Les emballages neutres devant les tribunaux australiens

Imaginez un État exigeant que les produits du tabac soient vendus sans logo ni signe distinctif. Porterait-il atteinte aux droits des cigarettiers? Et, si oui, devrait-il les compenser adéquatement pour cette « injustice »?

La Haute Cour d’Australie se penche justement sur ces deux questions. Elle déterminera plus précisément, d’ici la fin de l’année, si la loi australienne qui impose des emballages neutres aux produits du tabac est constitutionnelle.

Les arguments de l’industrie

Pour les avocats de Japan Tobacco International, British American Tobacco Australia, Imperial Tobacco et Philip Morris International, la réponse est claire : non.

Mentionnons que la constitution australienne permet que le Parlement vote des lois entraînant une appropriation d’une propriété privée par l’État, en autant que cela se fasse selon « des termes justes ». Selon les plaignants, l’État australien s’approprie leurs marques de commerce avec sa loi sur les emballages neutres. Et il le fait de manière injuste, c’est-à-dire sans compensation. Certes, les cigarettiers admettent que cette loi ne leur enlève pas formellement leurs marques de commerce; mais elle les empêche de les utiliser, ce qui revient au même. Enfin, les manufacturiers estiment que la loi australienne confère un bénéfice à l’État, car elle lui permet d’imposer ses propres emballages.

Les emballages neutres auront d’autres effets pervers, d’après les producteurs de tabac. Par exemple, une chute des prix puisque, sans emballage distinctif, seul le coût des cigarettes permettra de les distinguer. Or, cela est bien connu : du tabac bon marché fait grimper le nombre de fumeurs.

Les arguments du gouvernement

Le gouvernement a un tout autre discours. Il estime qu’il a le droit de légiférer un produit qui tue 15 000 Australiens par année et que les emballages neutres sont un bon véhicule pour y arriver. C’est d’ailleurs une mesure recommandée par la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé.

Une marque de commerce n’inclut pas le droit de l’utiliser, rappelle aussi Canberra, mais empêche les autres de le faire. Bref, selon le gouvernement, les emballages neutres ne lèsent personne. D’autant plus que les cigarettiers resteront propriétaires de leurs logos et pourront les utiliser dans leur correspondance officielle et sur leurs bâtiments. Enfin, le gouvernement argumente qu’il ne retire de cette loi aucun bénéfice assimilable à une propriété.

Si les autorités obtiennent gain de cause, plusieurs gouvernements seront tentés de les imiter. L’enjeu de ce procès dépasse donc largement les frontières australiennes. D’ailleurs, des consultations sur les emballages neutres ont déjà débuté au Royaume-Uni.

Anick Perreault-Labelle