Les premiers jours des campus sans fumée

Le Cégep de Saint-Jérôme est ‎devenu 100 % sans fumée en ‎novembre 2017. On voit ici Diane ‎Bournival, coordonnatrice du Service ‎des affaires corporatives et Daphnée ‎Tranchemontagne, conseillère en ‎communication. Crédit : Service des ‎communications du Cégep de Saint-‎Jérôme.‎
Les établissements d’enseignement supérieur du Québec devaient adopter une politique sur le tabagisme avant le 26 novembre 2017. Aperçu des premiers mois de cet important changement.

Les temps ont bien changé : jusqu’en 2005, les cégeps et les universités pouvaient héberger des commerces qui vendaient du tabac tandis qu’il y a à peine 20 ans, étudiants et professeurs avaient encore le droit de fumer en classe! Aujourd’hui, le tabagisme touche toujours un jeune adulte sur quatre au Québec (24 %) contre moins d’une personne sur cinq pour l’ensemble de la population (18 %). Afin de continuer à dénormaliser le tabac tout en créant des campus plus propres et plus sains, la Loi concernant la lutte contre le tabagisme a exigé, fin 2015, que les établissements d’enseignement supérieur adoptent une politique sur le tabagisme avant le 26 novembre 2017 (la même exigence a été formulée aux établissements de santé et de services sociaux). À l’heure actuelle, au moins 53 des 142 cégeps, universités et autres écoles concernés* ont adopté leur politique, tel qu’exigé par la loi. Dans la plupart des cas, cette politique est déjà en vigueur ou doit le devenir sous peu. Par contre, seulement une vingtaine d’établissements l’avaient transmise au ministère de la Santé et des Services sociaux à la fin février. Le Ministère a relancé les retardataires à la fin 2017 et s’attend à une réponse dans les prochains mois.

À l’heure actuelle, presque 20 cégeps et universités du Québec ont décidé d’interdire complètement l’usage du tabac sur leur campus, sans zones fumeurs.

« En soi, l’adoption de ces politiques est un succès, dit Adrian Gould, conseiller en promotion de la santé à la Direction régionale de santé publique de Montréal. Celles-ci représentent un levier qui transformera la norme entourant l’usage du tabac dans des lieux fréquentés par les ados et les jeunes adultes. » La tendance est mondiale : aux États-Unis, plus de 2100 campus sont déjà sans fumée selon l’American Nonsmokers’ Rights Foundation tandis qu’en France, un premier établissement sans fumée vient de voir le jour, à Rennes.

Une occasion de réfléchir sur le tabagisme

Au Québec, l’adoption de ces politiques dans les 142 établissements d’enseignement supérieur amène forcément une réflexion, d’une part, sur la place qu’y occupe le tabac et, d’autre part, sur les meilleurs moyens d’en baliser l’usage. La loi a laissé aux établissements une grande liberté sur le contenu comme tel de leur politique et le délai de sa mise en œuvre. En fait, la loi exige seulement que ces politiques tiennent compte des orientations ministérielles. Celles-ci suggèrent trois grands objectifs :

  • Créer des environnements totalement sans fumée à l’intérieur et à l’extérieur
  • Promouvoir le non-tabagisme
  • Favoriser l’abandon du tabagisme chez les étudiants et les employés

Plusieurs cégeps et universités ont adopté une politique qui est plus sévère que la loi : celle-ci interdit l’usage du tabac sur l’ensemble du campus, avec ou sans zones fumeurs. Dans certains cas, ces politiques « 100 % sans fumée » sont applicables immédiatement; ailleurs, leur mise en œuvre s’étend sur un an ou plus. Dans d’autres établissements, la politique reprend simplement les obligations légales qui leur incombent déjà : interdiction de fumer à l’intérieur des bâtiments, à neuf mètres des portes, des fenêtres et des prises d’air, sur les terrains de sport, etc. Enfin, certaines politiques comprennent d’autres mesures, comme l’interdiction du tabac dans les véhicules de l’établissement ou les résidences étudiantes, le refus de tout fonds provenant de l’industrie du tabac (pour financer la recherche, par exemple) ou la promotion des différents services de cessation tabagique ou le Défi J’arrête, j’y gagne!

L’appui de la communauté

L’Université McGill sera complètement sans fumée dès le 1er mai 2018, même à l’extérieur, sauf quelques zones fumeurs réparties sur le campus. D’ici cinq ans, même les zones fumeurs seront retirées, à l’exception d’une seule à proximité des résidences étudiantes. « La communauté appuyait ce choix », dit Paul Guenther, planificateur principal de campus. En effet, début 2016, des étudiants ont amorcé des actions en vue de créer un campus sans fumée. La direction a poursuivi le travail avec des mesures dont l’efficacité avait été démontrée par la recherche ou par l’expérience d’autres universités. « Nous avons découvert qu’il est plus facile d’interdire le tabac complètement plutôt que partiellement et que la sensibilisation fonctionne mieux qu’une approche punitive », dit Paul Guenther. D’ailleurs, celui-ci vise davantage un changement graduel de culture qu’une conformité parfaite des étudiants et des employés aux nouvelles règles. « Si l’on voit quelqu’un fumer, on va s’assurer qu’il connaît notre politique et lui demander de fumer en dehors du campus », dit-il. Les gardes de sécurité, eux, se concentreront sur les endroits où les fumeurs tendent à se rassembler.

