville, deux proches voisins du Centre Eaton ont déjà emboîté le pas : le 2020 University (27 commerces) le 1er juin et les Promenades de la Cathédrale (95 commerces) le 27 juin. Un peu plus à l’est, les Galeries du Parc (44 commerces) sont devenues sans fumée le 1er mai.
Leurs politiques bannissent le tabac des aires communes, incluant les foires alimentaires. Aux Galeries d’Anjou, même l’arcade (jeux vidéo et billard) s’était jointe au mouvement et son affluence s’est maintenue, aux dires d’un de ses préposés. Les restaurants ont toutefois pu conserver ou même agrandir leur section fumeur, s’ils disposent de salles à manger et d’aération indépendantes.
Dans tous ces cas, la clientèle s’est immédiatement et presque totalement pliée de bonne grâce aux nouvelles politiques. Selon les dirigeants interrogés, les chiffres d’affaires sont équivalents ou même supérieurs à ce qu’ils étaient l’année dernière. Cadillac Fairview a déclaré, pour les deux mois suivant l’interdiction, des ventes accrues de 10 % pour l’ensemble de ses cinq centres visés (environ 1000 commerces), dont 8 % pour ses foires alimentaires (dont quelques franchisés s’étaient d’abord vivement opposés à l’interdiction de fumer).
Dans son mémoire présenté au gouvernement du Québec lors de l’étude du projet de loi 444, la société Cadillac Fairview s’est dite ravie de la collaboration de sa clientèle. On y lit notamment, en page 8 : « Il est d’ailleurs remarquable, alors que certains observateurs ont évoqué le défi qu’il pourrait y avoir à appliquer une telle interdiction, de constater à quel point ce défi n’en est pas un. Nous constatons que la pression du public, notamment des non-fumeurs, accomplit une partie importante du travail. On peut penser que l’augmentation de la quantité d’endroits où il est interdit de fumer, au fil des ans, a préparé le terrain à cet égard. »
Au tour des Promenades de la Cathédrale
Le directeur des Promenades de la Cathédrale, Gilles Lévesque, rapporte que la transformation s’est très bien déroulée, fin juin, dans son centre érigé sous et autour d’une église. « Les gens sont très respectueux à Montréal et la clientèle apprécie énormément », a expliqué le numéro deux (Operations Chairman) de la division québécoise de l’International Council of Shopping Centres, une association regroupant presque tous les centres commerciaux du Québec. M. Lévesque croit avoir adopté une politique d’avenir qui deviendra la norme au Québec, comme elle l’est déjà dans le reste de l’Amérique du Nord.
Fait cocasse, les Promenades de la Cathédrale sont jumelées à un imposant édifice à bureaux, la Place de la Cathédrale, ayant notamment Imasco comme locataire. La société mère d’Imperial Tobacco loge donc maintenant dans un édifice sans fumée, bien qu’elle permette encore à ses employés de fumer dans ses bureaux.
Implications de la loi 444
Endroits très fréquentés par les citadins et banlieusards, les centres commerciaux intérieurs du Québec devront bientôt interdire le tabac dans au moins 60 % de leurs aires communes, selon les articles 4.1° et 6. de la nouvelle loi 444, lesquels entrent en vigueur à une date à décider par le gouvernement, mais au plus tard le 17 décembre 1999.
Le gouvernement a ainsi refusé la demande de Cadillac Fairview et de nombreux organismes de santé qui auraient préféré que les centres commerciaux deviennent totalement sans fumée. Ce sera donc à chaque centre, ou à chaque regroupement corporatif, de choisir dans quelle proportion de ses aires communes il interdira la cigarette, entre 60 % et 100 %.
L’article 6 ne fixe pas de normes précises pour ces aires où il sera permis de fumer, mais précise que « l’exploitant d’un lieu (…) qui aménage ces aires (…) doit en aménageant celles-ci, offrir le maximum de protection aux non-fumeurs compte tenu de la superficie totale des lieux et de leurs conditions d’utilisation et d’aération ».
La solution retenue par le gouvernement demeure assez difficile à mettre en place. Comment établir des aires fumeurs, tout en offrant un maximum de protection aux non-fumeurs? Si la fumée doit être concentrée dans 40 % des corridors, lesquels choisir? Les marchands seront-ils contrariés d’être situés dans une zone enfumée?
Quant aux foires alimentaires, pourront-elles être considérées comme la section fumeur de l’ensemble du centre commercial, ou devront-elles respecter la norme des restaurants qui, elle aussi, tranche à au moins 60 % en faveur des non-fumeurs? La réglementation de la loi répondra sans doute à ces questions.
En ce qui concerne les magasins de ces centres ou d’ailleurs, ils devront être sans fumée (avec possibilité de fumoir), puisqu’ils constituent à la fois « des milieux de travail » (article 2.9°) et aussi d’« autres lieux fermés qui accueillent le public » (article 2.12°). Étant donné les prix très élevés de location des centres commerciaux intérieurs, il est probable que très peu de magasins s’offriront des fumoirs.
