Importante mise à jour de la Loi sur le tabac canadienne

Si tout fonctionne comme prévu, la révision en cours de Loi sur le tabac canadienne facilitera l’introduction de l’emballage neutre pour les produits du tabac et la mise en place d’un encadrement pour les cigarettes électroniques.

Même si le taux de tabagisme a beaucoup diminué au Canada ces dernières décennies, encore 17,7 pour cent des citoyens y fument toujours (18,6 pour cent au Québec). On l’oublie facilement, mais, tous les jours, près de 100 Canadiens meurent des suites de leur tabagisme. En plus des souffrances entraînées pour eux et leurs proches, le tabagisme entraîne au bas mot des coûts directs et indirects de 17 G$ au pays.

Emballage neutre
L’emballage neutre retire aux ‎paquets tout ce qui les rend ‎attirant : couleur distinctive, forme, ‎logos, texture, etc. (à gauche, un ‎paquet actuellement vendu au ‎Québec; à droite, un paquet ‎neutre).‎

Depuis son élection en octobre 2015, le gouvernement Trudeau a mis les bouchées doubles pour s’attaquer à cette situation alarmante. Il a confirmé l’interdiction du menthol dans les cigarettes, mené une consultation de plusieurs mois sur la banalisation des emballages des produits du tabac et tenu un forum sur le renouvellement de la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme. Enfin, avec l’aval de la ministre de la Santé, la Dre Jane Philpott, un sénateur a déposé en novembre 2016 le projet de loi no S-5, Loi modifiant la Loi sur le tabac, la Loi sur la santé des non-fumeurs et d’autres lois en conséquence. En avril, ce projet de loi a été l’objet d’audiences publiques du Comité sénatorial permanent sur les affaires sociales, les sciences et la technologie. Lors de ces audiences, qui ont duré cinq jours, plus de 30 organismes, entreprises et individus ont témoigné ou déposé un mémoire, dont Imperial Tobacco Canada, la Société canadienne du cancer et Médecins pour un Canada sans fumée. Quelles sont les grandes lignes du projet de loi, et qu’en ont dit les groupes de santé?

Une stratégie fédérale à renouveler

La Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme (SFLT) est un outil que le Canada a créé en 2001. Sa mouture actuelle doit être renouvelée en mars 2018. La ministre fédérale de la Santé, Dre Jane Philpott, a donc consulté jusqu’à la mi-avril les Canadiens au sujet de la prochaine édition de cette stratégie. Cette consultation s’est basée sur le document de travail Saisir l’occasion : l’avenir de la lutte contre le tabagisme au Canada ainsi que sur les réflexions issues d’un forum de deux jours regroupant de nombreux spécialistes de la question.

La ministre s’est fixé l’objectif d’atteindre un taux de tabagisme de moins de 5 pour cent d’ici 2035. Pour y arriver, elle propose plusieurs options telles que : hausser à 21 ans l’âge minimal pour acheter des produits du tabac, réduire le pouvoir addictif des produits du tabac, encourager les fumeurs qui n’arrivent pas à cesser de fumer à opter pour des produits nicotiniques moins dangereux, responsabiliser davantage l’industrie du tabac et poursuivre la mise en œuvre de la Convention-cadre de l’OMS sur la lutte antitabac. Rendez-vous au printemps 2018 pour la version définitive de la nouvelle stratégie fédérale.

Emballage standardisé en vue

Bien que plusieurs détails restent à préciser par règlement, le projet de loi nS-5 se concentre sur deux grands axes. D’une part, l’introduction de nouveaux pouvoirs réglementaires pour faciliter la mise en œuvre de l’emballage neutre et standardisé et, d’autre part, l’encadrement de produits du vapotage tels que la cigarette électronique.

L’industrie du tabac a investit plusieurs ‎millions de dollars dans une campagne média s’opposant à l’emballage neutre.‎

« L’emballage neutre est une mesure essentielle contre laquelle s’opposent durement les fabricants de tabac avec des lobbyistes et une campagne média valant plusieurs millions de dollars », explique Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer. La mesure, qui obligerait les fabricants de tabac à vendre leurs produits dans des emballages ne présentant aucune marque distinctive, est déjà en vigueur en France, en Australie et au Royaume-Uni. Elle a aussi été adoptée par les parlements de trois autres pays (Norvège, Irlande et Hongrie), où elle devrait être implantée sous peu.

