Emballages neutres : les demi-vérités d’Imperial Tobacco

Selon Imperial Tobacco Canada, l’emballage neutre n’a eu « aucun impact sur la réduction du tabagisme » en Australie. L’affirmation est abusive et fait fi de la réduction réelle de l’usage du tabac constatée chez les jeunes.

Couleurs, formes et textures : dans les emballages, tout est étudié pour attirer et retenir le client. C’est pourquoi, comme bien d’autres entreprises, Imperial Tobacco Canada dépense des fortunes pour développer les emballages les plus invitants possibles (voir encadré). Malgré cela, le plus grand cigarettier au Canada soutient qu’enjoliver les emballages ne sert à rien. Selon l’entreprise, plus précisément, la standardisation des emballages des produits du tabac en Australie n’a eu « aucun impact sur la réduction du tabagisme » tandis que la même mesure, en France, n’aurait pas diminué les ventes de cigarettes légales. Ces affirmations à demi vraies ne considèrent pas l’ensemble des faits.

Australie : un effet indéniable chez les jeunes

En décembre 2017, cela a fait cinq ans que l’Australie est devenue le premier pays au monde à exiger que les produits du tabac soient vendus dans un emballage neutre et standardisé. Depuis, de nombreux autres pays ont introduit cette mesure innovante, dont la France, en janvier 2017, et la Grande-Bretagne, en mai 2017. Si certains doutent toujours des effets de la mesure, les chiffres, eux, ne mentent pas.

Certes, en Australie, les plus récentes données de l’Australian Institute of Health and Welfare montrent que le taux de tabagisme des 14 ans et plus n’a diminué que de 0,9 % entre 2013 et 2016. Mais cela ne permet pas de conclure que l’introduction de l’emballage neutre, en 2012, n’a eu aucun impact. En effet, de 2013 à 2016, l’usage global du tabac a diminué d’au moins 50 % chez les jeunes (voir tableau). Par ailleurs, d’autres données significatives d’un point de vue statistique montrent que l’ensemble des fumeurs ont grillé, en moyenne, moins de cigarettes en 2016 qu’en 2013. Les jeunes, eux, ont fumé leur première cigarette plus tard.

Enfin, l’enquête australienne, menée auprès de quelque 23 000 personnes tous les trois ans, montre que l’arrivée de l’emballage neutre n’a pas augmenté la proportion de fumeurs se fournissant sur le marché noir. De plus, entre 2013 et 2016, le nombre de fumeurs qui ont vu ou acheté des produits du tabac sans emballage neutre a diminué de manière statistiquement significative. À tout prendre, l’affirmation d’Imperial Tobacco Canada selon laquelle ces emballages n’ont eu « aucun impact » est donc trompeuse, voire mensongère.

France : des conséquences encore inconnues

Les affirmations d’Imperial Tobacco Canada sur l’effet de l’emballage neutre en France sont tout aussi trompeuses. Certes, les ventes de tabac n’ont pas encore régressé de façon notable dans l’Hexagone. Mais l’emballage neutre vise notamment à changer les perceptions sur le tabac, ce qui demande du temps. Nous pourrions en savoir plus sur les effets de cette mesure dans la deuxième moitié de 2018, lorsque l’Inserm, un institut de recherche français, publiera les premiers résultats de l’étude DePICT (Description des perceptions, images et comportements liés au tabac). Au cours de cette étude, les chercheurs questionneront plusieurs milliers d’adultes et d’adolescents afin d’évaluer l’évolution de leurs attitudes et comportements par rapport à l’emballage neutre, entre autres. À tout prendre, les affirmations d’Imperial Tobacco Canada sont donc très prématurées.

Des paquets style de vie canadiens, gracieuseté d’Imperial Tobacco

Alors qu’Imperial Tobacco Canada dénigre les emballages neutres en Australie et en France, il ne cesse de bonifier l’apparence des paquets de cigarettes John Player qu’il vend ici. Ces bonifications, cachées comme une surprise à l’intérieur du paquet, visent à engager le consommateur et susciter des émotions. Pourtant, au Québec, la Loi concernant la lutte contre le tabagisme interdit nommément toute publicité qui associe notamment un produit du tabac au prestige, à des loisirs ou à l’enthousiasme, c’est-à-dire au style de vie. Or, l’emballage « Fièrement de chez nous » des paquets John Player fait appel à la fibre nationaliste en laissant croire que ces cigarettes sont fabriquées au Québec (ce qui n’est pas le cas). De même, l’emballage « Reste fort, reste ferme » est évidemment susceptible de créer de l’enthousiasme. Au cours des derniers mois, d’autres paquets John Player ont associé la marque au hockey, au 150e anniversaire du Canada ou au cinéma. Cela démontre, si besoin est, l’importance qu’accordent Imperial Tobacco Canada et l’industrie du tabac à l’aspect physique de leurs emballages – ainsi que l’urgence d’adopter l’emballage neutre ici aussi, au Canada.

Imperial Tobacco Canada décore ‎l’intérieur des paquets de John ‎Player qu’il vend au Canada.‎

Anick Labelle