Remarquable baisse du tabagisme québécois

Les Québécois ne forment plus la section fumeur au Canada. Plusieurs sondages confirment ce que bien des gens remarquent dans leur entourage : beaucoup de fumeurs sont récemment parvenus à mettre fin à leur dépendance.

La dernière Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada (ESUTC), dont les données furent recueillies de février à décembre 2000, estime à 28 % la prévalence au Québec, comparativement à 24 % pour l’ensemble du pays. Pour la première fois en dix ans, une autre province nous dépasse; il s’agit de la Nouvelle-Écosse avec 30 %. Seulement trois provinces affichent un taux nettement inférieur au nôtre, soit l’Ontario et l’Alberta à 23 % et la Colombie-Britannique à 20 %.

« Je ne suis pas vraiment surpris de cette baisse, commente Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé. Le Québec profite d’une stratégie antitabac assez complète qui a fait ses preuves ailleurs. Il est normal que le tabagisme s’atténue à la suite entre autres de l’interdiction de fumer au travail. Le débat social qui a entouré l’adoption de la Loi sur le tabac a entraîné un désir de cesser de fumer. Le succès des Défis J’arrête, j’y gagne! en témoigne. Mais l’ampleur de la réduction m’étonne quand même un peu. » Entamant sa 25e année d’activités, le Conseil fut témoin de périodes moins heureuses dans l’histoire de la lutte antitabac québécoise, notamment la pénible chute des taxes de 1994 laquelle, en coupant de moitié le prix des cigarettes, avait relancé le tabagisme surtout chez les jeunes.

Une descente continue

En 1994 et 1995, on dénombrait entre 36 % et 38 % de fumeurs au Québec selon l’enquête de cohorte de Santé Canada qui faisait autorité à l’époque. Les sondages fédéraux de 1996 à 1997 tournaient autour de 34 % pour tomber enfin à 30 % en 1999, toujours pour le Québec. Tout laisse espérer que cette descente agréable ne s’arrêtera pas au taux de 28 % puisque des incitatifs à la cessation s’ajoutent régulièrement au tableau. Citons, en octobre 2000, l’interdiction d’une grande partie de la publicité du tabac et l’inclusion des aides pharmacologiques au Régime d’assurance médicaments. On a aussi assisté, depuis décembre dernier, à l’instauration des avertissements illustrés sur les paquets et, en avril, à une hausse tangible de la taxation. De surcroît, de nouveaux programmes seront effectifs dans un futur plus ou moins rapproché, grâce aux hausses considérables des budgets antitabac gouvernementaux en 2001-02.

Les 15-24 ans en progrès

Dans chacune des dix provinces, l’ESUTC a interrogé environ 1000 jeunes de 15 à 24 ans et autant d’adultes de 25 ans et plus, pour un total de 20 415 répondants canadiens. C’est également au Québec que l’on a rapporté la plus forte baisse du tabagisme parmi les jeunes, passant de 36 % en 1999 à 30 % en 2000. Les prévalences rapportées ici sont celles des fumeurs actuels, soit les fumeurs occasionnels combinés aux fumeurs quotidiens.

Miracle au Québec français?

Deux récents sondages omnibus de Léger Marketing confirment la nette tendance révélée par Santé Canada. Basé sur 1007 répondants et réalisé en mars, le premier estimait la prévalence québécoise à 29,6 %, soit 30,8 % chez les hommes et 28,4 % chez les femmes. Étonnamment, les régions francophones du Québec métropolitain, de l’est et du centre de la province affichaient un taux moyen de 24 %, alors que les régions bilingues du Montréal métropolitain et de l’ouest du Québec traînaient de la patte avec une moyenne de 32,3 %. Un miracle aurait-t-il eu lieu au Québec français?

Réalisé en mai auprès de 500 adultes dans le cadre de la série Tendances 2001, le second sondage omnibus est arrivé à une proportion de 27 % de fumeurs québécois. Parmi ces derniers, 68 % avaient l’intention d’arrêter, 28 % de continuer et 4 % ne le savaient pas. Même si cette question n’a été posée qu’à environ seulement 135 fumeurs (27 % de 500 personnes), le pourcentage de ceux qui veulent écraser est surprenant et significatif.

Selon Michel Simard, directeur des relations publiques chez Léger Marketing, l’image de plus en plus négative du tabagisme n’influencerait pas la sincérité des gens. « Les répondants se plient volontiers au jeu et disent la vérité. De plus, des techniques de sondage sont utilisées pour les mettre en confiance », explique-t-il.

