Les marques économiques poursuivent leur expansion
Septembre 2006 - No 65
On sait depuis longtemps que lorsque le prix des cigarettes est élevé, les fumeurs arrêtent de fumer en grand nombre. Ce qu’on ignorait, c’est que les bas prix les incitent de plus en plus à délaisser leur marque habituelle au profit des cigarettes économiques, tel que l’indiquent plusieurs représentants de l’industrie du tabac dans un reportage (Bloodied, but unbowed) publié en janvier/février dans Your Convenience Manager (YCM), un magazine canadien destiné aux propriétaires et gérants de dépanneurs.
« De nos jours, les consommateurs recherchent des aubaines et veulent en avoir plus pour leur argent, y affirme Derek Guile, vice-président des ventes chez Rothmans Benson & Hedges. Au moins 40 % optent pour des cigarettes économiques alors qu’auparavant, 95 % étaient fidèles à une marque. »
Premium vs économiques
À l’échelle nationale, 53 % des fumeurs préfèrent encore les marques dites « premium », dont les noms ont longtemps été associés à des publicités faisant la promotion d’un style de vie, comme les sports extrêmes et ExportA’. Toutefois, au Québec, les marques économiques – qui coûtent entre 1,50 et 2 $ de moins par paquet ou de 10 à 12 $ de moins par cartouche – sont maintenant aussi populaires que les premium. Alors qu’elles n’occupaient que 18 % du marché en 2003, les cigarettes « à rabais » représentent 44 % des ventes effectuées deux ans plus tard. À titre indicatif, le prix moyen d’un paquet (25) de premium était de 9,38 $ en 2005.
Les parts de marché
Au Canada, outre les petits fabricants (6 %) et les contrebandiers, trois manufacturiers contrôlés par des multinationales se partagent le très lucratif marché des cigarettes. Imperial Tobacco Canada qui produit entre autres les Player’s et les du Maurier en détient 52 %, Rothmans Benson & Hedges, le manufacturier des Mark Ten et des Number 7, en garde 31 %, et JTI-Macdonald, surtout connu pour ses ExportA’, 11 %.
Totalement absents de l’Ouest canadien, les petits manufacturiers – tels que ADL Tobacco qui fabrique les Suprême et les Bailey’s, ou Bastos du Canada dont les Gipsy et les Dakar alimentent les supermarchés Loblaws et Metro – se taillent une place de plus en plus importante sur l’échiquier du tabac. De toutes les provinces, c’est au Québec qu’ils sont le plus présents. Ensemble, les petits fabricants y détiennent 16 % du marché, soit un point de pourcentage de plus que JTI-Macdonald. Comme on pourrait s’y attendre, avec 43 %, Imperial Tobacco Canada obtient la plus grande part du marché québécois tandis que Rothmans Benson & Hedges en possède 26 %.
Analyste des politiques au bureau d’Ottawa de l’Association pour les droits des non-fumeurs, Francis Thompson considère que la guerre des prix que se livrent les petits fabricants et les multinationales du tabac a ses bons et ses mauvais côtés : « On remarque que les cigarettes ont perdu de leur « éclat » puisque les fumeurs les choisissent dorénavant pour leur prix et non pour l’image que les compagnies de tabac leur ont confectionnée. Cependant, il est plus ardu de contrôler la contrebande dans un marché fragmenté, sans compter qu’une baisse des prix généralisée pourrait faire augmenter la prévalence. »
Les murs de cigarettes : en voie d’extinction…
Selon l’article du YCM, les propriétaires recevraient entre 3 000 et 6 000 $ (par magasin) de la part des manufacturiers, pour exposer les produits du tabac dans leurs établissements. Or, à compter de mai 2008, la Loi sur le tabac québécoise empêchera l’étalage des cigarettes dans les commerces où des mineurs sont admis. Alors que plusieurs commerçants sont persuadés que ce renforcement législatif aura des conséquences désastreuses pour leur entreprise, certains représentants de l’industrie ont une position différente.
Directeur des affaires publiques chez JTI-Macdonald, Neal Mednick ne croit pas que l’interdiction d’étaler les cigarettes aura un impact négatif : « Cela rendra tout simplement la concurrence plus difficile entre les manufacturiers ». Du même avis, le directeur du marketing pour les cigares Old Port, André Blais, pense que cette mesure va aussi limiter les achats impulsifs.
Un nouveau paquet pour du Maurier
Afin d’augmenter les parts de marché de ses du Maurier, Imperial Tobacco Canada (ITC) a récemment lancé un nouvel emballage à huit côtés. C’est pour différencier son produit de ceux de ses compétiteurs et inciter les fumeurs à opter pour cette marque plutôt que pour des cigarettes dites « économiques » que la compagnie en a revu le design.
Gagnant de l’édition 2006 des Giovanni Barezzi Award (www.barezziaward.com) – un prix qui vise à augmenter l’intérêt des étudiants, chercheurs et acteurs de l’industrie du tabac pour les enjeux liés à la production des cigarettes – l’emballage « Signature » a d’abord été lancé en Ontario, en juin 2005. Le projet soumis par ITC s’intitulait The du Maurier Signature Pack : Shaping our Future by Design, que l’on pourrait traduire par « Le paquet Signature de du Maurier : Façonner notre avenir grâce au design ».
La marque du Maurier, qui est la plus consommée au Canada, représente à elle seule 6 % des bénéfices totaux de la multinationale British American Tobacco, qui possède ITC. Même si les parts de marché de ces cigarettes (presque exclusivement vendues au pays) ont chuté d’environ 5 % au profit des marques « à rabais » en 2004, le paquet « Signature » aurait permis de renforcer de 1,8 % le positionnement de la marque, rapportait en février le magazine protabac Tobacco Reporter.
Josée Hamelin