Ottawa se penche sur l’e-cigarette

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Les élus canadiens ont étudié la cigarette électronique. Pendant une quinzaine d’heures, le Comité permanent de la santé du Parlement du Canada a écouté des individus de différents milieux pour comprendre les tenants et aboutissants de ce nouvel outil et déterminer la meilleure façon de l’encadrer.

Au Canada, alors que les cigarettes électroniques avec nicotine sont illégales, on en trouve facilement en magasin. On le voit : ce produit manque cruellement d’encadrement. Sans mentionner le fait que les cigarettes électroniques sans nicotine, bien que légales, soulèvent elles aussi plusieurs questions. Cet automne, le Comité permanent de la santé du Parlement canadien a tenté d’y voir plus clair avec des audiences publiques sur ces cigarettes nouveau genre.

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On comprend de mieux en mieux le fonctionnement des cigarettes électroniques ou e-cigarettes (voir l’encadré « Qu’est-ce que la cigarette électronique? »). Les chercheurs en savent toutefois encore peu sur les avantages et les risques de ces appareils, c’est-à-dire l’impact qu’ils auront sur la cessation tabagique et/ou sur l’initiation au tabac. « Je travaille dans le secteur de la lutte antitabac depuis 24 ans, a dit Melodie Tilson, directrice des politiques au bureau national de l’Association pour les droits des non-fumeurs. Bien honnêtement, [c’est] la question la plus épineuse et la plus controversée à laquelle j’ai eu affaire. »

Une aide à la cessation?

L’e-cigarette pourrait réduire l’usage du tabac et le nombre de maladies qu’il cause. En effet, elle est moins dangereuse que le tabac combustible tandis que les fumeurs l’apprécient, entre autres, parce qu’elle reproduit le geste de fumer. Par contre, personne ne sait quelle proportion de vapoteurs utilisent la cigarette électronique en vue de cesser de fumer, ni combien réussissent, ont rappelé plusieurs experts au Comité permanent de la santé. Certains vapotent par pur plaisir ou par curiosité. D’autres, uniquement lorsqu’ils ne peuvent pas brûler une vraie cigarette, perpétuant ainsi leur dépendance. Certes, les vapoteurs fument probablement moins de cigarettes combustibles. Mais déterminer à quel point cela améliore leur santé n’est pas simple. Devant les parlementaires, le Dr Gaston Ostiguy, pneumologue au Centre universitaire de santé McGill, a témoigné à titre personnel sur l’utilité de la cigarette électronique dans la cessation tabagique. Mais il a reconnu d’emblée que ces appareils ne sont pas son premier choix quand il aide un fumeur à se libérer du tabac. Il privilégie d’abord les aides pharmacologiques reconnues et le soutien d’un professionnel de la santé. Cela dit, certains témoignages faisaient référence à la Grande-Bretagne, où beaucoup de fumeurs ont rapporté cessé de fumer grâce à la cigarette électronique.

Qu’est-ce que la cigarette électronique? 

La cigarette électronique (ou e-cigarette) carbure aux e-liquides : un mélange de glycérine végétale et/ou de propylène glycol auquel sont ajoutées une saveur et, parfois, de la nicotine. L’e-cigarette chauffe ce mélange, ce qui produit une vapeur qu’inhale l’usager. C’est de cette vapeur qu’est né le vocabulaire entourant l’e-cigarette (la vapoteuse), son usager (le vapoteur) et son usage (le vapotage).