Rappelons que, lors de la consultation menée au sujet de cette mesure, Santé Canada a reçu plus de 58 000 réponses, dont 92 pour cent étaient favorables à celle-ci. Avec le projet de loi no S-5, Santé Canada bénéficierait d’une plus grande marge de manœuvre pour décider de l’apparence et du format des produits de tabac. Santé Canada pourrait aussi tenir compte de l’impression générale d’une promotion pour décider si celle-ci est trompeuse quant aux caractéristiques d’un produit du tabac ou à ses effets sur la santé, par exemple.

Lors des audiences publiques, des groupes de santé ont formulé deux grandes demandes au sujet de l’emballage neutre. D’une part, que cet emballage inclue également les cigarettes elles-mêmes afin d’éliminer, entre autres, les cigarettes minces et ultraminces qui attirent particulièrement les jeunes filles. D’autre part, que l’emballage neutre concerne aussi le nom de marque des produits (une mesure adoptée par la France il y a peu). L’objectif est d’éliminer les marques qui réfèrent à quelque chose de positif ou au style de vie, par exemple, qui suggèrent qu’un produit a des effets bénéfiques sur le maintien du poids, l’attraction sexuelle ou le statut social.

L’univers parallèle d’Imperial Tobacco Canada

Sans surprise, le mémoire déposé par Imperial Tobacco Canada (ITC) lors des audiences sur le projet de loi no S-5 s’oppose avec force à la standardisation des emballages et de leurs produits, une mesure qu’il attribue aux « lobbys antitabac extrêmes ». Ses arguments sont les mêmes que d’habitude et basés sur les mêmes fausses données. En clair, que ce type d’emballage ne réduit pas le tabagisme, voire l’augmente, tout en entraînant davantage de contrebande. Le cigarettier va jusqu’à écrire que, en cas d’adoption de l’emballage neutre, il est « presque certain » que le Canada soit entraîné dans des contestations judiciaires « susceptibles d’entraîner le versement d’indemnités considérables [à ITC] ».

Par contre, le plus grand cigarettier canadien n’a que des choses positives à dire des cigarettes électroniques. Comme les autres fabricants de tabac, ITC souhaite commercialiser des produits du vapotage ou apparentés. Il estime donc notamment que ces derniers contribuent à réduire le tabagisme sans encourager les jeunes à s’initier au tabac. Ces lunettes roses l’incitent à demander, contrairement aux groupes de santé, des assouplissements des règles entourant la promotion de ces produits. Enfin, ITC estime que « l’objectif déclaré des lobbyistes antitabac n’est pas la santé publique, mais plutôt la faillite de l’industrie du tabac. » La multinationale ne semble pas comprendre que les deux peuvent… aller de pair!

Un premier encadrement pour les produits du vapotage

Sur le plan des cigarettes électroniques, le projet de loi représente le premier effort législatif pour encadrer ces produits au Canada. Il reprend plusieurs recommandations formulées dans le rapport sur les produits du vapotage, déposé par le Comité permanent de la santé en mars 2015. « Ce rapport a été approuvé par tous les partis à la Chambre des communes, rappelle Rob Cunningham. Le projet de loi no S-5 n’en est que la suite. » Celui-ci s’arrête essentiellement aux appareils eux-mêmes et aux e-liquides, incluant leur contenu, leurs émissions, leur apparence, leur forme et leur emballage.

