Contrebande : les négociations se poursuivent entre RJR-Macdonald et le gouvernement fédéral

Axel Geitz, vice-président de R. J. Reynolds International Tobacco, maison mère du fabricant de cigarettes RJR-Macdonald, a confirmé la visite d’agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) récemment à leurs bureaux à Toronto.

Lors de cette perquisition, plusieurs documents ont été saisis ainsi qu’aux bureaux et à l’usine de Montréal. Ce branle-bas de combat s’inscrit dans le cadre de l’enquête menée par la GRC sur la contrebande du tabac.

L’industrie du tabac nie les allégations selon lesquelles elle aurait alimenté la contrebande du tabac. Le gouvernement fédéral parle de déposer des accusations criminelles contre RJR-Macdonald, troisième plus importante compagnie de tabac canadienne et fabricant des cigarettes Export ‘A’.

Des preuves incriminantes

Selon le quotidien La Presse, cette menace de poursuite est plutôt utilisée comme un moyen de pression afin de négocier une entente. La GRC a confirmé que des négociations sont en cours entre le ministère de la Justice et RJR-Macdonald. Normand Houle, de la Section des douanes et de l’accise de la GRC, indiquait que celle-ci a ramassé suffisamment de preuves pour que le ministère de la Justice entame des procédures judiciaires.

Toutefois, « Justice Canada évalue la possibilité d’une poursuite mais là on parle de guérilla judiciaire qui risque de prendre plusieurs années et de coûter très cher. En bout de ligne, c’est le contribuable qui paie. Cette cause est complexe et particulière, à preuve aux États-Unis cela a été très long et très onéreux », précise-t-il.

Une entente décriée

Selon les sources de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) et de La Presse, cette entente serait de 150 millions $ et viendrait effacer les pertes subies par le gouvernement fédéral évaluées à plus de 14 milliards $ relativement à la contrebande et à la décision de diminuer les taxes.

Toutefois, si l’on tient compte des pertes des gouvernements provinciaux et ce, entre 1990 et 1998, le montant se chiffrerait à 20 milliards $, précise l’ADNF. David Sweanor, avocat et analyste des politiques à l’ADNF souligne que : « L’estimation de 20 milliards $ en pertes de revenus pourrait même constituer un chiffre conservateur (…) Un règlement de 150 millions $ représenterait une défaite majeure pour la santé publique, le gouvernement et la responsabilité des entreprises. Une pénalité de 150 millions $ équivaudrait à moins de 1 % des revenus perdus par le gouvernement fédéral. »

Quant à François Damphousse, directeur du bureau du Québec de l’ADNF, il trouve scandaleux que le gouvernement canadien ne récupère que 150 millions $ auprès des compagnies de tabac. « Le gouvernement fédéral a perdu 11 milliards $ à cause de ça et le gouvernement québécois, trois milliards. Exiger seulement 150 millions $, c’est comme donner une sentence d’une semaine de travaux communautaires à Al Capone. Les activités présumées des compagnies de tabac visaient une chose : obliger les gouvernements à baisser les taxes afin de stimuler la vente des cigarettes. »

Normand Houle estime qu’une poursuite judiciaire risque de rapporter moins qu’une bonne négociation. Selon lui, « les négociations pourraient donner lieu, par exemple, à ce que la compagnie paie l’amende, que des accusations contre les individus ne soient pas retenues mais que les accusations contre la compagnie demeurent ».

RJR-Macdonald veut négocier à la baisse et le gouvernement à la hausse. Toutefois, l’ADNF a rappelé que des dirigeants de l’industrie du tabac ont été reconnus coupables aux États-Unis d’accusations reliées à la contrebande de cigarettes canadiennes.

Des dirigeants et un cigarettier reconnus coupables de fraude et de contrebande

En effet, lors des procès relatifs à la contrebande du tabac, une filiale du cigarettier R. J. Reynolds, Northern Brands International, a plaidé coupable et a été condamnée le 22 décembre dernier à payer une amende de 15 millions $ US pour complicité dans une fraude à l’endroit du fisc américain.