Baisse des ventes

Les ventes de cigarettes par habitant témoignent également d’une réduction sensible du tabagisme québécois. De 1996 à 2000, la consommation annuelle de cigarettes usinées est passée de 2262 à 1771 unités par habitant (de plus de 14 ans), soit une baisse de 22 %. Cette réduction est toutefois en partie contrecarrée par une hausse des ventes des bâtonnets de tabac, très populaires au Québec mais dont les statistiques ne sont pas encore disponibles pour l’année 2000.

Analyste des politiques à l’Association pour les droits des non-fumeurs, Francis Thompson trouve phénoménal que la réduction du tabagisme soit de deux à trois fois plus rapide au Québec qu’en Ontario. « J’ai demandé à plusieurs de mes collègues s’ils connaissaient d’autres exemples de baisses de consommation aussi importantes. Leur réponse fut non. L’ampleur de la baisse me surprend encore. Cela confirme un changement de mentalité », dit-il.

Il est effectivement très laborieux de diminuer la prévalence du tabagisme dans une population. Lors de la Conférence mondiale sur le tabac OU la santé, en août 2000 à Chicago, le gouvernement de l’Afrique du Sud avait mérité un prix fort convoité suite à une baisse de 30 % des ventes de cigarettes entre 1991 et 1998. Quant au gouvernement canadien, un leader mondial dans le domaine, il a pour modeste objectif de faire tomber la prévalence à 20 % d’ici dix ans. Même à une cadence modérée, toute réduction régulière est donc marque de succès.

Des enfants enfumés

Les enfants québécois ne profitent pas encore tous de cette évolution. Selon l’ESUTC de 2000, ils demeurent les plus exposés au pays à la fumée des autres. Pas moins de 42 % des adolescents québécois respirent régulièrement cette substance à domicile, comparativement à 31 % pour l’ensemble du pays. Chez les petits de 0 à 11 ans, la proportion est de 36 % au Québec et de 24 % pour le Canada; les enfants de Colombie-Britannique ont les poumons les plus roses, avec une exposition au foyer de 15 % seulement.

76 % de non-fumeurs au Canada

Parmi les adultes de 15 ans et plus, la population canadienne est composée de 24 % de fumeurs et de 76 % de non-fumeurs. Plus exactement, on dénombre 20 % de fumeurs quotidiens, 5 % de fumeurs occasionnels, 26 % d’anciens fumeurs et 50 % de personnes n’ayant jamais fumé.

La prévalence est un peu plus élevée chez les hommes (26 %) que chez les femmes (23 %). (Tous les pourcentages de l’ESUTC ont été arrondis au chiffre près; c’est pourquoi le total ne fait pas toujours 100 %.)

Au Québec, on fume encore davantage qu’ailleurs au pays. Le tableau suivant compare nos pourcentages de fumeurs actuels (quotidiens + occasionnels) avec ceux du reste du Canada (R. du Can.). Les jeunes Québécoises de 15 à 24 ans affichent la plus haute prévalence au pays, avec 40 %.

Sexes et âges
Québec(%)
Reste du Canada(%)
Canada(%)
H+F, 15 ans et +
28 %
23 %
24 %
H+F, 15-19 ans
30
23
25
H+F, 20-24 ans
38
30
32
H+F, 25-44 an
34
29
30
H+F, 45 ans et +
21
17
18
Hommes, 15 ans et +
28
25
26
Hommes, 15-24 ans
29
28
28
Hommes, 25 ans et +
28
24
25
Femmes, 15 ans et +
28
21
23
Femmes, 15-24 ans
40
27
30
Femmes, 25 ans et +
26
21
22
Volonté d’écraser

Les fumeurs québécois ont pourtant autant l’intention que les autres Canadiens, sinon plus, de rompre avec leur habitude. Parmi les fumeurs actuels du Québec, 55 % ont affirmé aux sondeurs qu’ils « pensaient sérieusement à cesser de fumer » d’ici 30 jours ou d’ici six mois. Cette proportion est de 52 % dans les autres provinces.

Les efforts récents de cessation correspondent d’ailleurs à la volonté exprimée. Au Québec, 38 % des fumeurs quotidiens avaient essayé d’écraser d’une à trois fois au cours des 12 derniers mois; 12 % d’entre eux ont fait quatre tentatives ou plus; 50 % n’en ont fait aucune.

Denis Côté