Combien d’argent est nécessaire pour bien lutter contre le tabagisme?
Septembre 2015 - No 108
Mettre fin au tabagisme nécessitera plus que de la volonté de la part des fumeurs. Reste à savoir combien d’argent est réellement requis pour soutenir un bon plan de lutte contre le tabagisme.
Le Québec est loin d’être non-fumeur. En effet, encore un Québécois sur cinq fume tandis que ce taux ne change guère depuis 2011. Or, le budget annuel de lutte contre le tabagisme du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) est gelé, voire en diminution. Alors qu’il s’élevait à 20 millions de dollars depuis 2002, il totalisait environ 17 millions en 2014-2015. Ces sommes suffiront-elles pour réduire le taux de tabagisme de 10 % en 10 ans, comme le réclament les groupes de santé, ou d’environ 5 % en cinq ans, comme s’est engagé à le faire le gouvernement?
L’importance de l’argent
Plusieurs mesures pour lutter contre le tabagisme ne coûtent rien ou presque à l’État, comme hausser les taxes sur le tabac ou standardiser les emballages de ces produits. Par contre, réaliser une campagne de prévention du tabagisme chez les jeunes ou vérifier si les commerçants vendent du tabac aux mineurs requièrent des fonds. « Savoir si un gouvernement dépense assez est simple, dit Brian King, directeur adjoint, Recherche translationnelle, au bureau sur le tabagisme et la santé des Centers for Disease Control and Prevention (CDC), aux États-Unis. Si le tabagisme diminue, il dépense assez. Sinon, il doit investir davantage. » Quelques études importantes le montrent, dont celles de Matthew Farrelly et son équipe publiée dans l’American Journal of Public Health, en 2008, et celle du groupe de Jennifer Kahende, parue dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health, en 2009.
Des calculs précieux, mais rares
Cela dit, bien peu d’organismes ont calculé quels montants exacts sont nécessaires pour combattre efficacement le tabagisme. « Nous sommes parmi les seuls à avoir réalisé cet exercice parce qu’il demande de prendre en compte beaucoup de facteurs », dit Brian King. Depuis 1999, ces calculs sont intégrés au Best Practices for Comprehensive Tobacco Control Programs. À l’origine, ils étaient basés sur les dépenses des États ayant des programmes robustes. Ils ont été mis à jour en 2007 et en 2014 afin d’intégrer les nouvelles recherches, l’inflation et d’autres facteurs qui influencent le taux de tabagisme ou le coût des programmes pour le réduire (comme la proportion de citoyens vivant sous le seuil de pauvreté ou la rémunération des employés en santé publique).
Depuis 1999, les CDC calculent deux montants : le minimum requis pour un programme de lutte contre le tabagisme et le montant nécessaire pour un programme efficace. Selon eux, en 2014, le montant minimum s’élevait à 7,41 dollars par personne, en moyenne, aux États-Unis. Cette somme variait toutefois de 12,37 dollars pour le District de Columbia à 4,87 dollars pour l’Utah. « Ces chiffres sont trop spécifiques pour être utilisés ailleurs, précise Brian King, mais notre algorithme de calcul peut être exporté. »
Un exemple à suivre : l’Australie
C’est sur la base de ce modèle que le Cancer Council Australia (CCA) a calculé que l’Australie devrait investir au moins quatre dollars par personne dans la lutte contre le tabagisme. De son côté, l’État australien a augmenté son budget « antitabac » de 47 à 68 millions de dollars, en 2010, ce qui représente environ 3,23 dollars par habitant, selon le CCA. « Ces sommes additionnelles étaient nécessaires, indique Paul Grogan, directeur, Défense de l’intérêt public au CCA. La lutte contre le tabagisme est sous-financée en Australie, surtout en regard des économies qu’elle entraîne » (notre traduction). L’impact des 21 millions de dollars additionnels, par contre, n’a pas encore été évalué. « Cet argent soutient toutefois les meilleures pratiques; nous sommes donc persuadés qu’il mènera à une baisse importante du taux de tabagisme », dit-il. D’autant plus que ces hausses budgétaires soutiennent un ambitieux objectif gouvernemental : faire passer le pourcentage des fumeurs adultes quotidiens de 19 % à 10 %, d’ici 2018. C’est pourquoi l’Australie s’est aussi engagée, entre autres, à augmenter chaque année les taxes sur les produits du tabac de 12,5 %, entre 2013 et 2016.
« Nous sommes persuadés que les nouvelles sommes investies dans la lutte contre le tabagisme en Australie mèneront à une baisse importante de la proportion de fumeurs. » – Paul Grogan
Directeur, Défense de l’intérêt public, Cancer Council Australia
Au Québec : un bilan à améliorer
Au Québec, le MSSS a consacré environ 17 millions de dollars à la lutte contre le tabagisme en 2014-2015, ce qui représente un peu plus de deux dollars par personne. En 2002, ce budget totalisait 20 millions de dollars. Cependant, « on ne peut conclure à une réduction des sommes à l’échelle du gouvernement », écrit une porte-parole du Ministère. En effet, il faut prendre en compte l’ensemble des dépenses encourues, incluant le remboursement des aides pharmacologiques à l’arrêt tabagique (12,4 millions de dollars), qui relève de la Régie de l’assurance maladie du Québec. Du côté du MSSS, les postes budgétaires les plus importants incluent notamment les crédits accordés aux centres intégrés de santé et de services sociaux et les centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (5,7 millions de dollars) et les inspections, incluant celles relevant de la Loi sur le tabac (2,26 millions de dollars). Les campagnes de prévention et le soutien à la cessation bénéficient au minimum de cinq millions de dollars.
Enfin, la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme 2012-2017 accorde environ 10 millions de dollars par année au Québec, si l’on tient pour acquis que la province reçoit une part équivalente à sa population. Au final, tout cela est insuffisant, disent les groupes de santé québécois. La preuve? Un taux de tabagisme stagnant. Sans compter que « les services de soutien à la cessation, comme la ligne j’Arrête et les centres d’abandon du tabagisme, ne répondraient pas à la demande si les professionnels de la santé y dirigeaient tous leurs patients fumeurs comme le recommandent les bonnes pratiques », dit Isabelle Éthier, directrice adjointe, Service d’information sur le cancer et soutien à l’arrêt tabagique, à la Société canadienne du cancer. N’oublions pas non plus que les centres hospitaliers peinent à trouver des fonds pour soutenir leurs programmes de cessation tabagique (voir l’article en page 12).
Des fonds à portée de main
Les fonds additionnels ne sont pas si difficiles à trouver, démontre un document de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. D’abord, seule une fraction des taxes sur les produits du tabac soutient la lutte contre le tabagisme. Ensuite, il est possible d’instaurer des permis tarifiés pour les fabricants, les distributeurs et les vendeurs de tabac. La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise (Commission Godbout) recommandait d’ailleurs un permis annuel de 250 dollars pour les vendeurs de tabac. Le gouvernement de Philippe Couillard n’y a malheureusement pas donné suite. En attendant, le Québec au complet subit les conséquences d’un taux de tabagisme élevé.
Anick Perreault-Labelle