La Plaza Alexis-Nihon restera sans fumée
Malgré les objections de nombreux organismes, la loi 444 enlèvera aux municipalités le droit d’adopter des règlements de protection des non-fumeurs, et ira même jusqu’à rendre caducs tous les règlements municipaux actuellement en vigueur. Il y a donc un danger de recul dans une ville comme Westmount, qui interdit la cigarette dans ses centres commerciaux depuis mars 1994.
Le principal centre commercial à Westmount est la Plaza Alexis-Nihon (103 commerces), située en face de l’ancien Forum. Sa clientèle sera encore bien protégée, a assuré sa directrice générale, Dominique Chatel-Lord, qui n’a pas l’intention de reculer à ce sujet : « Cela fonctionne très bien actuellement. Notre politique est de restreindre au minimum les endroits où il est permis de fumer. La ville de Westmount nous avait permis de maintenir une zone fumeur dans la foire alimentaire; nous allons probablement conserver les règles actuelles. »
Même son de cloche en Outaouais
En Outaouais, les principaux centres commerciaux conserveront sans doute eux aussi leurs aires communes sans fumée, puisque ce sont eux qui avaient demandé à leurs municipalités d’imposer cette règle, d’expliquer Daniel Cardinal, directeur-adjoint des Promenades de l’Outaouais (170 commerces). Lui-même fumeur, M. Cardinal atteste des avantages des centres commerciaux sans fumée sur les plans de l’aération et de la propreté.
L’adoption de règlements municipaux a aussi permis aux Galeries de Hull, à la Place Cartier, à la Place du Centre, aux Galeries de Buckingham et aux Galeries Aylmer d’implanter des aires sans fumée, entre 1994 et 1998, sans trop irriter leurs clients fumeurs. Toutefois, ces centres disposent tous de sections fumeurs dans leurs foires alimentaires.
Avez-vous des affiches?
Désirant obtenir les réactions de dirigeants de centres commerciaux encore enfumés, Info-tabac a joint Valérie Boisvert, directrice du marketing de centre commercial montréalais Place Dupuis (56 commerces), havre de très nombreux fumeurs. Loin de s’offusquer des intentions de la loi 444, Mme Boisvert cherchait plutôt à obtenir des affiches pouvant faciliter l’interdiction de la cigarette à la Place Dupuis, ce qui se ferait au début de novembre.
Pas de réaction négative
Beaucoup de centres commerciaux voudront sans doute éviter les problèmes de pourcentage de la loi 444 (60% – 40%) et la confusion parmi la clientèle en décrétant leurs espaces totalement sans fumée, comme l’ont fait avec succès une quinzaine de centres des régions de Montréal et de l’Outaouais.
D’ailleurs, les dirigeants des centres commerciaux furent passablement muets lors de l’étude du projet de loi québécois. Seule Cadillac Fairview s’était donnée la peine de soumettre un mémoire. Ainsi, contrairement aux restaurateurs, les gestionnaires de centres commerciaux ont plutôt maintenu une certaine neutralité, prêts à respecter une loi, quelle qu’elle soit, tout en laissant le fardeau de l’interdiction au ministère de la Santé.
Les réactions d’autres dirigeants sont généralement positives. La loi 444 ne semble pas préoccuper beaucoup Denise Gagnon, directrice du Carrefour Neufchâtel (60 commerces) à Québec : « Nous, on respecte les lois, si la nouvelle loi nous oblige à limiter le tabagisme, nous le ferons. Mais nous n’avons pas été informés de la loi et n’en avons donc pas discuté à l’interne. Pour ma part, par contre, je suis fumeuse et je suis pour la liberté. »
Coordonnatrice de la promotion au Carrefour Rimouski (75 commerces), Michèle Côté voit les choses d’un meilleur angle : « Personne n’ose être le précurseur. Notre centre appartient à la SITQ; avant, nous étions propriété de Westcliff. Et les deux groupes discutent régulièrement du tabagisme. C’est une bonne chose qu’il y ait une loi, cela va régler le problème à notre place. Ce n’est pas moi qui déciderai, mais je pense que le Carrefour Rimouski deviendra sans fumée. Pour l’instant, nous avons instauré un coin non-fumeur pour les mères qui allaitent leurs bébés. »
Administrateur immobilier au Carrefour Saint-Georges (92 commerces), la Beauceronne Sylvie Perron partage un discours similaire. « Nous étudions ce qui se passe. Nous allons probablement prendre une décision commune. Je crois que les centres commerciaux sans fumée vont devenir un incontournable. On va en venir à cela. » Étonnée que certains centres montréalais aient déjà complètement banni le tabac, Mme Perron estime toutefois qu’il faudrait conserver quelques pieds carrés d’espaces communs à l’intention des fumeurs.
Grâce à plusieurs initiatives couronnées de succès dans la région de Montréal et dans l’Outaouais, et avec l’impulsion de la loi 444, tout semble annoncer un développement assez spectaculaire des centres commerciaux sans fumée au Québec.
Denis Côté