Concurremment, Leslie Thompson, citoyen canadien et haut dirigeant de RJR-Macdonald, a plaidé coupable à des accusations de contrebande en vertu de la législation américaine qui prévoit une peine d’emprisonnement n’excédant pas 84 mois. La sentence n’est pas encore prononcée. Il a admis avoir prêté main-forte aux contrebandiers afin d’écouler pour près de 700 millions $ US de cigarettes sur le marché noir au Canada.

Son complice, Larry Miller, qui avait des contacts réguliers avec Stan Smith, ancien vice-président à la direction de RJR-Macdonald au Canada, a été inculpé pour avoir dirigé l’opération.

Quant à Michael Bernstein, ex-directeur régional des ventes hors taxes du cigarettier Brown & Williamson, conglomérat d’Impérial Tobacco aux États-Unis, il a plaidé coupable en septembre dernier à des accusations de contrebande et a écopé d’une amende de 1000 $.

Rôle d’Imperial Tobacco

Au Canada, Médecins pour un Canada sans fumée, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac et l’ADNF dénoncent la possible complicité d’Imperial Tobacco dans la contrebande du tabac au début des années 1990 et réclament la tenue d’une commission royale d’enquête sur le comportement de l’industrie du tabac.

Toutefois, le porte-parole d’Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, nie toujours que la compagnie ait été mêlée à ces activités. Dans sa déclaration rendue publique en avril dernier, M. Descôteaux précise que : « Depuis de nombreuses années nous avons expliqué publiquement nos politiques et nos activités relatives à la question de la contrebande. Rien n’est plus éloquent que les gestes que nous avons posés pour démontrer notre engagement à tenter d’enrayer la contrebande au Canada. Dès 1989, le président d’Imperial Tobacco d’alors, M. Wilmat Tennyson, écrivait aux ministres des Finances des gouvernements fédéral et provinciaux, pour les alerter à l’émergence des problèmes de la contrebande. Nous craignions que nous soyons en train de devenir (bien malgré nous) un canal de livraison de nos produits entre les mains d’individus qui les utiliseront à des fins malhonnêtes, dans le but de priver les gouvernements d’importants revenus de taxes. »

Outre les récentes condamnations aux États-Unis, de plus en plus de preuves s’accumulent indiquant que les cigarettiers jouaient un rôle non négligeable dans la contrebande du tabac. Les groupes antitabac s’interrogent quant aux actions que poseront les gouvernements dans ce dossier.

Fraude fiscale du siècle au Québec

Dans une lettre envoyée au gouvernement du Québec, Fernand Turcotte de la Faculté de médecine de l’Université Laval, Mario Champagne de la Coalition Chaudière-Appalaches/Québec pour la santé et contre le tabagisme et l’ADNF ont décrié le phénomène de la contrebande : « Bien que l’on ait rapporté à l’époque que le phénomène de la contrebande était particulièrement intense au Québec, il est alarmant de constater qu’aucune accusation n’a été portée à ce jour par le gouvernement du Québec contre l’industrie du tabac ou l’un de ses dirigeants. (…) Avec les milliards de dollars perdus depuis 1990, la contrebande du tabac représente probablement la plus importante fraude fiscale perpétrée au Québec au cours de ce siècle. »

D’ailleurs, ajoutent-t-ils : « Des documents confidentiels rendus publics par la communauté de la santé ont révélé que la compagnie de tabac Imperial Tobacco a exporté ses produits aux Etats-Unis avec l’intention spécifique de les rendre disponibles aux réseaux de contrebandiers. Cette machination a même été publiquement confirmée par le président et chef de la direction d’Imperial Tobacco, M. Don Brown, au lendemain du dévoilement de ces documents. »

Ces intervenants aimeraient connaître quelles mesures le gouvernement du Québec entend prendre pour tenter de recouvrer les pertes de revenus dues à la contrebande et à la baisse des taxes.

Lucie Desjardins