Dernier sprint pour les politiques sans fumée

Au CIUSSS de l’Estrie – CHUS, la ‎politique d’environnement sans ‎fumée entrera pleinement en ‎vigueur dans cinq ans. Sur l’image, ‎l’hôpital et centre d’hébergement ‎Argyll, à Sherbrooke.‎
Les CISSS et les CIUSSS n’ont plus que quelques jours pour adopter leur politique d’environnement sans fumée. À terme, ces politiques devront assurer à leurs usagers et employés des environnements totalement sans fumée, même à l’extérieur. Tour d’horizon.

Il semble normal que les établissements de santé favorisent la cessation tabagique et fassent la promotion du non-tabagisme. En raison de leur mission, ces établissements doivent être des modèles en ce qui concerne la promotion de la santé. Sans compter que les maladies dues au tabac coûtent 1,8 G$ au Québec, seulement en soins hospitaliers et en médicaments, selon une estimation du Conference Board du Canada parue en 2017 (voir l’article « L’astronomique coût du tabac »). C’est pourquoi la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, adoptée fin 2015, exige l’adoption d’une politique d’environnement sans fumée de la part des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS), des établissements non affiliés ainsi que des cégeps et des universités. Sur le terrain, les travaux avancent bien et l’adoption des politiques obtient généralement l’aval de toutes les personnes concernées.

Une mise en œuvre adaptée aux milieux

Selon la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, les politiques d’environnement sans fumée doivent atteindre trois grands objectifs :

  • favoriser l’abandon du tabagisme par les usagers et les employés
  • promouvoir le non-tabagisme
  • créer à terme des environnements totalement sans fumée, même à l’extérieur

Chaque établissement est libre de choisir quelles mesures exactes seront retenues pour atteindre ces objectifs et à quel moment celles-ci entreront en vigueur. Pour soutenir les fumeurs, un outil a été créé pour présenter sommairement les caractéristiques des principaux services de cessation tabagique au Québec (services J’ARRÊTE, Défi J’arrête, j’y gagne! et SMAT). Les établissements bénéficient aussi des orientations publiées par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Celles-ci leur recommandent notamment de planifier la fermeture des fumoirs existants, d’éliminer les chambres où il est permis de fumer et de retirer, sur les terrains extérieurs, tout espace dédié aux fumeurs. Ces orientations notent toutefois qu’« une telle politique n’est pas imposée unilatéralement ni applicable du jour au lendemain », mais qu’elle doit plutôt faire l’objet de consultations afin que chacun soit entendu et informé. Sur le terrain, ce conseil semble avoir été observé. « Notre mandat était de faire pour et avec les usagers et les employés », note Olivier Tessier, agent de planification, de programmation et de recherche au CIUSSS de l’Estrie – CHUS. Dans les autres établissements, les directions de santé publique (DSP) ont consulté elles aussi les parties prenantes : les comités d’usagers, les employés, les gestionnaires, les syndicats, voire les bénévoles. D’une région à l’autre, les constats se ressemblent : les gens sont généralement favorables aux environnements sans fumée, même si certains se questionnent sur la faisabilité de cette politique auprès de certaines clientèles plus vulnérables souffrant de toxicomanie ou de troubles de santé mentale, par exemple.

Des craintes souvent infondées

Pourtant, bien avant que la loi l’exige, certains avaient implanté avec succès des politiques d’environnement sans fumée dans des endroits accueillant des clientèles vulnérables, comme l’Institut Philippe-Pinel de Montréal et le Centre de protection de l’enfance et de la jeunesse de l’Abitibi-Témiscamingue. À Toronto, le Center for Addiction and Mental Health (le plus grand hôpital psychiatrique du Canada) est aussi 100 % sans fumée depuis 2014. L’expérience montre que « les gestionnaires et le personnel appréhendent souvent de grandes difficultés au préalable, lesquelles se concrétisent peu dans les faits », rappellent les orientations ministérielles.