« Si l’on encadre bien ces appareils tout en continuant à renforcer les lois sur le tabac, l’on devrait pouvoir maximiser leurs bénéfices tout en en réduisant les risques. » - Dre Geneviève Bois, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac
« Si l’on encadre bien ces appareils tout en continuant à renforcer les lois sur le tabac, l’on devrait pouvoir maximiser leurs bénéfices tout en en réduisant les risques. » – Dre Geneviève Bois, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac

Lorsque l’on examine le tabagisme et la cigarette électronique, il faut considérer l’ensemble des données, a témoigné, en substance, la Dre Geneviève Bois, porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Au Royaume-Uni, le taux de tabagisme était déjà à la baisse tandis que, pendant la période où la cigarette électronique s’est popularisée, le pays a, entre autres, progressivement interdit les étalages des produits du tabac et augmenté les prix. C’est peut-être pourquoi, aujourd’hui, la cigarette électronique ne semble pas ouvrir la voie au tabagisme dans ce pays. D’autres témoins ont mentionné la Pologne pendant les audiences, a continué la Dre Bois. Le tabagisme y est plus élevé, la législation sur le tabac, plus faible et le marketing des e-cigarettes, plus courant. Là-bas, les cigarettes électroniques semblent avoir entraîné une hausse du tabagisme chez les étudiants. Le Canada, enfin, n’est ni le Royaume-Uni, ni la Pologne : pour le moment, l’usage à la hausse des e-cigarettes ne semble pas ralentir l’initiation au tabac chez les jeunes, a continué la Dre Bois. Si l’on encadre bien ces appareils tout en continuant à renforcer les lois sur le tabac, l’on devrait pouvoir maximiser leurs bénéfices tout en en réduisant les risques.

Une qualité parfois douteuse

Une autre grande question des e-cigarettes porte sur leur qualité. Pour l’instant, aucune norme n’encadre leur mode de fabrication, leur étiquette, leurs ingrédients ou la quantité de nicotine qu’elles contiennent. Ainsi, des e-cigarettes s’annoncent comme étant sans nicotine alors qu’elles en contiennent, les matériaux de certains modèles dégagent des métaux lourds lorsqu’ils sont chauffés, etc.

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« L’industrie du tabac a tout intérêt à faire en sorte que les fumeurs continuent à fumer, et non qu’ils arrêtent complètement » – Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer

Différents experts ont souligné devant les parlementaires les autres dangers possibles des e-cigarettes. À court terme, aspirer le propylène glycol des e-cigarettes irriterait les voies respiratoires. D’autres intervenants ont rappelé que la nicotine, autrefois utilisée comme insecticide, peut causer de graves empoisonnements lorsqu’elle est avalée. Il faut ajouter à cela la présence grandissante des cigarettiers dans le marché. « Il est difficile de savoir s’ils sont présents pour tuer le marché, le faire grandir ou jouir de marchés mixtes [combinant à la fois les cigarettes électroniques et les cigarettes combustibles] », a noté le Dr Peter Selby, directeur du Centre de toxicomanie et de santé mentale. « L’industrie du tabac a tout intérêt à faire en sorte que les fumeurs continuent à fumer, et non qu’ils arrêtent complètement », a renchéri Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer. Enfin, plusieurs élus ont souligné qu’il est facile de modifier les cigarettes électroniques pour vapoter du THC – l’agent actif de la marijuana – plutôt que de la nicotine.

Deux études sur l’usage des cigarettes électroniques

Plus de 80 % des élèves du secondaire ont entendu parler de l’e-cigarette, selon L’usage de la cigarette électronique chez les élèves du secondaire : 2012-2013. Cette publication de l’Institut national de santé publique du Québec présente des données tirées de l’Enquête sur le tabagisme chez les jeunes et de l’encart financé par la Société canadienne du cancer – Division du Québec. On y découvre qu’environ le tiers des jeunes (34 %) ont déjà pris au moins quelques bouffées d’une e-cigarette. Les vapoteurs sont beaucoup plus nombreux parmi les élèves ayant déjà expérimenté la cigarette combustible (83 %) que parmi ceux n’ayant jamais fumé (18 %). Enfin, 6 % des élèves ont utilisé la cigarette électronique au cours des 30 derniers jours.

