La concurrence des prix a surpris Imperial Tobacco

Le leader du tabac au pays, Imperial Tobacco Canada (ITC), s’était signalé par la popularité de ses marques Player’s et du Maurier au cours des années 1980 et 1990. Elles occupaient plus de la moitié du marché canadien des cigarettes usinées. Or, la compagnie a atteint un plateau, en termes de bénéfices d’exploitation, en 2002 et 2003.

Lente à réagir au succès des marques économiques lancées par son principal concurrent, Rothmans Benson & Hedges (RBH), ITC a vu ses ventes fondre de 21 % en 2004, passant de 1,95 à 1,54 milliard $. Quant à RBH, fort de ses Number 7 et ses Mark Ten commercialisées à prix coupés, il a la fumée dans les voiles; ses ventes et ses profits ont augmenté l’an dernier, malgré la diminution du tabagisme.

Lorsque la multinationale British American Tobacco a fait main basse sur la totalité des actions d’ITC, en 2000, ses marques étaient évaluées au prix astronomique de 8,2 milliards $ CAN. À l’époque, il n’existait pratiquement pas de cigarettes dites « économiques », lesquelles sont vendues environ moitié prix aux grossistes, hormis les taxes.

Révolution

Le retour des taxes dissuasives et l’interdiction des commandites du tabac ont créé une véritable révolution dans le commerce des cigarettes. Un imposant marché de marques à rabais est apparu. Tout en demeurant très lucratif, il gruge les profits des fabricants. Ce développement s’explique du fait que les fumeurs trouvent leur nicotine onéreuse, et que les différences d’image entre les paquets se sont atténuées faute de publicité.

La marge bénéficiaire des grands cigarettiers étant exagérée, de nombreux petits fabricants sont parvenus à leur soutirer près de 8 % du marché, simplement en offrant des produits moins chers. Pour repousser les manufacturiers locaux, les multinationales ont d’abord commercialisé des « bâtonnets » de tabac, c’est-à-dire des cigarettes moins taxées, sous prétexte qu’elles ne constituent pas un produit fini. Il s’agit, par exemple, de cigarettes sur lesquelles le fumeur n’a qu’à ajouter un cylindre autour du filtre. Et début 2003, Rothmans Benson & Hedges a osé lancer des Number 7 en format fini, à un moindre prix. Une véritable concurrence s’est alors enclenchée.

Les trois fabricants canadiens ont ensuite décoté plusieurs de leurs marques, telles les Peter Jackson, les Matinée et les Médaillon chez ITC, les Canadian Classics et les Mark Ten chez RBH, et les Avantage chez JTI-Macdonald. Les trois principales marques canadiennes – Player’s, du Maurier et Export‘A’ – demeurent toutefois à un prix élevé.

Dans les rapports annuels des fabricants, les dirigeants sont très avares de commentaires sur la fabrication des cigarettes. L’expertise se concentre plutôt sur la gestion des capitaux, la comptabilité raffinée, la concurrence par le prix de certaines marques, les procès en cours, et l’impact des mesures antitabac gouvernementales.

Profits nets de 424 millions $

Chez Imperial Tobacco Canada, les ventes ont baissé de 21 % en 2004, passant de 1,95 à 1,54 milliard $. Mais les bénéfices d’exploitation se sont accrus de 2 %, de 763 à 775 millions $. Quant au bénéfice net, il a presque doublé, passant de 242 à 424 millions $. La contradiction entre les chiffres d’affaires (en chute) et les bénéfices (en hausse), s’explique du fait que l’année 2003 avait été lourdement handicapée par les frais spéciaux de 303 millions $ liés à la fermeture de son usine montréalaise.

Même si les ventes d’ITC affichent une réduction importante, la firme demeure incroyablement profitable. Son ratio de bénéfices d’exploitation (sur le chiffre d’affaires) s’élève à 53 %, une fois déduits les frais spéciaux non récurrents de restructuration. La compagnie ne comptant plus que 1100 employés, chacun contribuera en moyenne pour environ 725 000$ aux bénéfices d’exploitation en 2005.

Bien que l’opération minceur d’Imperial ait été réussie, le président Luc Jobin a quitté ses fonctions à la mi-février, remplacé par Benjamin Kemball, qui était auparavant à la tête de la division vénézuelienne de la multinationale British American Tobacco. (M. Jobin est aujourd’hui vice-président de la financière Power Corporation.)

« Oubliez les interdictions de fumer, ou les éventuels dédommagements découlant de recours collectifs. Maintenant, la véritable menace aux profits du plus grand cigarettier canadien sont les cigarettes bon marché, tout simplement », indiquait début mars Nicolas Van Praet, journaliste financier au quotidien The Gazette, après le dévoilement des résultats de 2004. Occupant à peine 2 % du marché en 1998, les marques économiques en accaparaient 48 % au cours du premier trimestre de 2005.

Imperial Tobacco est toujours le leader au pays, avec 54 % du volume de l’industrie du tabac. Les expéditions de l’ensemble des fabricants totalisent 42 milliards de cigarettes (incluant les exportations). Le numéro deux, RBH, détient 29 % du marché. Par soustraction faite à partir des rapports des deux meneurs, le troisième cigarettier canadien, JTI-Macdonald, conserve ses 11 % du marché, ne laissant que 6 % à l’ensemble des petits fabricants. En baissant le prix de plusieurs de leurs marques, ces trois grandes multinationales du tabac sont donc parvenues à endiguer la croissance des producteurs locaux.

Hausse de 2 % pour RBH

Le 20 mai, Rothmans Benson & Hedges a dévoilé ses rapports pour l’année financière terminée au 30 avril 2005. Ses ventes atteignent 636 millions $, en hausse de 2 % sur 2004. RBH s’est satisfait d’un ratio de bénéfices d’exploitation de 44 %, soit de 278 millions $. Ainsi, même si le champion des « marques économiques » coupait tous ses prix de 44 %, il serait encore rentable ! Ses profits nets sont de 155 millions, dont 40 % vont au principal propriétaire, la multinationale du tabac Altria (autrefois Philip Morris), et 60 % aux autres actionnaires.

« Le succès de RBH découle de son leadership dans le secteur des marques économiques, indique la direction dans son rapport annuel. Dans les deux années qui ont suivi le lancement des Number 7 dans cette catégorie, RBH a élargi considérablement sa part de marché, contrairement aux tendances antérieures. Ce succès est encourageant, à la lumière des nombreux défis actuels de l’industrie. »

Baisse du marché de 6,6 %

Le volume de l’industrie a connu une baisse de 6,6 % en 2004, ce qui est supérieur à la réduction moyenne annuelle de 4,3 % enregistrée depuis cinq ans, rapporte le second cigarettier canadien. RBH ne croit pas au succès accru de la lutte antitabac. Selon lui, la réduction additionnelle de 2,3 % est due surtout à une présence majorée de produits de contrebande. Cette inquiétude est aussi partagée par Imperial Tobacco, qui a même engagé une firme de détectives pour enquêter sur les cigarettes disponibles sur le marché noir. Le fabricant des Player’s et des du Maurier a ainsi réussi, en mai dernier, à susciter des reportages alarmistes aux nouvelles télévisées, qui relataient une certaine hausse de la contrebande. Disponibles en quantité très inférieures à ce qui prévalait au début des années 1990, ces produits proviennent surtout des réserves autochtones.

Denis Côté