Le nationalisme comme argument de vente

Fumer québécois, fumer canadien
Promouvoir des cigarettes « québécoises » ou « canadiennes » contreviendrait à la loi
Les compagnies de tabac se servent du patriotisme québécois et canadien pour vendre leurs produits.

Depuis 2005, par exemple, JTI commercialise les Macdonald Special au Canada anglais (un paquet rouge orné d’une feuille d’érable) et les Macdonald Spéciale au Québec (un paquet bleu embelli d’une fleur de lys). De son côté, la filiale canadienne de Philip Morris International (PMI) vend depuis au moins 15 ans les Canadian Classics et, depuis 2008, les Québec Classique

Vendue pas cher et affichant une fleur de lys, la Macdonald Spéciale fait un tabac au Québec. Dans un salon pour dépanneurs, en avril dernier, M. JTI-Macdonald offrait de la tire sur neige pour faire valoir la tradition québécoise de la marque.

Ces cigarettes bon marché trouvent preneur. Selon les rapports annuels de PMI, les Québec Classique gagnent des parts de marché depuis leur introduction. En 2006, selon le magazine YCM (Your Convenience Manager) les Canadian Classics représentaient 32 % des volumes de ventes de cigarettes économiques dans l’Ouest du pays, 26 % dans les Maritimes et 13 % en Ontario.

« Au Québec, le marketing nationaliste est moins efficace qu’il y a une quarantaine d’années », dit Jean-Charles Chebat, professeur spécialisé en marketing à HEC Montréal. Mais il aurait encore un impact, surtout chez les jeunes.

Le nationalisme : un message attirant pour les jeunes

« Le nationalisme est une idée avec un grand contenu idéologique », dit encore M. Chebat. En effet, il renvoie à des thèmes forts, comme l’identité, la fierté et l’appartenance. Or, « les jeunes construisent leur identité, c’est-à-dire qu’ils décident à quelles communautés ils appartiennent; ils sont donc particulièrement sensibles à ce genre de message », estime Pierre Balloffet, également professeur chez HEC Montréal. En d’autres mots, un paquet de cigarettes « québécois » risque de les attirer davantage, même s’ils ne sont pas indépendantistes d’un point de vue politique. « Cela est d’autant plus vrai que les marques sont particulièrement importantes chez les jeunes », ajoute M. Balloffet.

Ce que dit la loi

La Loi sur le tabac canadienne prohibe la publicité style de vie, c’est-à-dire « qui associe un produit avec une façon de vivre, […] l’enthousiasme […] ou qui évoque une émotion […] au sujet d’une telle façon de vivre. » Par contre, la Loi n’inclut pas les emballages dans sa définition de la publicité. En vertu de la Loi sur le tabac du Québec, les emballages des produits du tabac sont bel et bien une forme de publicité. Or, « un emballage nationaliste associe clairement les cigarettes à l’enthousiasme et aux émotions; il contrevient donc à la Loi », croit Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Selon elle, la tolérance gouvernementale face à ce type de promotion est inacceptable.

« Ces subterfuges nationalistes sont préoccupants, tout comme les couleurs attrayantes des paquets », admet Natacha Joncas Boudrault, attachée de presse d’Yves Bolduc, ministre québécois de la Santé et des Services sociaux. Mais le Ministère n’envisage pour l’instant aucune action additionnelle pour mettre fin à ces stratégies marketing.

« Même si on clarifiait la Loi, il y aura toujours place à l’interprétation; la vraie solution est un emballage neutre », conclut Flory Doucas. La preuve : l’État fédéral a adopté cet été le Règlement sur l’étiquetage des produits du tabac (cigarettes et petits cigares). Celui-ci va modifier l’apparence des paquets (du fait des nouvelles mises en garde illustrées), mais ces derniers pourront tout de même rester… « nationalistes ».

Anick Perreault-Labelle