En 2014, la Direction de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal a aussi mené une enquête sur l’usage des e-cigarettes auprès de 2500 Montréalais âgés de 15 ans ou plus. Cinq pour cent des Montréalais ont vapoté au cours des 30 derniers jours, selon Montréal sans tabac : enquête sur la cigarette électronique à Montréal 2014. Parmi les Montréalais qui ont déjà vapoté, 80 % étaient des fumeurs ou des ex-fumeurs récents. Le double usage est la norme : 70 % des personnes qui ont vapoté au cours des trente derniers jours ont aussi utilisé des « vraies cigarettes ». Enfin, les vapoteurs utilisent principalement l’e-cigarette pour en expérimenter la nouveauté (64 %), pour réduire leur consommation de tabac (48 %) et pour cesser de fumer (47 %).

Santé Canada : un encadrement inadéquat

Alors, comment encadrer ces appareils qui gagnent en popularité et qui pourraient aider certaines personnes à cesser de fumer? Pour l’instant, les modèles avec de la nicotine relèvent de la Loi sur les aliments et drogues. Ceux sans nicotine relèvent de la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation.

En théorie, les premiers sont soumis au même traitement que les médicaments et les thérapies de remplacement de la nicotine : la compagnie qui les fabrique doit démontrer leur innocuité avant de les mettre en marché. Pour l’instant, aucune e-cigarette n’a reçu les approbations nécessaires de Santé Canada. Cela n’empêche pas les consommateurs de pouvoir en trouver des centaines de modèles différents au pays et d’y verser des milliers de saveurs d’e-liquide. Pourtant, au cours des deux dernières années, Santé Canada n’a pas saisi une seule e-cigarette ni cartouche d’e-liquide, a reconnu, devant les parlementaires, un des directeurs généraux de Santé Canada. Depuis 2009, l’agence a plutôt envoyé environ 300 lettres à des marchands d’e-cigarettes, enjoignant à ceux-ci de cesser leur commerce, et recommandé aux Canadiens de ne pas acheter ou utiliser ces produits. En 2014, Santé Canada a aussi recommandé aux autorités d’arrêter à la frontière plus de 3000 colis contenant des produits liés aux cigarettes électroniques.

Des règles à définir

Tous les experts se sont entendus sur l’urgence d’un encadrement plus serré. Tout reste à réglementer, des points de vente aux ingrédients, en passant par l’étiquetage. Certains témoins ont suggéré que ces appareils soient vendus partout où les cigarettes combustibles le sont. D’autres, qu’ils soient offerts seulement dans des boutiques spécialisées, voire accréditées par Santé Canada. D’ailleurs, le ministère de la Santé du Canada révise présentement la Loi sur le tabac fédérale, la Loi sur les aliments et drogues et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour déterminer la manière d’utiliser les outils déjà en place, a expliqué une sous-ministre adjointe de ce ministère. Du côté de l’industrie, on souhaite plutôt une loi spécifique pour les cigarettes électroniques afin que celles-ci échappent à la fois aux lois sur le tabac et à celles sur les médicaments. De leur côté, les groupes de santé exigent que les vapoteuses soient assujetties aux lois sur le tabac. C’est le choix, d’ailleurs, qu’a fait la Nouvelle-Écosse (voir l’article en page 4).

Enfin, la majorité des quelque 30 groupes, individus et entreprises qui ont défilé devant les parlementaires ont recommandé que les cigarettes électroniques :

  • ne soient pas vendues aux mineurs;
  • répondent à certaines normes de qualité;
  • soient interdites dans les lieux où le tabac l’est;
  • ne soient pas annoncées dans des publicités associées à un style de vie, des valeurs ou des activités;
  • offrent un nombre limité de saveurs.

Enfin, les connaissances sur les e-cigarettes vont changer, de même que leur usage. Il est essentiel de surveiller cette progression pour réagir à tout changement. « Nous avons besoin d’information de base pour appuyer l’élaboration de politiques et pour faire des mises au point », a rappelé Rob Cunningham. Le Comité permanent de la santé rendra son rapport ces prochains mois.

Anick Labelle