Surprise: Québec retouche sa loi sur le tabac

Assez discrète sur le dossier du tabac depuis sa nomination en mars dernier, la ministre déléguée à la Santé et aux Services sociaux, Agnès Maltais, en a étonné plus d’un (agréablement) en déposant à l’Assemblée nationale, le 25 octobre, le projet de loi no 45 qui amende légèrement la Loi sur le tabac.

Rappelons que cette loi globale, introduite par l’ex-ministre de la Santé Jean Rochon en 1998, intervient dans l’ensemble des secteurs, tels que la protection des non-fumeurs, la publicité, les commandites, les ventes aux mineurs et l’emballage.

Adoptés le 20 novembre et entrés en vigueur le 1er décembre, ces amendements ne constituent, pour la plupart, que de simples correctifs ou précisions à la loi. La seule nouveauté importante réside dans le retrait de l’exemption accordée aux aires de jeu des casinos. Les trois établissements d’État, situés à Montréal, à Hull (maintenant Gatineau) et à La Malbaie, figuraient parmi le groupe d’endroits publics sans restrictions, comme les bars interdits aux mineurs et les salles de bingo. Les casinos font maintenant partie des lieux majoritairement non-fumeurs. Ces endroits, telles les aires communes des centres commerciaux ou les salles de quilles, peuvent toutefois inclure des zones fumeurs, jusqu’à 40 % de leur surface, tout en offrant la meilleure protection possible aux non-fumeurs.

À la demande des clients, mais sans obligation légale, les casinos québécois avaient déjà ouvert peu à peu des sections de jeu non-fumeur. Le Casino de Hull s’est même distingué, en juillet dernier, en devenant principalement non-fumeur, avec une section fumeur minoritaire et assez bien séparée. Bien que davantage de jeux populaires soient offerts dans les espaces sans fumée à Hull, la salle des hautes mises est demeurée sans restrictions. Ainsi, l’été dernier, cet établissement a testé avec succès le futur changement à la loi.

Grâce à cet amendement, les casinos québécois seront parmi les moins enfumés au monde, selon la rédactrice Eve Edelson de Smokefreeworld.com. « Nous avons consacré une page de notre site Internet aux sections non-fumeurs des casinos, devant la multitude de demandes à ce sujet, indique-t-elle. En respectant une norme de 60 % non-fumeur, vos casinos se classeront bien en haut de la liste, car les établissements de jeux de hasard se soucient généralement très peu du tabagisme ». Aux États-Unis, à peine 2 % des 700 casinos offriraient des sections de jeu non-fumeurs. De très rares casinos sans fumée en sont à leurs premiers pas en Californie et en Nouvelle-Zélande, de haut-lieux mondiaux de la lutte antitabac.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’avancée québécoise. Le gouvernement avait subi de nombreuses critiques pour l’exemption à la loi de ses propres casinos, alors qu’il intervenait dans bien d’autres endroits publics de propriété privée. En outre, la clientèle non-fumeuse, de plus en plus respectée ailleurs, se plaignait régulièrement à la direction des casinos. De son côté, le syndicat des croupiers exigeait une meilleure protection contre la fumée, ayant rejeté la proposition de souffleries sous les tables, lesquelles auraient poussé la fumée vers les clients! Enfin, la très populaire émission J.E., sur TVA, a présenté en septembre dernier un reportage peu flatteur sur la fumée au Casino de Montréal. La ministre Maltais a indiqué que Loto-Québec et la direction des casinos ne s’étaient pas opposés à la transformation entraînée par la loi.

Cafétérias et resto-bars

La principale raison d’être des autres amendements tient à la cohérence des lois. Avec l’entrée en vigueur, également au 1er décembre dernier, de la Loi sur les établissements touristiques qui, entre autres, modifie les titres des permis de restauration, celui d’« établissement touristique » ne prévaut plus que pour les établissements d’hébergement touristique. Sans modifications, la plupart des restaurateurs québécois auraient pu se soustraire à la Loi sur le tabac, leur permis d’exploitation n’étant plus celui qui les décrivait en 1998.

Une autre nouveauté concerne les cafétérias. Bien que la plupart des 2 300 cafétérias québécoises soient totalement sans fumée, elles pourraient n’être encore qu’à 60 % non-fumeur, sans même disposer de cloisons pour les nouvelles installations, contrairement aux restaurants. Ayant reçu des plaintes de restaurateurs jaloux de cet « avantage », le ministère contraint les cafétérias à l’obligation d’ériger des cloisons (si elles offrent une zone fumeur), leur laissant toutefois un an de plus pour s’y conformer. Rappelons que, depuis le 17 décembre 2001, les nouveaux restaurants, ou ceux rénovés à plus de 50 %, doivent cloisonner et ventiler leur section fumeur (de 40 % des places au maximum) s’ils tiennent à en offrir une. Pour ceux opérant avant cette date, et ne faisant pas l’objet de rénovations majeures, la norme n’entre en vigueur qu’en décembre 2009!

Également à la demande du secteur de la restauration, les resto-bars peuvent désormais considérer leur section bar, où des repas sont servis, comme faisant partie du 40 % fumeur de l’ensemble de l’établissement. Ceci met fin à la confusion de savoir si tant le restaurant que le bar devaient chacun comporter deux sections.

Loin des bars enfumés, les garderies en milieu familial ont aussi eu droit à un léger amendement. Il est désormais interdit de fumer dans l’ensemble de la résidence privée, aux heures d’accueil des enfants, et non plus dans les « installations », un terme parfois interprété comme englobant seulement les pièces accessibles aux petits.

