Nationaliser ou réglementer? La réaction d’un expert

La nationalisation d’industries problématiques n’est plus tellement à la mode – mais plusieurs pays ont déjà fait l’expérience de monopoles d’État sur le tabac, du Japon à la France, sans oublier tous les pays de l’ancien bloc soviétique.

Dans le cas des économies dites planifiées, rappelle David Sweanor, avocat à l’Association pour les droits des non-fumeurs, le contrôle étatique est loin d’avoir enrayé le phénomène du tabagisme, même si on ne faisait pas de publicité en faveur du tabac. En général, on a classé les cigarettes parmi les produits de première nécessité, vendus à des prix très bas qui étaient loin de couvrir les coûts sociaux du tabagisme. Dans plusieurs pays, les cigarettes importées sont devenues une espèce de monnaie parallèle pour le marché noir.

En France, l’exemple de la Seita (maintenant privatisée) est loin d’être concluant. Elle a bien défendu l’honneur de la France contre l’invasion des marques américaines dans les années d’après-guerre, elle a même fait des Gauloises un emblème de l’identité nationale, mais elle n’a rien fait pour réduire les méfaits du tabac. On reproche d’ailleurs à la Seita sa résistance aux avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes, attitude identique à celle des multinationales privées.

Au Japon, le bilan de la Japan Tobacco Company est encore pire. De tous les pays industrialisés, c’est probablement au Japon que le niveau général de connaissances au sujet des risques que courent les fumeurs est le moins élevé. Les revenus provenant de la Japan Tobacco ont été un obstacle majeur à la mise sur pied de campagnes de sensibilisation à cet égard.

Dans tous ces pays, on ne s’est donc pas servi du monopole d’État pour tenter de réduire le tabagisme. Il faut bien préciser que ce n’était pas non plus le but que l’État s’était fixé au moment de la nationalisation; ce qu’il faut tout de même retenir de ces exemples, d’après Me Sweanor, c’est que le simple fait de nationaliser une industrie n’élimine pas automatiquement son pouvoir politique et économique et sa tendance à s’en servir à des fins égoïstes, voire antisociales. Les cadres d’un fabricant de cigarettes, de chaussures ou de n’importe quel autre produit auront tendance à défendre « leur » territoire, qu’ils soient employés privés ou fonctionnaires.

« Le meilleur argument en faveur d’une nationalisation de l’industrie du tabac, c’est encore la Société canadienne des postes, lance à la blague Me Sweanor. Si on envoyait les gestionnaires des Postes dans l’industrie du tabac, il n’en resterait bientôt plus grand-chose. »

Plus sérieusement, Me Sweanor affirme que tous les objectifs qu’on pourrait se fixer pour une nationalisation de l’industrie du tabac pourraient aussi être atteints en réglementant plus sévèrement une industrie qui resterait aux mains d’intérêts privés. Il propose par exemple depuis longtemps de fixer des prix maximaux pour les cigarettes (sans tenir compte des taxes), de manière à limiter les profits que les cigarettiers peuvent encaisser.

Une autre proposition de Me Sweanor : imposer aux cigarettiers des objectifs de réduction du tabagisme, avec des amendes assez élevées pour qu’il ne soit plus rentable de recruter de nouveaux fumeurs chez les adolescents. En somme, il s’agirait d’une menace d’expropriation de profits, qu’on pourrait qualifier de nationalisation partielle et en douceur.

Par contre, Me Sweanor est bien d’accord pour dire que nos politiques actuelles de contrôle de l’alcool sont mieux conçues que notre approche en matière de contrôle du tabac. Même si l’on peut se demander parfois si la Société des alcools du Québec fait la promotion de la modération ou de la consommation, bien des problèmes reliés à l’alcool, dont en particulier la conduite avec facultés affaiblies, ont en grande partie été réglés.

Mais Me Sweanor rappelle la différence majeure entre l’alcool et le tabac : l’alcool peut se consommer en modération sans nuire à la santé, alors que l’usage du tabac est toujours nuisible et entraîne une dépendance chez la grande majorité des fumeurs.

Un débat à suivre…

Francis Thompson