Plusieurs des mesures visent à limiter l’attrait de ces produits pour les jeunes. Seulement au Québec, par exemple, 20 pour cent des adolescents n’ayant jamais fumé une cigarette ont déjà essayé la cigarette électronique, rapporte l’Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, 2013 (données les plus récentes). Le projet de loi nS-5 propose donc, notamment, d’interdire les cigarettes électroniques dont la forme ou l’apparence est susceptible de séduire les jeunes. Il permet aussi l’ajout d’arômes dans les e-liquides tout en interdisant ceux qui pourraient être attirants pour les jeunes (boissons gazeuses, boissons énergétiques, cannabis, etc.). Le projet de loi mettrait aussi fin aux publicités trompeuses ainsi qu’au comarquage, c’est-à-dire à la vente d’e-cigarettes aux couleurs et au nom des cigarettes combustibles (ou vice-versa).

Types de cigarettes électroniques
Il existe trois générations de ‎cigarettes électroniques : les ‎cigalikes, les tanks et les mods. Les ‎cigalikes seraient particulièrement inefficaces ‎pour soutenir la cessation tabagique ‎‎(photos offertes gracieusement par le National Centre for Smoking Cessation and Training et ‎Anna Phillips)‎.

Le gouvernement suggère aussi de créer deux catégories distinctes pour les produits du vapotage, soit un produit de consommation courante et un médicament. Par défaut, les cigarettes électroniques seraient soumises à la Loi canadienne sur la sécurité des produits de consommation. Toutefois, celles dont les effets thérapeutiques auront été testés et reconnus seraient encadrées par la Loi sur les aliments et les drogues. Les fabricants d’e-cigarettes thérapeutiques auraient droit à certains avantages. Ils pourraient notamment soutenir que leurs produits sont moins nocifs que les produits du tabac combustibles. Ils pourraient aussi utiliser des saveurs et additifs – caféine, vitamines, probiotiques et saveurs de bonbon, entre autres – interdits dans les cigarettes électroniques non médicales.

Pour une loi encore plus forte

Les groupes de santé estiment toutefois que le projet de loi ne va pas assez loin. Selon eux, il permettrait notamment de diffuser des publicités pour les produits du vapotage à la télévision, sur les panneaux d’affichage ou dans les grands journaux, alors que ces produits contiennent souvent de la nicotine. Ils exigent donc plusieurs amendements, dont certains ont été retenus par le comité sénatorial et intégrés au projet de loi. Par exemple :

  • donner au gouvernement le pouvoir d’adopter par règlement des restrictions additionnelles sur la publicité et la promotion des produits de vapotage (retenu par le comité)
  • rendre obligatoire une révision périodique de la loi, comme c’est le cas pour la Loi concernant la lutte contre le tabagisme au Québec (retenu par le comité)
  • interdire toutes les publicités style de vie et permettre uniquement les publicités informatives et préférentielles, comme c’est le cas pour les autres produits du tabac
  • par défaut, rendre publiques les informations transmises par les fabricants de tabac à Santé Canada
  • abolir les programmes de loyauté que les cigarettiers destinent aux commerçants, comme c’est le cas au Québec depuis l’adoption de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, en novembre 2016
  • interdire les publicités style de vie destinées aux détaillants

Il ne reste plus qu’à espérer que le projet de loi tel qu’amendé par le comité soit adopté rapidement par le Sénat et que les règlements permettant d’appliquer la loi soient publiés sans tarder. « Le plus tôt la loi et les règlements seront adoptés, le plus tôt la santé publique sera améliorée », conclut Rob Cunningham.

Bientôt, la marijuana récréative

Il l’avait promis en campagne électorale et, en avril 2017, le gouvernement Trudeau a déposé un projet de loi visant à légaliser l’usage de la marijuana récréative. Le projet de loi no C-45, ou Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois pourrait entrer en vigueur dès juillet 2018. Cette nouvelle loi permettrait aux adultes de posséder et de cultiver des quantités limitées de cannabis. Elle empêcherait aussi les jeunes de s’en procurer, notamment en faisant de la vente de cannabis à un mineur une infraction criminelle. Le projet de loi no C-45 doit toutefois être examiné en commission parlementaire avant d’être adopté en deuxième lecture par les députés fédéraux. Les groupes de santé auront alors l’occasion de faire entendre leur voix pour s’assurer que la légalisation du cannabis entraîne le moins possible d’effets indésirables sur la santé publique. À suivre.

Anick Labelle