S’adapter au terrain

Le Cégep de Saint-Jérôme a opté, lui aussi, pour une politique 100 % sans fumée, laquelle est en vigueur depuis novembre 2017. La seule exception : une zone fumeurs placée à l’écart sur le campus de Mont-Laurier. « Nous avons eu au moins deux bonnes surprises en adoptant cette politique, dit Diane Bournival, coordonnatrice du Service des affaires corporatives. D’abord, notre sondage consultatif a obtenu un bon taux de réponse : environ la moitié des étudiants et des employés y ont participé. Ensuite, 70 % des répondants appuyaient l’idée d’un campus sans fumée. » (Parmi les 30 % restants, 20 % étaient sans avis et 10 % s’y opposaient.)

Pour éviter tout effet pervers, le Cégep a pris le temps d’examiner les réalités de ses trois campus : à Saint-Jérôme, à Mont-Tremblant et à Mont-Laurier. Le campus Saint-Jérôme est complètement sans fumée depuis novembre 2017. « C’était encore plus simple que de s’assurer qu’il n’y a aucun fumeur à moins de neuf mètres de ses quelque 200 portes, ouvertures et prises d’air », explique Mme Bournival. De plus, les cendriers ont été placés à la limite du terrain afin de rappeler la nouvelle politique et éviter la dispersion de mégots dans l’environnement. À Mont-Tremblant, le campus est placé sur le terrain d’une école secondaire : il est donc déjà sans fumée. Le campus de Mont-Laurier, enfin, s’étend sur un grand territoire adjacent à une garderie et à une rue sans trottoir. Pour éviter des effets pervers – des étudiants qui fument à côté de bambins ou dans la rue –, le Cégep a installé une zone fumeurs sur le campus, à l’écart.

La campagne du Cégep de Saint-Jérôme annonçant l’arrivée de campus sans fumée a adopté un ton positif et un peu irrévérencieux.

Au final, la mise en place de cette politique n’a pas provoqué de grands remous au Cégep de Saint-Jérôme. Le sondage mené en septembre auprès des employés et des étudiants a préparé le terrain, de même qu’une campagne de promotion, lancée en octobre 2017. « Nous avons développé un message positif avec un jeu de mots un peu irrévérencieux qui parle aux jeunes, dit Daphnée Tranchemontagne, conseillère en communication du Cégep. “Au CSTJ [Cégep de Saint-Jérôme], on a l’air frais!” » Sur l’affiche, un jeune homme portant des lunettes noires, le nez en l’air, « fait son frais » sur un fond de forêt.

Un exercice de communication

La communication à propos de ces nouvelles politiques est essentielle, rappelle Adrian Gould, qui a accompagné plusieurs établissements de niveau collégial dans ce dossier. Imprimer des affiches ou installer un kiosque ne suffit pas. « Il faut intégrer cette politique à la vie de l’établissement, la faire connaître, la mettre en valeur », dit-il. Le Collège Ahuntsic, par exemple, a organisé une semaine d’activités pour souligner l’entrée en vigueur de son campus 100 % sans fumée. La semaine « Ahuntsic non toxique » a été réalisée en collaboration avec différents partenaires, dont le CLSC du quartier, et facilitée par une subvention de 10 000 $ de la Direction régionale de santé publique de Montréal. « Notre objectif était d’informer et de sensibiliser les jeunes sur l’impact du tabac », explique Chantal Asselin, infirmière du CLSC affectée au Collège.

Dans le cadre de la semaine ‎‎« Ahuntsic non toxique », le Collège ‎Ahuntsic a organisé plusieurs ‎activités pour souligner l’arrivée ‎d’un campus 100 % sans fumée.

Les étudiants ont pu pédaler sur un vélo stationnaire en respirant à travers une paille afin d’expérimenter des problèmes respiratoires, utiliser un logiciel pour voir comment le tabagisme vieillit leur visage et assister, à différents endroits sur le campus, à de courtes pièces de théâtre sur les méfaits du tabac. Une exposition sur les publicités du tabac et de la lutte contre le tabagisme des 50 dernières années a aussi été organisée. Enfin, Chantal Asselin et son équipe ont rencontré les jeunes dans leur classe d’éducation physique pour cerner leurs préoccupations concernant les différents produits qu’il est possible de fumer (tabac, chicha, cigarette électronique, cannabis, etc.), répondre à leurs questions et leur montrer comment réduire leur stress avec la cohérence cardiaque. « Ahuntsic non toxique » a eu un tel succès que le Collège va renouveler l’expérience l’année prochaine. Qui sait, cela inspirera peut-être d’autres établissements à faire de même.

Anick Labelle