La cessation tabagique dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) en inquiète également plusieurs et entraîne une certaine confusion. Alors que les orientations ministérielles recommandent l’élimination des fumoirs, le ministre de la Santé Gaétan Barrette a déclaré en septembre, à la radio de Radio-Canada, qu’« on ne peut pas empêcher les gens de fumer au CHSLD. » Pourtant, sur le terrain, certains intervenants rappellent que c’est souvent une minorité de résidants qui fument et que plusieurs CHSLD vivent déjà sans fumoir. Dans un contexte de restrictions budgétaires, certains se demandent si la priorité devrait être donnée à soigner les aînés ou à s’assurer d’entretenir les fumoirs et de s’assurer qu’ils respectent les lois en vigueur. Rappelons aussi que l’interdiction du tabagisme dans les CHSLD ne se fera pas du jour au lendemain puisque les établissements peuvent prendre le temps qu’ils veulent pour mettre en œuvre leur politique. Ainsi, le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue appliquera la sienne dès le 1er janvier 2019 alors que le CIUSSS de l’Estrie – CHUS se donne cinq ans pour y arriver. Enfin, mentionnons que les centres hospitaliers du Québec ont un certain retard à rattraper : en Ontario, les hôpitaux et leurs terrains seront tous obligatoirement sans fumée dès janvier 2018.

Le CHUM engagé contre le tabac depuis 2007

Cela fait plusieurs années que le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) se préoccupe de tabagisme. En effet, c’est en 2007 que le CHUM est devenu un établissement promoteur de santé, un engagement qui l’a aidé à devenir un lieu favorable à la santé des patients et des intervenants. Ainsi, en 2011, les professionnels de la santé de certaines unités de soin ont commencé à aider systématiquement leurs patients à cesser de fumer. « Cette intervention ne prend que quelques minutes », dit Sylvie Roberge, conseillère au Service de promotion de la santé et chargée de projet du programme officieusement baptisé « Modèle CHUM ». En gros, le professionnel de la santé demande au patient s’il fume, lui rappelle que cesser de fumer est la chose la plus importante qu’il peut faire pour sa santé et lui propose, pour la durée de son séjour, une thérapie de remplacement de la nicotine ainsi que, au moment de son congé, un appel d’un intervenant de la ligne J’ARRÊTE. « Notre objectif n’est pas que, pendant son séjour au CHUM, le fumeur arrête de fumer, dit Sylvie Laberge, dont le service est rattaché à la Direction de la qualité, de l’évaluation, de la performance et de l’éthique. Nous voulons plutôt le sensibiliser à l’importance de la cessation tabagique, le soulager de ses symptômes de sevrage et le diriger vers les services J’ARRÊTE. » La littérature montre que le conseil d’un professionnel de la santé sur le tabagisme est particulièrement efficace. Elle montre aussi que ce type d’intervention brève, combinée à une thérapie de remplacement de la nicotine et le soutien des services J’ARRÊTE augmente substantiellement les chances qu’un fumeur se libère définitivement du tabac, selon une revue de la littérature du groupe Cochrane.

Quelques représentantes de l’équipe ‎du service de promotion de la santé ‎du CHUM : Sylvie Roberge, Valérie ‎Lahaie et Audrey-Maude Mercier.‎

L’intervention brève en cessation tabagique du CHUM a démarré au Centre des naissances. Elle s’étend désormais à une dizaine d’unités de soins et de cliniques ambulatoires, incluant la préadmission, la médecine digestive, la radio-oncologie et la gynéco-obstétrique. À terme, Sylvie Roberge et son équipe du Service de promotion de la santé aimeraient implanter ce programme dans l’ensemble de l’établissement, autant auprès des patients que des employés. « L’adoption des politiques d’environnement sans fumée est un outil intéressant pour mobiliser les directions en vue de pérenniser notre modèle d’intervention », dit Mme Roberge. À ce jour, une centaine de professionnels de la santé du CHUM ont reçu une formation de 30 à 60 minutes sur cette intervention. Sylvie Roberge et son équipe espèrent que celle-ci sera accréditée par les ordres professionnels. Cela permettrait notamment de consacrer davantage de ressources au tabagisme, un dossier qui pèse lourd sur les finances du système de santé.

Anick Labelle