Amendements surprise

La grande surprise de ce projet de loi provient de son dépôt sans avertissement ni consultations, du moins auprès des groupes de santé, et de son adoption très rapide. Le gouvernement a peut-être voulu éviter un dérapage dans le secteur de la restauration, alors que le changement des titres de permis aurait créé une échappatoire pouvant être exploitée par des tenanciers mécontents.

Les procédures d’adoption ont également permis aux deux politiciens québécois attachés au dossier du tabac, la ministre péquiste Agnès Maltais et son vis-à-vis libéral Russell Williams, critique de l’Opposition en la matière, d’échanger publiquement sur le problème du tabagisme, en particulier sur l’application de la Loi sur le tabac. Lors de ces quelque quatre heures de débats publics, disponibles sur Internet, les deux politiciens ont démontré qu’ils connaissaient très bien leurs dossiers, Mme Maltais défendant la démarche tranquille du gouvernement, et M. Williams mettant en doute la vigilance du ministère à faire respecter la loi.

Travail tenace de Russell Williams

Le premier sentiment qui se dégage de ces débats est la satisfaction devant le travail tenace de Russell Williams. Compte tenu du fait que le député de Nelligan parle au nom d’un parti qui, selon les sondages, pourrait former le prochain gouvernement d’ici un an ou deux, le milieu de la santé ne peut que se féliciter de son influence et de ses interventions. Même Mme Maltais a loué son dévouement.

Devant l’Assemblée nationale, M. Williams a d’ailleurs invité les Directions de santé publique à intervenir davantage auprès de ses collègues députés pour les sensibiliser aux enjeux du tabac. « M. le Président, a-t-il déclaré, je voudrais féliciter les départements de santé publique. De plus en plus, ils jouent un rôle important. Et je recommande qu’ils continuent leur bon travail, mais peut-être en ajoutant une autre responsabilité : mieux nous informer, nous les décideurs, les législateurs. »

Tant M. Williams que Mme Maltais ont eu des bons mots pour la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, laquelle fut nommée douze fois. En commission parlementaire, la ministre s’est félicitée de la réaction du regroupement au projet de loi : « La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, a-t-elle déclaré, comprend très bien l’esprit de la loi, salue l’avancée dans les casinos et le fait qu’on vérifie qu’il n’y ait pas d’échappées dans la loi. Bien sûr, la Coalition est toujours très vigilante. Elle pousse, elle veut qu’il y ait de plus en plus de modifications positives. Elle veut vraiment un univers, un environnement sans fumée, mais, M. le Président, leurs dirigeants acceptent que nous y allions progressivement. »

En effet, la Coalition est satisfaite du projet de loi. Le regroupement antitabac constate que « le projet de loi vise essentiellement à protéger les acquis de la loi et à refléter, pour une bonne part, ce qui se passe en réalité ». Il remarque néanmoins que d’autres mesures auraient pu être améliorées, comme celles touchant les centres commerciaux, les restaurants et les bars.

« Petits pas dans la bonne direction »

Bien qu’il ait appuyé les amendements proposés, les qualifiant de « petits pas dans la bonne direction », Russel Williams a offert à plusieurs reprises sa collaboration pour réviser davantage la loi, notamment en ce qui concerne la protection des non-fumeurs. À l’instar des groupes de santé, il a aussi demandé qu’une portion de chaque nouvelle taxe sur le tabac soit dévolue à la réduction du tabagisme, comme cela s’était produit en avril 2001. La ministre lui a répondu qu’elle ne pouvait pas rapporter ses discussions avec « les Finances ». On peut en déduire que Mme Maltais tente d’obtenir des fonds additionnels pour la cause antitabac.

Annonces en main, M. Williams a aussi longuement interrogé Mme Maltais sur la publicité persistante des marques de cigarettes, sous prétexte de commandites. Il a parlé de l’équipe Player’s, des sports extrêmes Export‘A’, des tirages et des arts du Maurier. Admettant que le ministère a reçu 28 plaintes concernant la publicité, la ministre a simplement répondu que les enquêtes se poursuivaient. « On n’a pas de résultat actuellement, mais, nous aussi, on est extrêmement vigilants autour de ces publicités qui vendent des styles de vie associés au tabac », s’est-elle défendue.

C’est la fumée dans le secteur de la restauration qui a suscité le plus de plaintes du public, a révélé Mme Maltais : « Les gens sont très préoccupés par la fumée dans les restaurants et cafétérias, là où ils consomment des repas. » En grand nombre, les Québécois dénoncent aussi des lieux de travail problématiques. Au total (au début novembre, lors de la commission parlementaire), le Service de lutte contre le tabagisme a reçu 5 037 plaintes et 12 409 demandes de renseignements concernant la loi, a rapporté la ministre. Toutefois, seulement 326 constats d’infraction ont été émis, la plupart depuis l’été 2001.

M. Williams s’est inquiété du peu de respect, par les dépanneurs québécois, de l’interdiction de la vente aux mineurs, même si ce domaine est présentement sous l’initiative de Santé Canada. Signalons que le gouvernement canadien investit beaucoup d’efforts dans ce volet de la prévention, notamment avec sa vingtaine d’inspecteurs basés à Longueuil. Plutôt que de renvoyer la balle au fédéral, la ministre Maltais a, au contraire, annoncé que des discussions étaient en cours pour tenter de récupérer cette responsabilité.

Contrairement au vote nominal tenu sur la loi principale en juin 1998, alors que chaque député présent s’était levé pour déclarer son allégeance (102 pour, 0 contre, 0 abstention), le projet de loi 45 n’a nécessité qu’un assentiment général de l’Assemblée nationale. « Le projet de loi numéro 45, Loi modifiant la Loi sur le tabac, est-il adopté? », a demandé le vice-président Michel Bissonnet. Des voix ont alors répondu : « Adopté. » Adopté et déjà en vigueur!

Denis Côté